La redistribution des terres de la ZAD de Notre-Dame des Landes n’en finit pas de faire couler de l’encre. Surtout si l’Etat – et les paysans riverains – refusent de se coucher tout à fait devant les accaparements de terres déjà faits par Copain 44 et certains zadistes. Alors que l’Etat a prolongé pour 2018 le gel des terres agricoles sur la ZAD – qui seront distribuées selon des conventions d’occupation précaires – il refuse cependant mordicus une gestion des terres comme au Larzac qui ferait échapper l’ex-ZAD de Notre-Dame des Landes au droit commun. Près de 200 « irréductibles », dont très peu de vrais zadistes, se sont rassemblés ce lundi à 13h devant la Préfecture.
Il y avait des moutons, des tracteurs et de la paille, mais dans les rangs, très peu de paysans et de zadistes – plutôt des soutiens nantais de la ZAD, y compris au sein de l’ultra-gauche. Le rassemblement – qui a vu la déambulation d’un triton géant porté par les manifestants, avait lieu de 13h à 15h45 sur le rond-point devant la Préfecture, en marge d’un comité de pilotage sur la gestion des terres, en présence des collectivités locales, de la chambre d’agriculture, des syndicats agricoles, des services de l’État et des associations de paysans historiquement opposés au projet. L’ACIPA s’est dissociée de ce rassemblement – sans interdire à ses adhérents d’y aller – et son porte-parole Anthony Meignen a tenu à le rappeler sur Twitter.
Ce n’est PAS notre rassemblement combien de fois faudra-t-il le répéter ! Et ce n’est pas une centaine de personnes, quelques tracteurs (aucun des nôtres) et 3 moutons qui risquent de « saccager » #Nantes … arrêtez donc de voir le mal partout #NDDL c’est définitivement terminé !
— Anthony Meignen (@AnthonyMeignen) 19 mars 2018
Il précède une visite de deux jours de Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique, à Nantes et Notre-Dame-des-Landes. Ce dernier va rencontrer ces 20 et 21 mars le président de la Chambre d’Agriculture de Loire-Atlantique, une délégation d’occupants de la ZAD, le président du conseil général de Loire-Atlantique – qui se plaindra sans doute de ne pouvoir achever les très laborieux travaux de réouverture de la RD281 (ex-route des chicanes) arrêtés après que l’enrobé tout neuf ait été dégradé au carrefour des Fosses Noires – la mairesse de Nantes Johanna Rolland (PS), la présidente des Pays de Loire Christelle Morançais (LR). Le lendemain il échange avec les syndicats agricoles puis va à Notre-Dame des Landes même.
Copain 44 veut le dialogue… mais seulement sur ses propositions
Le rassemblement des « irréductibles » devant la Préfecture avait été d’abord condamné par l’ACIPA, qui trouvait « constructives » les discussions avec les pouvoirs publics. L’initiative avait en revanche été soutenue par des zadistes opposés à la réouverture de la RD281 – la décision a été littéralement imposée par l’ACIPA et certains zadistes (CMDO) ou collectifs plus ou moins proches de la ZAD (Maison de la grève à Rennes…) et qui se sentent laissé de côté alors qu’ils ont été en première ligne en 2012 contre les forces de l’ordre lors de l’Opération César.
« Nous sommes nombreux.ses à avoir compris le message « on est chez nous » passé en janvier et à ne plus venir aux AG ni même sur la zone après des années de lutte à porter des initiatives qui n’allaient pas dans le sens de notre sensibilité. Le « mouvement » aurait choisi « dans sa grande majorité » de jouer la carte d’une seule stratégie bien ordonnée, rompant ainsi avec la notion de diversité… Il ne faut pas s’étonner ensuite que les personnes qui se retrouvent ainsi « sur le bord de la route » choisissent d’agir à leur guise », commente ainsi un de ces « irréductibles » sur le média d’extrême-gauche Indymedia Nantes, témoignant d’une réelle fracture entre les zadistes ou soutiens extérieurs de la ZAD.
Finalement, des paysans de Copain 44 – collectif très proche de la Confédération Paysanne et mis en cause par des paysans riverains de la ZAD pour avoir accaparé des terres « au nom de la lutte » pendant plusieurs années – y étaient aussi avec leurs tracteurs.
