Intérimaire, Julien (*) est arrivé à Nantes courant 2015. Très vite, il a rencontré des problèmes pour se loger : les bailleurs demandent de nombreuses garanties (parfois illégales) et les loyers sont chers. Avec ses amis, il ouvre plusieurs squats, jusqu’à ce qu’il se fasse attraper et juger. Depuis il a arrêté, mais il nous a livré quelques secrets – tout en tenant, ce qui se comprend, à rester discret. Témoignage.
Breizh Info : Julien, pourquoi avez-vous commencé à ouvrir des squats ?
Julien : Je suis arrivé à Nantes en 2015, j’ai rencontré des problèmes pour me loger. Par ailleurs j’avais une bande d’amis et on logeait souvent en squat ensemble. Il faut dire aussi qu’il y avait de l’alcool, on faisait la fête. Bref, c’était un mode de vie à part entière.
Breizh Info : vous avez ouvert combien de squats ?
Julien : Pas mal en fait. A Nantes et aux alentours immédiats, Rezé, Saint-Herblain etc. il y a 10% de bâtiments vides en gros, donc il y a plein d’endroits pour se loger.
Breizh Info : vous faisiez comment pour rentrer ?
Julien : On repérait les bâtiments vides. Parfois, ils étaient abandonnés depuis si longtemps que ce n’était plus fermé, donc on rentrait, on installait des serrures et on se logeait, parfois il fallait forcer un peu. Mais casser laisse toujours des traces, et c’est plus fermement puni par la justice (effraction) que si on a vu la porte ouverte, la lumière allumée et qu’on est entrés, alors si on pouvait éviter…
Breizh Info : Diffusé par l’ultra-gauche, le Squat de A à Z préconise de s’envoyer des factures EDF ou de téléphone à l’adresse du squat pour justifier d’une occupation assez antérieure au moment où la police viendra constater le squat, que faisiez-vous ?
Julien : ah ça nous arrivait. Des simples courriers suffisaient.
Breizh Info : vous en ouvriez dans quels quartiers ?
Julien : L’est, le sud de la ville, et l’île Beaulieu. Il y a d’ailleurs toujours plein de squats dans ces quartiers [et à Chantenay aussi]
Breizh Info : Quel est le plus gros squat que vous avez ouvert ?
Julien : à Mangin, sur l’île Beaulieu. Onze studios, une trentaine d’occupants au plus fort. Il a brûlé d’ailleurs [en octobre 2016, 17 occupants dont deux blessés]
Breizh Info : vous vous souvenez pourquoi a-t-il brûlé ?
Julien : Facile, l’électricité. Le feu a pris là où il y avait tous les branchements.
Breizh Info : en moyenne, combien de temps tenait un de vos squats ?
Julien : Deux à trois mois, pas plus. Soit on se faisait évacuer, soit il y avait un gros pépin avec la sécurité. Souvent d’origine électrique, d’ailleurs. L’électricité dans un squat, c’est souvent n’importe quoi, il n’y a que des rallonges qui se suivent, des multiprises, la sécurité, tout le monde s’en fout. Il finit par y avoir une surtension et ça brûle.
Breizh Info : vous faisiez comment pour rétablir l’électricité ?
Julien : Bien souvent, elle n’était pas coupée. Il suffisait d’aller au tableau pour la rétablir. Si elle l’était, il y avait plusieurs solutions : faire des branchements de chantier ou faire appel à des potes « spécialisés » qui la rétablissaient, en bricolant.
Breizh Info : et pour rétablir l’eau ?
Julien : Un ami chaudronnier nous a fait deux clés en T [clé de fontainier] – la première ne s’est pas avérée assez longue – pour rétablir l’eau à même la voirie. C’est élémentaire : on ouvre le cache [bouche à clé] en fonte, on enfonce la clé et on tourne – enfin quand l’extrémité de la tige de commande où s’encastre la clé n’est pas ensablée ou pas tout à fait à la verticale de la bouche, ce qui arrive souvent à Nantes. D’autant qu’il faut faire vite et être discret. Avec une clé en T de deux mètres, ce n’est pas facile !
Breizh Info : qu’est-ce qui, selon vous, précipite le plus la fin des squats que vous avez ouvert, en-dehors des pépins et incidents liés à l’électricité ?
Julien : la fête. Un squat c’est un lieu où il y a du passage, des gens qui viennent s’installer, pour une nuit ou plus, on est jeunes en plus donc de l’alcool, beaucoup d’alcool, du bruit. Les voisins finissent par en avoir marre – ou la mairie, ou les deux – et un jour ou l’autre c’est l’expulsion.
Breizh Info : Pourquoi avez-vous arrêté d’ouvrir des squats ?
Julien : un jour j’ai été pris en flagrant délit à Rezé : les bâtiments étaient complètement abandonnés mais sous alarme. J’ai été jugé, j’ai pris une peine avec sursis. Si je recommence, c’est la prison. J’ai arrêté, je loue maintenant. Mais bien d’autres que j’ai connu dans mes squats ou qui en ouvraient continuent toujours.
(*) Le prénom a été changé
Propos recueillis par Louis Moulin
Photo : Pxhere
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