L’essayiste, journaliste et chroniqueur québécois Jérôme Blanchet-Gravel a porté plainte, fin mai, suite à son expulsion d’un bar (L’amère à boire, à Montréal) en raison de ses opinions politiques.
Signe qu’au Québec aussi, certains ne tolèrent pas que l’on aille contre le politiquement correct, ni critiquer le multiculturalisme ou l’islamisme comme le fait régulièrement M. Blanchet-Gravel dans différentes tribunes.
À l’heure actuelle, en tant qu’éditorialiste, il écrit surtout pour Causeur, un pied au Québec, un pied en France. Mais auparavant, il s’était fait remarquer assez tôt par l’extrême gauche et la bien-pensance universitaire, notamment pour son dernier livre, La Face cachée du multiculturalisme paru en février dernier aux éditions du Cerf.
Suite à l’histoire ubuesque mais très symbolique de la façon dont sont en train d’évoluer nos sociétés, nous l’avons interrogé, pour qu’il nous raconte son histoire mais également qu’il évoque le climat politique, pesant au Québec comme en France.
Breizh-info.com : Quel était l’objet de votre venue à Montréal ?
Jérôme Blanchet-Gravel : Je vais régulièrement à Montréal pour différentes raisons. Je suis Québécois vous savez, ça reste ma métropole, même si je préfère de loin Paris. Mais cette fois, j’étais de passage dans cette ville pour participer au colloque du Mouvement laïque du Québec. L’incident est survenu la veille de ce colloque.
Breizh-info.com : Que s’est-il passé dans le bar ?
Jérôme Blanchet-Gravel : Comme je l’ai relaté cette semaine dans un article pour Causeur, le vendredi 25 mai dernier, j’étais expulsé d’un bar du centre-ville de Montréal sur la base de mes opinions politiques. Il est un peu passé minuit quand un serveur interpelle l’ami avec qui j’étais pour lui demander s’il réalise vraiment avec qui il passe la soirée.
Jérôme Blanchet-Gravel : Quelques secondes plus tard, un autre serveur m’intercepte au moment de payer l’addition. Il dit me reconnaître. Sur le coup, je m’imagine que c’est un lecteur. Je ne suis pas une star, loin de là, mais j’ai un certain lectorat, même dans cette cité éméchée reconnue pour son grand « progressisme ». Je réalise que le type n’entend pas du tout à rire. Il est sérieux, l’air grave, les convictions en évidence.
Il me demande encore une fois qui je suis. Je confirme. Je suis Jérôme Blanchet-Gravel. Il enchaîne : « Tu n’es ni le bienvenu dans ce bar, ni le bienvenu à Montréal ». Je me fais la réflexion qu’il s’agit d’un territoire assez vaste… Selon ses dires, rester dans ce lieu pourrait même être dangereux pour ma sécurité. Le serveur termine en disant « qu’on s’occupera de moi jusqu’à Paris ». Le message est très clair.
Breizh-info.com : Le climat politique est-il à ce point pesant au Québec ? On a l’impression, de l’autre côté de l’Atlantique, que la chasse aux sorcières est encore pire qu’en France.
Jérôme Blanchet-Gravel : Le climat politique est devenu très malsain au Québec. Je sais qu’il le serait aussi de plus en plus en France, mais je le ressens beaucoup moins. La France a un amour du débat que les pays anglo-saxons et le Québec n’ont pas. Quand je viens en France, c’est une bouffée d’air frais sur le plan intellectuel. Mais je n’idéalise pas l’Hexagone, rassurez-vous. Dans l’histoire, c’est un pays qui a vraiment été marqué par une forte tradition de libre-pensée.
Il existe deux raisons à la dictature du politiquement correct au Québec. D’abord, le Québec subit l’influence des nouveaux courants idéologiques anglo-saxons de par sa position géographique. Les courants idéologiques comme le multiculturalisme et le néo-féminisme proviennent des universités américaines où une élite les fabrique à l’abri des regards et de l’opinion publique. Le politiquement correct et le puritanisme sont des phénomènes très anglo-saxons. Ensuite, le Québec demeure prisonnier d’une sorte d’imaginaire moutonnier. Au Québec, la réussite sociale est encore assez mal acceptée. Comme on dit ici, i vaut souvent mieux « rentrer dans le rang ». La chasse aux sorcières y est pire qu’en France car le conformisme règne trop souvent en maître au Québec.
Breizh-info.com : Vous avez déposé une plainte concernant l’incident du bar à la Commission des droits de la personne du Québec. Avez-vous espoir sur l’aboutissement de votre plainte ?
Jérôme Blanchet-Gravel : On verra, mais il ne fait aucun doute que notre dossier est solide. Il est explicitement écrit dans la documentation fournie par la Commission des droits de la personne du Québec que les convictions politiques sont un motif de discrimination au sens de la Charte des droits et libertés de la personne et qu’on ne peut être la cible de propos ou de gestes offensants pour ses opinions politiques.
Breizh-info.com : La liberté d’expression est-elle menacée en Europe, au Canada ?
Jérôme Blanchet-Gravel : Je dirais que la liberté d’expression est partiellement en danger en Europe et au Canada. Elle est très certainement menacée sur le plan institutionnel (dans plusieurs grands médias et les universités), mais les médias alternatifs peuvent incarner une réelle résistance. En gros, c’est clair que les élites bien-pensantes travaillent à la réduction de la liberté intellectuelle – nous sommes dans un monde de plus en plus puritain, je tiens à le redire. Cependant, il y a une déconnexion entre ces élites et la population en général. Le lien est en grande partie rompu. La population n’en peut plus de se faire sermonner.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous l’apathie généralisée ? Il semblerait que ces condamnations ne choquent plus personne, ne les heurte plus ?
Jérôme Blanchet-Gravel : Au contraire, je pense que ce genre d’excommunication choque bien des gens, et je suis certain que vos lecteurs en feront partie. Ces condamnations ne choquent pas les bien-pensants car ce sont eux qui les prononcent. Parce que les bien-pensants tirent les ficelles du système médiatique et universitaire, nous avons l’impression que la population est endormie. Mais justement, on reste dans l’ordre de l’impression. Il y a un réveil, de l’espoir.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photo : DR
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