09/10/2017 – 07H00 Barcelone (Breizh-info.com) – En marge des foules qui se sont levées dimanche 1er octobre pour aller voter et les jours suivants pour défendre les conséquences de leur vote – c’est à dire l’indépendance immédiate de la Catalogne – il y a aussi des Catalans et des habitants de la Catalogne qui sont opposés à l’indépendance. Ils étaient d’ailleurs nombreux, très nombreux (environ 500 000) à défiler hier pour réclamer le maintien de la Catalogne en Espagne.
Celle-ci concentre en effet l’opposition de grands groupes économiques, puisque Madrid, qui a échoué à raisonner les indépendantistes catalans, tente d’exercer des pressions économiques avec pour argument : si la Catalogne sort de l’Espagne, elle sera en-dehors de l’UE. Le commissaire européen à l’Économie, voix des mondialistes au sein de l’UE, a confirmé qu’une Catalogne indépendante ne sera pas membre de l’UE « immédiatement ». L’Espagne oublie d’ajouter : sauf accord politique dans le cadre d’une médiation internationale.
Pour l’heure, Madrid a torpillé toutes les propositions, qu’elles viennent de l’intérieur (Pablo Iglesias, président de Podemos), que de l’extérieur. On parle maintenant d’une proposition de médiation française avec Manuel Valls comme arbitre, et le Vatican s’est aussi proposé pour tenter de renouer le dialogue – l’Église est respectée en Catalogne et a beaucoup d’influence en Espagne.
Du côté des entreprises, plusieurs ont décidé de faire leurs bagages pour l’Espagne afin de rester dans la zone euro ; il ne s’agit pour l’instant que de déplacer les sièges administratifs, les usines et sites restant en Catalogne. Outre le groupe Naturhouse en août, la banque Sabadell, 5e banque d’Espagne, a décidé de quitter la Catalogne qui lui a donné son nom – Sabadell est une grosse ville-dortoir de la banlieue nord de Barcelone – pour fixer son siège à Alicante.
La CaixaBank, première banque catalane et troisième banque espagnole, y réfléchit elle aussi, d’autant que la décision de Sabadell a été saluée par les bourses ; ses dirigeants ont pour l’heure affirmé qu’ils « prendraient les décisions nécessaires au moment opportun ». José Luis Bonet, président de la Chambre de commerce d’Espagne et PDG du producteur de cava (mousseux) Freixenet, estime quant à lui que l’indépendance catalane serait « une catastrophe pour la Catalogne, comme pour l’Espagne et l’Europe ». Il est vrai que ces patrons étaient déjà dès le début opposés à l’indépendance.
D’autres grands patrons catalans se disent préoccupés, à quelques jours de la possible proclamation de l’indépendance ce 9 octobre. D’autant que Madrid souffle le chaud et le froid : elle a décidé d’envoyer un (petit) corps d’armée « en manoeuvres » à Sant Boi de Llobregat, dans la banlieue de Barcelone, pour soutenir sa police nationale en très grandes difficultés – ce qui démontre au passage que les responsables espagnols n’ont jamais lu Clochemerle et ne savent pas les conséquences désastreuses d’une décision semblable. La mairesse a déjà fait valoir son opposition totale à cet envoi de militaires – elle a peut-être lu Clochemerle, et ce même si elle est socialiste ; les socialistes espagnols sont opposés à l’indépendance catalane. En même temps, le gouvernement espagnol a semblé se faire une raison de l’indépendance catalane en adoptant un décret qui permet aux entreprises de Catalogne de transférer leur siège social dans le reste de l’Espagne sans convoquer une assemblée générale d’actionnaires.
D’autres Catalans ou habitants de la Catalogne s’opposent à l’indépendance. A Barcelone, nous en avons interrogé certains.
Olga est russe et habite à Barcelone où elle assure des visites guidées pour ses nombreux compatriotes qui visitent la ville. Habitués à passer leurs vacances à l’étranger dans des pays qui peuvent devenir instables ou êtres confrontés à des catastrophes naturelles (Turquie, Israël, Egypte, Thaïlande…) les Russes ne sont pas troublés ni par les remous politiques, ni les faillites nombreuses de compagnies aériennes, ni par les risques de guerre. Si les choses tournent mal, le gouvernement russe, habitué du reste, organisera leur rapatriement. C’est pourquoi il y a toujours plein de Russes qui visitent en ce moment Barcelone. Olga, quant à elle, est « opposée à l’indépendance. Ce n’est pas bon pour nous du tout car l’UE a dit qu’on serait en-dehors si la Catalogne devient indépendante. Ce serait une catastrophe économique ». Elle n’est pas allée voter : « c’était une démonstration de force des pro-indépendance », mais ne pense pas que ça finira en guerre civile : « les Espagnols sont chauds, les Catalans aussi mais ils se retiennent. Ici, la raison finira par gagner ».
