Ce 17 mai près de 4000 commissaires aux comptes – dont 400 à Nantes, 500 à Marseille et 1250 à Paris – ont défilé contre la loi PACTE prévue cet automne qui prévoit de supprimer l’obligation de recourir aux commissaires aux comptes dans les entreprises de moins de 8 millions de chiffre d’affaire annuel. Si bien que cette profession discrète risque de perdre 80% de ses clients. Les commissaires aux comptes défilent pour plaider leur utilité et la casse sociale de leur métier – 7000 emplois pourraient disparaître en France selon eux.
Les commissaires aux comptes sont des acteurs extérieurs aux entreprises qui font des audits comptables et financiers pour vérifier la sincérité des comptes d’une entreprise. Leur statut, la durée de leur nomination (six exercices) et leur rôle sont définis par la loi. Ils ont pour rôle de vérifier les livres et valeurs de l’entité, de contrôler la régularité et la sincérité des comptes, de s’assurer de la sincérité des informations données dans le rapport de gestion et dans les documents adressés aux associés sur la situation financière et les comptes de l’entité, de vérifier, dans les sociétés anonymes, le respect de l’égalité des associés. Enfin ils certifient la régularité et la sincérité des comptes d’une entreprise.
La loi PACTE portée par Bruno Lemaire, censée revivifier la compétitivité des entreprises en simplifiant les obligations administratives, prévoit de supprimer le recours aux commissaires aux comptes pour les entreprises de moins de 8 millions d’euros de CA, moins de 4 millions d’euros d’actifs et moins de 50 salariés. Or elles pèsent 60% du PIB et 40% du chiffre d’affaire des commissaires aux comptes – ainsi que 80% de leurs clients. Les commissaires aux comptes dénoncent une casse légale et sociale qui accélèrera la disparition des petits et moyens cabinets, notamment en province.
Gilles Blanchard, président de la compagnie régionale des commissaires aux comptes de Rennes, nous précise que la « loi PACTE prévoit de relever le seuil d’intervention à 8 millions d’euros, soit les trois quarts des sociétés où on intervient. Ce n’est pas seulement une grosse part du gâteau qu’on nous enlève, c’est aussi un auditeur indépendant qui est supprimé, c’est-à-dire un tiers de confiance indispensable au bon fonctionnement de l’économie».
Certes, le tiers de confiance n’est plus à la mode – comme on le voit avec tous ces projets de mise en place de la blockchain, y compris pour traiter des informations hautement sensibles sur les clients et l’historique de leurs crédits. L’office des crédits de Pologne vient de franchir le pas avec l’aide de l’entreprise britannique Billon. « La main invisible de l’ordinateur n’est pas toujours une bonne régulation », tempère Gilles Blanchard. « Il faut des êtres humains compétents pour assurer le bon fonctionnement de l’économie locale ».
Certes, mais encore faut-il connaître le rôle des commissaires aux comptes. « Nous assurons la confiance et la transparence. Nous contrôlons si l’information des entreprises est fiable, ce qui permet de maintenir la confiance des opérateurs économiques dans l’environnement de l’entreprise, des salariés, clients, fournisseurs. Nous avons aussi un rôle de prévention, pour surveiller la santé d’une entreprise, comme un médecin ».
Un médecin qui est aussi « le partenaire historique du chef d’entreprise, avec l’avocat et l’expert-comptable. C’est un équilibre que Bruno le Maire est en train de fragiliser ». Les commissaires aux comptes – qui défilent à Nantes, Toulouse, Lyon, Marseille, Strasbourg et Paris où ils se regroupent en venant de plusieurs régions, à Nantes ils viennent de Brest jusqu’à Poitiers, ne réclament « pas la non-réforme, mais une réforme co-construite avec la profession ».
C’est-à-dire ? « Un seuil avant 8 millions d’euros adapté au tissu économique, continuer à exister dans les groupes de sociétés plus complexes pour être à la hauteur des enjeux et mettre en avant nos nouvelles missions, notamment pour la finance des particuliers vers l’entreprises, la RSE, la cyber-sécurité. On dit au gouvernement gardez-nous avec des missions ciblées mais nécessaires au bon état de l’économie».
Michel, venu de Niot, est assez pessimiste « ils ont envie de casser notre métier, ils vont le faire. Au gouvernement, ils ne connaissent que les grosses entreprises, ils ne savent rien aux PME. S’ils veulent faire des choses pour les PME, il y a bien d’autres choses à simplifier. Quand le ministre [le Maire] il dit qu’en nous supprimant, ça va permettre d’embaucher, il prouve son incompétence – comment voulez-vous embaucher avec 3 ou 4000 € ? ».
Pour le commissaire aux comptes, « en Italie et en Suède où la réforme a été faite, ils sont revenus en arrière. Mais ce n’est pas évident de reconstruire la profession – sans oublier les jeunes qui seront sur le carreau. On nage en pleine incohérence – depuis plusieurs années, ils nous ont rajouté plein de règles hyper-draconiennes, en complexifiant notre métier, et maintenant c’est pour nous supprimer. La simplification selon le gouvernement, on connaît : la déclaration salariale nominative, ça devait être une simplification, c’est la cata, le prélèvement à la source, je crains le pire… »
Louis-Benoît Greffe
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