Leurs griefs : l’approche de l’Etat est seulement agricole – alors qu’ils demandent aussi la prise en compte des enjeux environnementaux – et surtout l’Etat refuse une solution de type Larzac qui ferait échapper les terres au droit commun… et donnerait les clés à la Confédération Paysanne, ce que les deux autres syndicats agricoles (Coordination Rurale et FNSEA) ne peuvent accepter, pas plus que de nombreux agriculteurs locaux non syndiqués qui en ont assez de la zone de non-droit (absence de contrôles vétérinaires, exploitations sans droit d’exploiter, animaux sans boucles, établissements fonctionnant « au black » etc.) que constitue la ZAD.
Autre chose : Copain 44 s’oppose aussi à la présence, dans les comités chargés de discuter de l’avenir de la ZAD, de l’AMELAZA (association pour le maintien des exploitations légales sur l’ancienne zone aéroportuaire) qui regroupe déjà une trentaine des cinquante exploitations agricoles de la ZAD. Celle-ci dénonce les accaparements de terres faits par les zadistes et Copain 44 et pèse fortement pour un retour au droit commun sur l’ex-ZAD. Où certains paysans – dont Serge Durand à Bellevue jusque fin janvier 2013 et Guy Lamisse à l’Isolette – ont été harcelés continuellement par les zadistes, indépendamment de leur position sur l’aéroport, et surtout, in fine, car ils avaient les meilleures terres.
Surtout, elle n’est composée que d’agriculteurs locaux, ce qui n’est pas forcément le cas de Copain44 et de la Confédération Paysanne. Bref, comme le résume le porte-parole de Copain 44 Vincent Delabouglise au Monde « « On n’est pas dans une démarche d’opposition, on est ouverts à un vrai début de dialogue mais sur la base de nos propositions » Traduction : OK pour le dialogue, mais seulement si vous êtes d’accord avec nous.
Du reste, Vincent Delabouglise n’est pas vraiment de Notre-Dame des Landes, même s’il a été beaucoup vu ces dernières années près de l’ex-futur aéroport nantais. Cet animateur de la Confédération paysanne avait une ferme au Pellerin (ferme de la Picardière à Vièvre), au sud-ouest de Nantes, de l’autre côté de la Loire. Après avoir trouvé un successeur en 2013, il émarge dans les « travaux de menuiserie métallique et serrurerie » à Blain, puis depuis 2015 à Marsac sur Don, 30 km au nord de Notre-Dame des Landes.
La position de l’Etat ne change pas : oui à ceux qui ont un projet
La position de l’Etat – résumée par le préfet Nicole Klein – ne change pas. L’Etat tend la main à « un projet agricole ouvert », c’est-à-dire à tous ceux qui ont « un projet qui touche quelque part à l’agriculture au sens le plus large ». A la condition que les nouveaux agriculteurs rejoignent le droit commun, notamment l’inscription à la Mutualité sociale agricole (MSA). Les conditions sont assez libérales, il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme agricole ou même une autorisation d’exploiter pour y être affilié.
En revanche, le spectre des expulsions ciblées est maintenu pour ceux qui n’ont aucun projet – on pense notamment aussi aux « lieux périphériques » squattés autour de la ZAD, par exemple à l’extrémité sud de la RD281 avant le centre de santé du Bois Rignoux (la Pâquelais) – qui ne sont pas pour rien dans l’extrême hostilité des zadistes locaux à laisser la route rouvrir à la circulation – ou parfois situés bien plus loin (Héric, Fay de Bretagne, Nantes-Doulon…).
Une manifestation a été annoncée par l’ultra-gauche nantaise le 31 mars – date de fin de la trêve hivernale – à Nantes afin de s’opposer à ces expulsions à venir. Pas moins de trois réunions de préparation ont été prévues – l’une le 13 mars dans le bar associatif la Dérive (1 rue du Gué Robert) où l’ultra-gauche loge habituellement ses activités de propagande visant les lycéens et la jeunesse, deux autres les 19 et 26 mars chez Sud-Solidaires près du marché de Talensac.
D’ici le 31, une « balade des lieux à défendre » est prévue le matin du 25 mars : sorte de chemin de croix de l’ultra-gauche, il passe successivement par le Jardin des Ronces (Vieux-Doulon), le Yellowpark à la Beaujoire, le parc de la Moutonnerie dont l’urbanisation est contestée par l’ultra-gauche, le square Daviais, le nouveau CHU sur l’île de Nantes, le squat des clandestins rue de Bréa derrière la place Graslin et la carrière Miséry à Chantenay où la mairie socialiste s’entête à vouloir implanter le très dispendieux et peu transparent Arbre aux Hérons. Bref, un aperçu des contestations que l’ultra-gauche entend porter à Nantes… voire des futures ZAD si l’état de droit revient un jour à Notre-Dame des Landes ?
Emilie Lambert
Crédit photo : Breizh-info.com
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