Défense européenne. Quand le rêve de puissance pourrait bien tourner au cauchemar d’impuissants

12/05/2017 – 07H30 Berlin (Breizh-info.com) – « Faire émerger une réelle autonomie stratégique de défense au niveau européen » : c’est l’une des priorités, à la fois budgétaire et diplomatique, du programme d’Emmanuel Macron, le nouveau président de la République. Mais l’affaire est mal partie. Un exemple : cette semaine, le ministère allemand de la Défense estimait dans un rapport technique argumenté qu’il faudrait 12 à 18 mois de travaux supplémentaires au constructeur du transporteur de troupes A-400M pour espérer que cet avion, projeté en 1999, soit enfin au point. Le cas est typique des résolutions interétatiques, dès lors que les industries de chaque État coactionnaire interviennent dans la conception et la fabrication de l’engin final, à proportion de leurs participations au dispositif.

L’exemple du A-400-M n’est pas le seul, celui de l’hélicoptère HN90, aux retards incalculables, illustre tout aussi bien le problème. Le cas de cet avion-là est néanmoins caractéristique. Airbus sait construire des aéronefs, et l’a prouvé. Voilà qui ne suffit pas. Airbus Military Company, créée en 1999, c’est une autre affaire. Société de droit espagnol et filiale d’EADS avant d’être intégrée sous diverses dénominations dans Airbus, cette entreprise devait livrer à la fin de 2008 de nouveaux transporteurs aux armées française et allemande, sur un cahier des charges essentiellement français, et après certifications.

Las ! politique oblige : l’arrivée de nouveaux actionnaires dans ce projet (ils sont maintenant sept) oblige à imaginer des versions et des variantes répondant aux desiderata d’états-majors très divers. Après une kyrielle de retards rituels, Thomas Enders, alors président d’Airbus, déclarait en mars 2009 au Spiegel : « Dans les circonstances actuelles, nous ne pouvons pas construire l’avion. » Il ajoutait qu’il se dispenserait de tout « pèlerinage à Berlin ou à Paris pour implorer une poursuite du programme dans des conditions qui ne sont pas acceptables ».

Les pressions politiques entraînent néanmoins la poursuite du programme. Le secrétaire allemand de la Défense, Rüdiger Wolf, avec 60 exemplaires en commande, est que le qui-vive, et le ministre français d’alors, Hervé Morin (50 exemplaires), s’agace des surcoûts et des retards : les 50 vieux Transall C-160 perçus entre 1965 et 1981, et la trentaine de C-160NG de remplacement sont à bout de souffle ou à la casse (il en reste 27 plus ou moins opérationnels en 2017, pour un avion qui fête ses cinquante ans !).

Première certification aéronautique du A-400 en 2012, puis agrément militaire en 2013. Mais des défauts persistent et les spécifications ne sont pas respectées. Sur les 50 exemplaires commandés par la France, il n’y en a que 8 livrés en 2016, dont un seul pouvait voler, et 7 en service bancal. Ils sont tous passés par une phase de remise à niveau technique, mais aucun ne pouvait se permettre un aller-retour vers le Mali, ni larguer sans danger des parachutistes par les portes latérales.

Le problème de base est connu de longue date : le cher (très cher…) principe égalitaire et européen du « juste retour industriel », appliqué aux États investisseurs à proportion de leurs participations, multiplie les sous-contractants internationaux et devient, à terme, la bête noire des services de maintenance, toujours en défaut de pièces détachées, et à la recherche des fabricants d’origine quand ceux-ci sont fiables et pas en « rupture technologique »…

Le rapport allemand révélé le 8 mai à Berlin note que « l’utilisation opérationnelle de l’avion est menacée ». Tout cela pour un projet vieux de près de vingt ans, et des coûts passés de 20 à 28 milliards d’euros sur la base de 180 avions livrables dans sept pays. Thomas Enders demandait au mois d’avril 2,2 milliards de provisions pour Airbus. Berlin renâcle : selon l’état-major de son armée de l’air, un seul des huit exemplaires livrés à ce jour pourrait voler de manière fiable, et conforme au cahier des charges…

Des problèmes comparables affectent le programme du NH90. Eurocopter sait fabriquer des hélicoptères, mais son métier ne consiste pas à alimenter les discussions des buvettes parlementaires ou ministérielles. L’agence initiale, créée en 1992, comprenait la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas. Ils furent rejoints, au fil des années, par le Portugal, la Finlande, la Norvège, la Suède, la Grèce, Oman, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Belgique. Chacun de ces pays avait des demandes spécifiques, selon l’usage prévu : transport de troupes, de commandos, observation, marine, air, terre, etc. La France n’a reçu (ALAT) que 15 Caïmans NH90 sur les 44 qui devraient être livrés avant 2019. Et, déjà, les mécaniciens et électroniciens de maintenance s’arrachent les cheveux pour le suivi des pièces détachées.

L’avion transporteur A-400 ou l’hélicoptère NH90 ne sont que deux exemples simples de l’impossibilité pratique de réaliser des matériels militaires multifonctionnels avec des actionnaires et des industriels multiples. Il y faut des cahiers des charges fixes, des donneurs d’ordres qui ne changent pas d’avis au gré des élections, et des industriels en nombre limité, choisis pour leur compétence technique, leur habitude de travailler de concert, et l’assurance d’un suivi dans la fabrication des pièces. Tout ceci va contre l’égalitarisme financier à la mode euro-politicienne. Sans une politique ferme dans ce domaine, et quoi qu’en souhaite Emmanuel Macron, l’Europe de la Défense ne serait qu’un rêve de puissance, rapidement transformé en cauchemar d’impuissants.

J. F. Gautier

Crédit photo : Ronnie Macdonald from Chelmsford and Largs, United Kingdom – Wikipedia (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2017, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

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Une réponse à “Défense européenne. Quand le rêve de puissance pourrait bien tourner au cauchemar d’impuissants”

  1. Pschitt dit :

    Certes, l’interétatique ne fonctionne pas bien, mais rien ne dit que le mal soit dans l’inter. Car nous avons eu pas mal d’étatique franco-français qui n’a pas fonctionné non plus. La politique gaullienne des « champions nationaux » a le plus souvent été désastreuse. Le plan calcul, qui devait faire de la France une grande puissance informatique avec Cii-Honeywell-Bull, le minitel qui nous a lancés dans la mauvaise direction de l’informatique centralisée, la filière nucléaire graphite-gaz qu’il a fallu abandonner au profit d’un brevet Westinghouse, le TGV qui ruine la SNCF, autant d’exemples de chefs-d’oeuvre technologiques que le monde est ou était censé nous envier tout en refusant de les acheter ! En comparaison, les montages type Aibus ou SMT sont plutôt des succès. Bien qu’ils soient « inter » ? Non, parce qu’ils sont peu étatiques. Ils sont gouvernés par des patrons forts appliquant les règles de gestion de l’entreprise privée. Le lamentable exemple du nucléaire devrait aussi nous servir d’exemple. Framatome fonctionnait bien avec une gestion de type privé. Et puis l’Etat a voulu faire plus fort en réunissant sous sa coupe la filière du combustible et celle de la production, avec une ancienne chef de cabinet de Mitterrand à sa tête. Et pouf ! comme par un coup de baguette anti-magique, tout s’est détraqué ! (Il est vrai que pour couronner le tout, on avait injecté un peu d' »inter » avec la reprise de la branche nucléaire de Schneider…). L’Etat-stratège intelligent est un oxymore dans le domaine économique.

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