Le chercheur Jean-Paul Gourévitch vient de publier un nouveau rapport en collaboration avec l’association Contribuables Associés : « Loi Macron sur l’immigration : données, enjeux financiers et chiffres clés » (à télécharger ici)
Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l’Afrique et l’immigration, et docteur en sciences de l’information de la communication. Il a enseigné l’image politique à l’université Paris XII et publié de nombreux ouvrages.
Cette étude a pour objet d’analyser les incidences financières liées à la politique migratoire de la France, ces données étant trop souvent ignorées dans le débat politique.
Parallèlement à cette étude, il publie un nouvel ouvrage sur la Mer Méditerranée intitulé : « la Méditerranée, conquête, puissance, déclin », ouvrage passionnant alors que tout se joue autour de cette Mer encore aujourd’hui pour les Européens.
Nous l’avons donc interviewé, sur la crise migratoire, sur la démographie, sur les solutions à mettre en œuvre.
Breizh-info.com : Tout d’abord, quel bilan démographique dressez-vous après plusieurs années d’une crise migratoire sans précédent que subissent l’Europe et la France ?
Jean-Paul Gourévitch : Vous vous souvenez peut-être de la la campagne de diffamation dont j’ai été victime en 2014 lors de la publication des Migrations pour les Nuls (First), suite à une dépêche incendiaire d’une journaliste engagée de l’AFP, reprise immédiatement in extenso par 51 journaux de la presse écrite , audiovisuelle, et du Net. Dans un des rares supports qui m’avait donné la parole j’avais alors déclaré qu’il fallait s’attendre en 2015 à l’arrivée en Europe d’un million à un million et demi de migrants politiques et économiques dans l’Union européenne.
On m’avait immédiatement accusé d’instrumentaliser les peurs, de rouler pour l’extrême droite, j’en passe et de plus sordides. Le résultat on le connaît. Selon Eurostat, 1,256 million de personnes sont entrées en 2015 dans l’UE. Je ne m’étais pas beaucoup trompé.
Le problème n’a pas évolué. L’Union européenne n’anticipe pas les flux migratoires. Courant derrière les événements, elle se trouve en difficulté pour les gérer. Aujourd’hui le solde naturel des naissances et des décès dans l’UE est proche de zéro. L’augmentation de la population européenne est donc uniquement au solde migratoire et au différentiel de fécondité entre les populations d’origine étrangère et les populations qui y vivent depuis plusieurs générations. Certes la transition démographique touche les populations maghrébines en Europe comme dans leur pays de naissance. Mais ce n’est pas encore le cas, loin de là pour les populations d’origine turque et surtout d’Afrique subsaharienne.
Il faut quand même dénoncer le jeu de bonneteau auquel se livre l’INSEE qui annonce un solde migratoire de 69.000 personnes en France en 2017. Mathématiquement c’est exact puisque c’est la différence entre les entrants et les sortants. Sauf que sociologiquement ceux qui arrivent en France ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui partent. Le solde migratoire de l’immigration en 2017 est positif d’environ 160.000 personnes, celui de l’expatriation est négatif d’environ 156.000 personnes. Cela veut dire que la France a connu en 2017 une transformation de 316. 000 personnes soit 0, 47% de sa population. Même si ce n’est pas encore « le Grand remplacement », c’est une donnée qu’on ne peut passer sous silence.
Breizh-info.com : Est-il possible de chiffrer le coût, pour le contribuable, de ces vagues de migrants, qui s »ajoutent à l’immigration « traditionnelle » ?
Jean-Paul Gourévitch : Nous l’avions essayé avec Contribuables Associés sur les migrations méditerranéennes de 2015 et nous étions arrivés à un surcoût sur l’année d’1,38 milliards d’euros. Ce qui est relativement mineur par rapport au déficit de l’immigration que nous avons chiffré en vitesse de croisière annuelle aux alentours de 20 milliards d’euros. Mais ce surcoût n’est pas conjoncturel, il est structurel et se répercute sur les années postérieures à l’arrivée de ces migrants.
Les enquêtes faites par l’OCDE sur l’insertion professionnelle des vagues récentes de migrants en Europe montrent qu’au bout de 5 ans, un tiers seulement aurait trouvé un emploi dans l’économie formelle. Même si l’on y ajoute ceux qui ont trouvé du travail dans l’économie informelle, on peut conjecturer qu’au bout de cinq ans plus de la moitié sont toujours à la charge de la collectivité nationale. Les enquêtes de l’OFII sur l’intégration des bénéficiaires d’une protection subsidiaire sont encore plus décourageantes. Après 2 ans, 9,3% déclarent avoir un emploi. Certes le délai retenu est court et une partie de ceux qui sont en formation sont susceptibles d’intégrer le marche du travail. Mais au bout du compte, il paraît clair que les gouvernants doivent changer leur logiciel.
Le problème des migrants ce n’est pas l’accueil car il y a de nombreuses bonnes volontés tant publiques que privées pour recevoir le plus décemment possible ceux qui arrivent. C’est de savoir ce qu’ils vont devenir dans notre pays. Comme nous l’avons écrit dans la plaquette que Contribuables Associés vient de sortir sur la loi Macron sur l’immigration « Un pays qui ne se demande pas s’il a la capacité de fournir du travail à tous ceux qu’il accepte ne fait que renforcer le nombre de chômeurs, leur précarisation et le coût d’une opération supportée en définitive par l’État c’est à dire par les contribuables ».
