Vendredi dernier, Gérard Collomb annonçait la fin de l’intervention sur la ZAD de Notre-Dame des Landes le soir même. Ce n’est pas encore le cas et des heurts perdurent, alimentés par une cinquantaine d’irréductibles concentrés au centre-sud, entre le Bois de Rohanne, le chemin de Suez et la Saulce (RD81). Mardi 22 mai, un jeune homme a vu sa main arrachée par l’explosion d’une grenade assourdissante et lacrymogène GLI-F4 qu’il essayait de relancer sur les gendarmes. Un drame de la bêtise qui s’ajoute aux troubles persistants qui exaspèrent les riverains.
Mardi 22 mai, ce sont 200 gendarmes, 4 blindés et une cinquantaine de fourgons qui ont accompagné un bulldozer pour dégager le chemin de Suez encombré de chicanes et finir de détruire le squat de la Châtaigne. Des escarmouches éclatent à la Saulce, dans le Bois de Rohanne et à l’est de Bellevue. Les forces de police sont accompagnés du camion CNOEIL – équipé d’une caméra sur un mat télescopique de 5 ou 7 mètres selon le véhicule, capable de reconnaître un individu à 200 mètres et d’une capacité d’enregistrement de 115 heures – ainsi que de brouilleurs.
Le zadiste blessé avait ramassé la grenade pour la renvoyer sur les gendarmes
Vers midi, un zadiste est griévement blessé à la main. Selon les zadistes « irréductibles » eux-mêmes, « la personne qui a été blessée à la main selon nos sources a voulu ramasser la grenade pour la repousser et laisser passer ses camarades et elle a été plaquée au sol par la gendarmerie, c’est à ce moment exact que la grenade a explosé ».
Jean-Marc Ducos, journaliste au Parisien, donne la version officielle – celle des gendarmes et du procureur général de la cour d’appel de Rennes : « La victime à la main amputée a bien ramassé la grenade GLI F4 avant de tenter de la renvoyer dans les rangs des gendarmes. Plusieurs témoignages en attestent ». Sa main droite a du être amputée.
Le zadiste blessé est marseillais et était en Sciences Po à Lille
Nombreux sont les « irréductibles » à être étrangers ou très éloignés par leur origines de la Loire-Atlantique. Le blessé ne fait pas exception : Maxime est originaire de Marseille et déjà connu pour outrage et rébellion – il avait fait l’objet d’une composition pénale – il est étudiant en master 2 Sciences Po à Lille et était sur la ZAD depuis peu ; il y était venu avec des amis.
Son état est stabilisé et une ITT de 4 mois lui a été signifiée. Il se trouve au CHU de Nantes où il sera soigné en service orthopédie. Ensuite il sera rapatrié – aux frais du contribuable donc – à Marseille dans sa famille. L’État a du bon, même pour un zadiste « irréductible ».
Un drame de la bêtise humaine ?
De nombreux témoignages, y compris ceux des zadistes, concordent pour indiquer qu’il a pris la grenade pour la relancer sur les gendarmes. Pourtant, le blessé ne pouvait difficilement pas être au courant de ses effets. Une brochure, intitulée « les armements de la police », sortie en avril 2016 et très répandue au sein de l’extrême-gauche militante, liste l’intégralité des armes des forces de l’ordre, y compris la grenade GLI-F4.
Cette grenade, qui déclenche un bruit de 160 à 165 décibels quand elle éclate, « émet par détonation un effet sonore et de choc très intense en libérant instantanément du CS pulvérulent », expliquent les auteurs de la brochure qui rappellent qu’elle a « déjà occasionné de nombreuses mutilations (une main à Pont de Buis et un pied à Saint-Nazaire) ». Ces grenades sont censées être utilisées de loin, pour désorganiser des groupes d’émeutiers décidés, ou les occuper pendant une diversion.
La victime ne pouvait pas l’ignorer, d’autant que suite à des blessés liés à l’utilisation de cette grenade à Bure en août 2017 – où une émeute avait opposé des activistes d’extrême-gauche aux forces de l’ordre, une « autopsie » de cette munition avait été réalisée sur un site de la mouvance et largement propagée dans les milieux militants.
Elle donne notamment les caractéristiques techniques et l’apparence de la munition : « La grenade GLI F4, de calibre 56 mm, pèse 190 grammes, dont 41,2 grammes de masse active. Grenade dite « à effet combiné », elle est composée de 10 grammes de gaz lacrymogène CS pur et de 25 grammes de tonite (TNT). Elle peut être lancée à la main, ou propulsée à l’aide de dispositifs propulseurs DPR de 50, 100 ou 200 mètres et grâce à des lance-grenades Chouka ou Cougar. La GLI F4 est constituée d’une ogive en plastique rigide de couleur grise, contenant une cartouche en polystirène blanc dans laquelle on trouve le détonateur et le dispositif d’allumage, ainsi qu’une cartouche en carton avec un couvercle de couleurs rouge et jaune, contenant la masse active de gaz (poudre jaune) et de tonite (poudre noire) ».
Dans la soirée, les zadistes ont fait un rappel sur leurs canaux : « message : si la police balance des grenades qui n’explosent pas, ne te précipite pas pour la ramasser, même avec des gants : attends la fin des combats pour venir la récupérer et la neutraliser ».
Un policier confronté de façon récurrente à l’extrême-gauche commentait de façon plus tranchée : « pour ramasser une grenade au sol, qu’elle soit lacrymo ou non, il ne faut pas avoir la lumière à tous les étages. C’est comme toucher des fils tombés à terre. Et le pire, c’est qu’il le savait. En revanche les gendarmes qui l’ont plaqué pour l’empêcher de lancer la grenade ont pris des risques à cause de cet idiot et ont agi pour protéger leurs collègues ».
