Stéphanie Gibaud : « Il est primordial que l’anonymat du lanceur d’alerte soit respecté »

15/11/2017 – 12H00 Ploërmel (Breizh-info.com) –Nous évoquions mardi 14 novembre la venue prochaine de Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte au centre d’un scandale touchant UBS France. A quelques jours de sa conférence à Ploërmel, nous l’avons interrogée afin de connaitre son parcours, de mieux comprendre le rôle des lanceurs d’alerte aujourd’hui et leur sécurité, notamment en France.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Stéphanie Gibaud : En 2008, suite à une perquisition dans le bureau du Directeur Général d’UBS France, ma supérieure hiérarchique m’a demandé de détruire une partie de mes données informatiques puis mes archives « papier ». J’ai été interpellée par la perquisition sur laquelle aucun élément ne m’a été communiqué. Je voyais que l’on m’en voulait, que l’on cherchait à se débarrasser de moi et je ne comprenais pas le lien entre la perquisition et mon métier. Depuis presque 10 ans, j’étais responsable RP (Relations Publiques), je m’occupais essentiellement des plateformes événementielles où étaient conviés les clients et les prospects de la banque.

Dans mes fichiers étaient notés les noms des invités, quelques informations confidentielles les concernant et notamment le nom de leur banquier en France et/ ou en Suisse. C’est cet élément qui posait (pose) un problème à UBS puisque je me suis rapprochée de certains de mes collègues banquiers qui m’ont expliqué qu’on leur demandait de travailler main dans la main avec les banquiers suisses, luxembourgeois ; ils m’ont appris que les bonus des banquiers français qui respectaient le code de déontologie étaient inférieurs à ceux qui aidaient ou encourageaient leurs clients à ouvrir des comptes offshore ; enfin j’ai appris que ces opérations offshore n’entraient pas dans la comptabilité officielle d’UBS France, elles étaient tenues à la main dans un carnet appelé « Carnet du Lait » au crayon papier. Tout cela a fait l’objet de la plainte que j’ai déposée contre la maison mère UBS en Suisse avec la complicité d’UBS France.

Breizh-info.com : Que s’est il passé lors de votre passage chez UBS France ? Pourquoi avez vous été licenciée ?

Stéphanie Gibaud : J’ai été placardisée, isolée, harcelée chez UBS lorsque j’ai refusé d’obtempérer et lorsque j’ai posé des questions à mes DRH, président, directeur Général, directeur juridique etc. Puis j’ai été dégradée. J’en ai fait une dépression. Mes missions ont même été confiées à une autre collaboratrice de la banque qui n’avait pas mes compétences. Je vous suggère d’écouter ceci qui résume tout à fait la situation :

Breizh-info.com : Est-il possible d’estimer le poids de l’évasion fiscale en France ? Pourquoi est-ce une pratique qui vous choque ?

Stéphanie Gibaud : Les chiffres annoncés par les spécialistes sont énormes : 60 à 80 milliards d’euros quittent notre pays chaque année. Le dossier UBS représenterait 19 milliards d’euros pour la période 2002 – 2008. L’évasion fiscale est un délit, c’est tout simplement un vol. Ceux qui ont le plus ont les moyens de contourner une obligation et de facto ceux qui ont le moins sont obligés de payer pour ceux qui ne contribuent pas. Est-ce cela la démocratie ?

Nous avons prouvé avec nos dossiers que les citoyens ne sont pas égaux devant l’impôt et c’est effectivement assez choquant lorsque l’on fait le constat de ce qui se nomme la crise : pendant que beaucoup s’appauvrissent, il n’y a jamais eu autant de milliardaires de part le monde.

Breizh-info.com : Vous venez de sortir le livre intitulé « La traque des lanceurs d’alerte ». Pouvez vous nous expliquer comment, vous concernant, cela s’est produit ?

Stéphanie Gibaud : J’ai envoyé plus de mille CV après ma sortie de la banque : aucune réponse. J’ai gagné deux fois en justice mais la justice étant parcellaire, je n’ai pas été réparée. Elle m’a donné raison – ce que je savais puisque j’ai toujours dit la vérité – mais elle ne m’a pas réparée des 3 années et demie de harcèlement vécues à l’intérieur de l’entreprise. Pas plus qu’elle ne répare le fait que je suis sans emploi depuis mon licenciement. Je me suis donc tournée vers nos eurodéputés à Bruxelles, qui ont eu beaucoup de compassion pour moi ; mon histoire les a émus mais aucune action concrète n’a été décidée. Je me suis également tournée vers nos ministres, notre président de la République, nos sénateurs, nos députés.

Les uns, comme Michel Sapin, se disent impuissants sur mon dossier. D’autres ne se donnent pas la peine de répondre. Licenciée en février 2012, cela fera bientôt 6 années que je (sur)vis sans revenus avec les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur une vie de famille, une vie sociale, une vie tout court. Les procédures avec UBS sont toujours en cours puisque la banque a attaqué mon premier livre en diffamation.

Breizh-info.com : Comment selon vous protéger les lanceurs d’alerte ? Faudrait-t-il la création d »un statut – comme certains journalistes (possédant la carte de presse) peuvent l’avoir ?

Stéphanie Gibaud : Le statut existe avec la loi Sapin II. Le problème n’est pas la loi ni les lois, qui sont très nombreuses dans notre pays, mais l’application des lois. Nous avions prouvé avec nos dossiers que nous n’étions pas égaux devant l’impôt, nous ne le sommes pas non plus devant la justice, malheureusement. Il est primordial que l’anonymat du lanceur d’alerte soit respecté, sinon il est « assassiné » comme je l’explique très clairement dans tous les chapitres de « La traque des lanceurs d’alerte ».

Il serait utile de pénaliser lourdement les fraudeurs, les corrupteurs et les corrompus. Le constat est fait, les dysfonctionnements concernent toutes les industries et toutes les administrations. Des préconisations, des solutions sont relatées à la fin de chaque chapitre de mon livre ; le dernier chapitre est consacré à l’après : comment remplacer les dysfonctionnements du monde actuel ? Les solutions sont citoyennes, nous nous devons de nous rassembler pour nous protéger.

Breizh-info.com : Vous avez été candidate Debout la France. Pourquoi avoir « ajouté » cet engagement politique ?

Stéphanie Gibaud : Je ne suis pas encartée DLF, je connais Nicolas Dupont-Aignan depuis 2013. Il a toujours soutenu le combat des lanceurs d’alerte, notamment ceux de la finance puisqu’il a travaillé avec le député communiste Alain Bocquet en 2013 sur la question du « Carrousel TVA » (20 milliards d’Euros de fraude annuellement). J’ai accepté d’être candidate pour les Régionales à Paris puisqu’il était question de savoir comment sont dépensés les impôts des Franciliens, comment l’enveloppe financière est distribuée, attribuée par secteur, par poste de dépenses. L’intégrité et l’éthique doivent faire partie de chaque engagement politique, il n’est pas question d’idéologie mais de défendre notre bien commun. Les élus sont au service des électeurs et en cela ils doivent défendre leurs intérêts.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Photo  Wikipedia (cc)
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