Breizh-info.com : Concernant les mineurs isolés étrangers, les départements évoquent un coût entre 50 000 et 60 000 euros par an et par mineur. On a l’impression que c’est un puits sans fond, non ?
Jean-Paul Gourévitch : C’est une difficulté majeure d’autant plus les pays sont bloqués par les réglementations internationales sur les droits de l’homme et de l’enfant que personne n’ose remettre en question alors qu’elles ont été adoptées à une époque où le problème des mineurs étrangers arrivant en masse sur le territoire des pays occidentaux ne se posait pas. Il est difficile d’évaluer de tels coûts et notre approche d’un coût unitaire de 50.000 euros n’est qu’une estimation qui représente néanmoins près de 2 milliards d’euros en coût annuel.
Le problème est insoluble une fois que ces mineurs ont mis le pied sur le sol européen. On peut néanmoins limiter les flux notamment en traquant les faux membres de la famille, les fameux « oncles » supposés les accompagner pendant les vols et qui s’évanouissent dans la nature dès l’arrivée à l’aéroport. C’est à l’embarquement que les compagnies aériennes et la police aux frontières des pays d’origine doivent intervenir en réclamant des justificatifs précis et validés par la famille pour les autoriser à partir. Quant aux mineurs isolés, il suffit d’appliquer la législation qui bloque tout départ non accompagné.
Breizh-info.com : Dans son ouvrage « la ruée vers l’Europe », Stephen Smith évoque des millions d’Africains en route pour l’Europe dans les prochaines années et une africanisation à venir de l’Europe. Avez vous lu son ouvrage et que pensez vous de sa thèse ?
Jean-Paul Gourévitch : Je connais bien Stephen Smith qui autrefois contestait mes analyses qu’il reprend en partie aujourd’hui. C’est un très bon connaisseur de l’Afrique qui n’hésite pas à mettre en pièces les idées reçues et je ne peux que me réjouir , maintenant qu’il travaille aux États-Unis et loin de la pression des journaux pour lesquels il rédigeait ses articles, qu’il puisse s’exprimer sans langue de bois.
Breizh-info.com : Démographiquement, est-il possible de contenir l’explosion à venir de l’Afrique ? Si oui, par quels moyens ?
Jean-Paul Gourévitch : Que l’Afrique subsaharienne ne soit pas encore entrée dans la transition démographique c’est indiscutable. Ceci dit, il faut rester très prudent sur les prévisions à long terme. Personne ne peut sérieusement prévoir le nombre d’habitants du continent africain en 2050, notamment parce que personne ne peut prédire quel sera l’état de la sécurité alimentaire et politique dans chacun des pays du continent. Quand on se joue à se faire peur ou au contraire à se rassurer à bon compte, cela crée davantage de phantasmes que de certitudes.
Breizh-info.com : Nos dirigeants abordent très peu la question de la démographie mondiale, qui semble pourtant fondamentale dans les décennies à venir. Pour quelles raisons, à l’heure où l’on ne cesse pourtant de parler d’écologie et de préservation de la planète ?
Jean-Paul Gourévitch : C’est tout à fait exact. On mesure mal les risques des migrations environnementales qui pourtant sont en pleine croissance et qui avec le réchauffement climatique, la désertification, la déforestation et l’avancée des océans ne peuvent que s’amplifier. Je crains qu’une fois de plus et malgré les lanceurs d’alerte l’Union Européenne ne sache pas plus anticiper ces nouvelles vagues que les précédentes.
Breizh-info.com : Vous publiez un ouvrage intitulé « la Méditerranée, conquête, puissance, déclin ». Pouvez vous nous le présenter? N’est-ce pas finalement sur cette mer que s’est joué et que se joue encore tout le destin de l’Europe, et des autres civilisations qui l’entourent ?
Jean-Paul Gourévitch : Cet ouvrage qui sort chez Desclée de Brouwer le 4 avril n’a pas la prétention de refaire, après Braudel, une histoire de la Méditerranée. Ce qui m’a intéressé c’est plutôt de reconstituer, à la manière d’un roman, l’histoire du rêve méditerranéen c’est à dire de tous ceux qui ont cru pouvoir transformer cette mer mitoyenne en un lac intérieur sur lequel ils régneraient sans partage. Les Romains y sont parvenus avec leur mare nostrum. D’autres ont cherché à rééditer cet exploit: l’empereur Justinien, les conquérants musulmans, les chevaliers francs, l’empire ottoman, l’Europe colonisatrice, Hitler et son plan B, Nasser et le nationalisme arabe, les chantres de l’Union Pour la Méditerranée qui pensaient réconcilier les peuples de son pourtour ou les islamistes qui voulaient exporter leur idéologie mortifère du Sud au Nord et de l’Est à l’Ouest.
La Méditerranée a suscité d’autres rêves. Ceux d’Ulysse le premier héros méditerranéen, des Vénitiens, les pirates chrétiens et barbaresques…Aujourd’hui ce sont ceux des amoureux de ses rivages, de ses ports, de sa culture, de ses îles et des migrants qui veulent coûte que coûte la traverser.
A l’heure de la mondialisation, la Méditerranée médiatrice, indomptable et rebelle, qui fut autrefois le berceau des trois religions du Livre reste toujours et paradoxalement dans son espace limité, le champ d’affrontement privilégié de nos civilisations.
Propos recueillis par Yann Vallerie
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