Quelques dizaines d’irréductibles lâchés par tous… ou presque
Tandis que l’extrême-gauche a annoncé vouloir venger Maxime en annonçant une manifestation le 21 mai à 14h30 à Nantes, les forces de l’ordre, elles, avancent. Les « irréductibles » ne sont plus que quelques dizaines, et « ici personne ne les soutient », confie un riverain exaspéré. « Trop c’est trop. L’aéroport est fini, et à cause de ces cons qui ne referment pas les barrières, les vaches se barrent, nous on a un mal fou à circuler, on se fait contrôler sans cesse et le bordel continue ». Sans oublier le camion de lait qui n’a pu passer mardi sur la RD81…
D’ailleurs le récit des occupations successives des Domaines libérés (expulsés à plusieurs reprises le 18 mai puis murés, puis démurés et en attente de démolition définitive bien qu’il s’agisse d’une belle maison en dur), permet de constater que les irréductibles ne sont plus légion. En effet, ils étaient six à la première expulsion : « deux habitants un peu durables et quatre [compagnons] de France et d’ailleurs. Devant, autour, personne. Ni du « mouvement d’occupation », ni d’autres composantes (alors que l’info était passée une demi-heure à l’avance sur le talkie, et qu’on savait depuis plus longtemps encore que les lieux « sans fiche » [qui n’avaient pas déposé de projet nominatif auprès de la Préfecture, NDLA] étaient visés par la 2e vague d’expulsion) ».
Dans la soirée, ce sont « quelques dizaines de personnes qu’on n’a même pas appelé arrivent et réouvrent la maison ». Les heurts étant presque finis, c’est la quasi-totalité des « irréductibles » qui s’y sont retrouvés. Moins un : « le copain arrêté [le matin pour avoir refusé de donner son identité lors de son expulsion] va sortir sans rien, et une copine de Nantes le ramène sur zone ». Le dimanche, « peut-être une cinquantaine de personnes, de plein de pays, dont un bon nombre qu’aucun des occupant[s] récent[s] du domaine ne connaît, se succèdent pour trier, récupérer ce qui peut l’être, faire des allers-retours en véhicule pour emmener ça sur d’autres lieux où ça peut servir, et déposer le reste du matos sur la route […] c’est une route des chicanes ! ».
Nombre de zadistes « modérés » ont aussi lâché de bon ou mauvais gré les irréductibles, selon nos informations – leur légalisation (conventions d’occupation précaire, immatriculation, agréments des organismes officiels etc.) est en effet conditionnée au fait qu’ils se rangent dans la légalité et n’apportent pas leur soutien à des activités ou des menées illégales. Le ravitaillement des « irréductibles » se fait à flux tendu depuis Nantes, par les structures d’extrême-gauche implantées dans la ville.
Et le rassemblement « reconstruction » de ce dimanche a fait un flop quasi-total, l’ACIPA et la coordination des opposants n’ayant pas appelé à s’y joindre malgré l’annonce de la présence de militants syndicaux (CGT notamment) épars.
Quant au blessé, son sort n’inspire que peu de pitié. « Ce sont les risques du métier de rebelle en carton », lâche un paysan. « Quand on se dit en guerre contre l’État et qu’on vient pleurnicher parce qu’on se prend de la lacrymo, ou qu’on a tenté de relancer une grenade sur les gendarmes détestés et qu’elle explose dans sa main, c’est qu’on est un abruti. Comme ces quelques dizaines qui persistent à nous emmerder ». A bon entendeur…
« En ce moment, c’est l’internationale du bordel chez nous », explique un habitant de Vigneux, installé tout près de la ZAD. « L’aéroport, ils s’en balancent tous, eux ils veulent casser du flic. Enfin du gendarme. Comme l’autre, qui a ramassé la grenade pour leur balancer en plein dessus. Manque de pot, elle a sauté avant. Soit il avait une mogette à la place du cerveau, soit c’est un type dangereux, dans les deux cas ce n’est pas pour l’arranger. S’il était arrivé à la leur balancer dessus, ce n’est pas un type blessé à la main qu’il y aurait eu, mais un ou plusieurs gendarmes tués ou blessés ».
Des échauffourées encore le 23 mai
Le 22 au soir, malgré le tapage autour du blessé finalement amputé de la main, EDF était intervenue pour couper l’électricité de plusieurs squats, ainsi que Veolia, qui a notamment coupé l’eau à la Wardine. Située le long du chemin de Suez, cette structure de l’extrême-gauche militante à laquelle elle sert de lieu de réunion et de « convergence des luttes » est aussi une base logistique clé de e qui reste des « irréductibles ». Elle leur sert notamment de cantine et de sanitaires.
Le matin du mercredi, rebelote, arrivée des gendarmes à 7h30 pour dégager les chicanes du chemin de Suez et de la RD81. Le dispositif laisse tout de même passer vers le squat des Domaines libérés – encore réoccupé – un « medic » et la mère d’un zadiste. Ceux-ci ont négocié avec les forces de l’ordre, bravant la paranoïa des « irréductibles » qui vouent aux gémonies sur le web n’importe quelle personne vue à discuter avec les gendarmes. De vrais pros de la lettre de dénonciation, toujours prompts pourtant à dénoncer « les heures les plus sombres de notre histoire » et à demander qu’on distribue du Padamalgam en suppositoires.
Des arrestations prévues par le PSIG n’ont pu avoir lieu en forêt de Rohanne. Des affrontements ont aussi eu lieu ce mercredi sur le chemin de Suez, mais de moindre ampleur. Le dispositif policier s’est retiré vers 18 h alors que la destruction de la Châtaigne s’était poursuivie dans la journée.
Emilie Lambert
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