Ukrainien d’origine, Georgui a sorti ses actifs du pays après le Maïdan et le début de l’effondrement économique. Il avait acheté des biens sur la côte catalane et les loue aux touristes : « on est beaucoup à faire ça, et la plupart d’entre nous sommes assez étrangers à la Catalogne. On est tous assez inquiets. Une Catalogne hors UE, ça veut dire moins de touristes européens, une monnaie autre que l’euro, ça veut dire moins de revenus, et l’instabilité politique, ça signifie encore moins de touristes et plus d’embêtements ».
Il ne manque pas de lucidité : bien des profiteurs du tourisme en Catalogne sont tout sauf catalans : espagnols venus d’autres régions du pays, chinois – qui tiennent notamment de nombreuses brasseries, qu’elles soient pour les touristes ou au contraire, moins chères, où les Barcelonais eux-mêmes viennent manger à midi – ou encore indiens et pakistanais qui ont d’innombrables « supermercat », qui ne sont pas de vrais supermarchés mais l’équivalent des épiceries arabes ou chinoises à Paris, ouvertes souvent jusqu’à 1 ou 2 heures du matin.
Même si les manifestations anti-touristiques sont le fait de l’extrême-gauche, le tourisme, qui apporte 50 milliards d’euros de revenus à la Catalogne (23% du PIB), exaspère nombre de Catalans qui n’en profitent pas. Et se retrouvent aussi dans l’impossibilité d’accéder à leurs monuments sans payer des prix prohibitifs, calculés pour des touristes bien plus riches qu’eux, ou de devoir s’inscrire à l’avance sur le web et attendre plusieurs jours pour les plus visités d’entre eux.
Illustration parmi d’autres : dans une rue calme du centre-ville gothique de Barcelone, cette native d’Argentine organise des shows de flamenco dans un magnifique palais du XVIe siècle. « Je suis opposée à l’indépendance, mais je préfère rester discrète. Si la Catalogne devient libre, elle sort de l’UE et nous on perd notre gagne-pain ».
De l’autre côté du centre-ville, Ali est marocain et vend des sacs dans le quartier de Raval. Il a aussi d’autres gagnes-pains, « parfois à la limite de la loi », nous confie-t-il dans un français approximatif, en souriant. « L’indépendance ? D’un côté, on aura moins d’acheteurs, ce n’est pas bon, donc je suis contre. Et puis si les Catalans sont libres, ils voudront peut-être nous virer. Le nationalisme on sait quand ça commence, pas où et quand ça finit ». Cela dit, « en ce moment, je gagne bien ma vie avec toutes ces manifestations place de Catalogne. Les indépendantistes sont jeunes et boivent beaucoup de bières ! Pourvu que ça dure ! ». Il fait référence à un petit commerce tenu par des immigrés à Barcelone : l’espace central de la place de Catalogne, où ont lieu les rassemblements, est assez éloigné des petites épiceries où on trouve de la bière (65 à 85 centimes la canette de 33 cl de bière locale, Estrella Damm, la plus vendue en Catalogne). Ils en achètent par pack de 6 et les revendent 1 € pièce, voire 2 € après 21 heures, aux jeunes amassés sur la place.
Cette employée de l’office du Tourisme municipal de Barcelone est catalane, mais elle est aussi « opposée à l’indépendance. J’étais pour il y a plusieurs années ». Elle a participé au référendum : « j’ai voté contre. Partir comme on le fait ce n’est pas une solution. On a le choix entre un gouvernement affreux à Madrid et un autre gouvernement affreux à Barcelone. Il faudrait dialoguer, mais je crains que cela soit fichu maintenant, il y a trop de distance ». Les événements des derniers jours ne lui ont pas donné tort : Madrid continue à privilégier la pression, et Barcelone la marche en avant vers l’indépendance. Elle se sent « perdue. Dimanche était une journée terrible, avec toute cette violence. Depuis, je suis comme dans le brouillard, il n’y a plus de repères ».
Pere Serrat est « complètement opposé à l’indépendance. C’est un coup d’état prémédité, une sédition », assène-t-il, reprenant le discours des nationalistes espagnols, qui est aussi celui du gouvernement de Rajoy ou de l’essayiste catalan et nationaliste espagnol Javier Portella. Pour Pere Sants, le gouvernement catalan est composé de « gens qui ont détourné de l’argent public, mentent effrontément – non, l’Espagne n’est pas colonialiste – et font tout pour détourner l’attention de leurs turpitudes ». Il juge le départ de la Catalogne dangereux pour toute l’Espagne : « si le gouvernement espagnol laisse partir les catalans, les basques et les galiciens partiront aussi ».
