Si tous les enseignants ont entendu parler de la méthode Freinet qui est un des mythes de l’Education, peu se sont vraiment intéressés au parcours de l’individu. Le livre d’Emmanuel Saint-Fuscien éclaire la personnalité de cet instituteur sous un angle original puisqu’il s’intéresse aux attitudes face aux guerres et à l’impact que celles-ci ont pu avoir sur Freinet.
Trois guerres donc, la première guerre mondiale ou le jeune instituteur est envoyé au front comme officier ; la guerre d’Espagne pendant laquelle il accueille des enfants de républicains espagnols dans l’école qu’il a fondée à St Paul de Vence et enfin la deuxième guerre mondiale qu’il parcourt de manière fantomatique.
Si la première partie consacrée à 1914-18 a suscité peu d’intérêt chez moi car on y apprend finalement peu sur Célestin Freinet qu’on ne puisse lire ailleurs il est certain que cet affrontement meurtrier a laissé des traces sur toute une génération (Céline, Junger …) et a généré chez Freinet des interrogations fondamentales sur la pédagogie qui doit être mise en œuvre : « Que puis-je vous apprendre ? Comment on amorce une grenade et comment on la jette sur des êtres humains ?… ». Comment être pédagogue quand on est survivant des gueules cassées et des poumons déchirés ? Et aussi quand on est admirateur de la nouvelle révolution bolchevique qui essaime en Europe…
Car Freinet est communiste et a la volonté de transférer à l’école des méthodes « démocratiques ». Son imprimerie à l’école permettra de créer un mini-soviet géré par et pour les élèves. Pleinement acteur de la vie civique ces années 1919-1936 (deuxième partie) verront peu à peu le vétéran de 14 s’ériger en chantre de la révolution marxiste et être sanctionné à cause de ses engagements, où plutôt d’un acte impardonnable (brandir un revolver chargé dans la cour de récréation) pour un pédagogue. C’est donc en retrait de l’Education Nationale (encore Instruction Publique) qu’il fondera son école privée et qu’il s’engagera encore du côté des républicains espagnols en hébergeant des élèves et en correspondant avec leurs relations.
La deuxième guerre mondiale arrive et l’instituteur communiste semble en retrait au début, suivant les consignes de Moscou, puis il propose ses services à divers Collaborateurs afin de participer à cette nouvelle ère de la révolution nationale dont certains thèmes (jeunesse au plein air, engagement pour une cause, condamnation du cinéma et des lieux de débauche, travail manuel, aval de Vichy pour la création d’écoles nouvelles…) rejoignent ses pratiques. Enfin il sera résistant de la dernière heure et sera un acteur zélé et intrigant de la répression lors de l’épuration et de la reconstruction.
Il finira sa vie entre ruptures et conflits, brouilles avec d’autres courants pédagogiques ou avec ses chapelles politiques, étant devenu un mandarin éloigné de ses principes antérieurs.
Finalement l’angle de lecture abordé suscite beaucoup d’intérêt car c’est un angle novateur qui pourtant semble au moins dans le cas de Célestin Freinet un axe aux conséquences importantes pour son action pédagogique.
Le livre est accompagné d’une bibliographie qui permettra à l’amateur d’approfondir encore la question ; en conclusion ces 200 pages m’ont permis de questionner autrement un pédagogue que je n’avais fréquenté que sous l’angle habituel des pédagogues, occultant l’impact de ces guerres.
Célestin Freinet, un pédagogue en guerres – Emmanuel Saint-Fuscien – 20 euros
Eric ABGRAAL
Photo : DR
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