S’affirmant « catalan, avec un nom catalan, et espagnol », il se dit « choqué » que parmi la « moitié des catalans » qui ont voté pour l’indépendance, il relève qu’il y avait « plein de mineurs et d’immigrés, des maghrébins et de latinos ». Pourtant, nous avons fait le tour de plusieurs bureaux de vote, des endroits où la police espagnole avait fait irruption et d’autres où le vote s’est déroulé sans encombre. Partout, à rebours des rumeurs propagées par les nationalistes espagnols selon lesquelles les Catalans auraient fait voter jusqu’au dernier des nourrissons et des Pakistanais pour bourrer les urnes, nous n’avons pas relevé de mineurs qui votaient et la plupart des personnes qui votaient ou qui attendaient de le faire étaient blancs de type européen – Espagnols ou Catalans donc.
La Catalogne compte en 2016 près de 500.000 des 1.9 millions de musulmans recensés en Espagne (4% de la population espagnole, 6.6% de la population catalane) dont la majeure partie sont Marocains et Pakistanais d’origine ; à ceux-là s’ajoutent en Andalousie une population croissante de convers espagnols ou andalous de souche, notamment dans des villes symboliques de la Reconquête catholique comme le peuvent être Cordoue, Grenade ou encore Séville. A Gérone, ville où la répression policière était particulièrement forte le jour du référendum, il y a une minorité musulmane assez visible et importante pour une ville qui fut un centre d’industrie lourde – comme c’est le cas dans des villes similaires en France ou en Allemagne. Et bien pendant que les Catalans, jeunes et vieux, se rassemblaient par milliers dans la cour des trois dernières écoles ouvertes, les musulmans de la ville ne se mêlaient en rien des événements et continuaient, dans leur écrasante majorité, à vaquer à leurs affaires quotidiennes.
Sur la question des violences, Pere Sants est partagé. « Non, ce n’est pas normal, les gens étaient pacifiques même si c’était une votation toxique et illégale », commence-t-il par dire, avant de justifier la violence des policiers espagnols « car ils ont craqué après avoir été enfermés quinze jours dans les cabines étroites des paquebots de croisière sur le port de Barcelone, en butte à l’hostilité des indépendantistes ». Puis il finit par carrément la justifier : « la Policia Nacional et la Guardia Civil sont les forces de police de l’Espagne, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent et jugent utile ».
Pourtant, il est évident que la violence des matraques contre les urnes a donné un élan inespéré à l’indépendantisme catalan, probablement devenu très nettement majoritaire dans la population comme le démontre le succès de la grève générale du 3 octobre et le soutien sans faille des Catalans à leur gouvernement. Mariano Rajoy a fait une énorme erreur politique qui est peut-être le vrai point de non-retour dans l’affaire catalane, plus que les résultats du référendum – désormais relégués au second plan – ou les arguments juridiques de l’Espagne, complètement passés à la trappe.
Père Sants achève : « bien de ceux qui sont pour l’indépendance ne sont pas catalans et ne sont pas qualifiés à parler au nom de la Catalogne. Ils adhèrent à l’indépendance comme s’ils soutenaient le Barça : ils portent les couleurs d’un club auquel ils ne peuvent accéder ». Force est de constater aussi qu’il y a beaucoup de Catalans pour l’indépendance. Et beaucoup d’étrangers qui sont contre. Surtout, il y a aussi des Catalans très préoccupés par l’avenir économique du pays et sa présence future en UE. Un défi majeur pour le gouvernement catalan, que la Catalogne opte pour l’indépendance ou non.
Louis-Benoît Greffe
Crédit photos : DR
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3 réponses à “Catalogne : ces Catalans qui disent non à l’indépendance”
N’empêche que la commentatrice télé (F2) s’est laissée emporter, hier, en disant que nombreux étaient les Espagnols qui sont Venus EN CATALOGNE pour Manifester………..!!!! Aussi, ce que la Propagande Européenne montre c’est la MASSE indifférenciée des opposants à l’indépiendance et non pas les CATALANS opposés à celle-ci….!
Si l’affaire était scellée! il ya longtamps que le pouvoir de Madrid aurait Organisé un réfeérendum Légal…!!!!
nb: je ne suis ni pour ni contre, je m’en fous… et pense que les deux camps sont à 80% des pourris!
Je pense que le titre était un peu ironique au regard de l’article! Les zone où les Catalans restent majoritaires ont souvent voté massivement et en faveur de l’indépendance.
200 cars affrétés depuis l’espagne pour aller manifester en Catalogne…, ces anti indépendants n’étaient pas que des catalans…, mais des Franco-espagnols…!