La France périphérique a de longs antécédents. Plusieurs siècles, jusqu’à la fin du 19ème siècle. Lorsque le réseau ferroviaire touche les chefs-lieux de canton, que le service militaire universel brasse les Français. En attendant, vivre au pays a été la règle et l’attraction exercée par les plus grandes villes ne touche qu’une fraction d’individus. C’est évidemment la révolution industrielle qui a tout remis en cause.
L’enclavement, l’éloignement et l’enfermement physique et culturel ont refait surface dans une France rurale saignée à blanc par la Grande guerre. Avant Guilly et, bien oublié aujourd’hui, un géographe, Jean-François Gravier publie, en 1947, Paris et le désert français, il sera plusieurs fois réédité. L’essai use des outils de la géographie du temps. Il est aussi engagé et même polémique. Son inspiration est « girondine », c’est-à-dire hostile au centralisme « jacobin » hérité de la Révolution terroriste (1793-94) et systématisé sous Napoléon.
L’ouvrage de Gravier dérange encore aujourd’hui. En 2002, dans « L’Information géographique », Bernard Marchand croit toujours utile de dénoncer Gravier comme un « apôtre des idées maurrassiennes qui ont triomphé sous Vichy. »
Un bon exemple d’aire à l’abandon est celui des marches, haute et basse. Ce furent des possessions des ducs de Bourbon jusqu’à leur saisie par François Ier, en 1523. La départementalisation a écartelé les deux marches. Ainsi la Basse-Marche, pour s’en tenir à elle, se partage entre la Vienne, la Haute-Vienne, la Creuse et même la Charente.
Une marche est, à l’origine, une terre de contact, intermédiaire, qui contribue à apaiser les tensions entre les grandes entités féodales. Cela se retrouve sur le plan linguistique puisque le « marchois » forme un « croissant » qui va de la Charente à l’Allier, en passant par Bellac, Guéret et Vichy. Il panache langues d’oc et d’oïl. Tout cela s’est effacé au fil du temps. Ce qui doit réchauffer les os panthéonisés du bon abbé Grégoire, pourfendeur des « patois ».
La Basse-Marche est aujourd’hui en déshérence démographique. Autour de Bellac, au nord de Limoges, sur les contreforts du Massif Central (Monts d’Ambazac et Monts de Blond), tout semble pareil à un conservatoire du temps jadis. Cette sous-préfecture est passée de 5 400 habitants en 1975 à 4 100 en 2016. Point focal d’une communauté de communes (18), elle survit grâce à quelques « gros » employeurs, la mairie, l’hôpital local, deux petits lycées, un escadron de gendarmes mobiles, une tannerie haut de gamme et un fabricant de fils d’acier très réputé. Les commerces de proximité ont fondu, au profit de six grandes surfaces.
Tout autour, l’élevage est dominant. Celui des bovins de race limousine, résultat d’une sélection génétique qui remonte au Hard-Book de 1886 et celui des ovins, qui attire à Bellac, tous les ans, le « Tech ovin » des reproducteurs.
Au total, compte-tenu de la qualité des hommes, du terroir, il y a là de quoi vivre au pays. Mais le fléchissement démographique réduit les chances des jeunes actifs et l’esprit d’entreprise s’en ressent. Le recours peut venir de l’implantation étrangère, essentiellement britannique, qui a pris ses habitudes en Basse-Marche. Encore faudrait-il qu’elle ne vive pas en vase clos.
Je termine ce survol par une touche patrimoniale et gastronomique. Au pied des Monts de Blond, Mortemart, classé parmi les plus beaux villages de France (sic). Une micro-commune de 120 habitants, soignée, lissée avec ses maisons nobles, les halles, les bâtiments conventuels du 18ème siècle, une belle église et une « folie » limousine. Du château des Rochechouart-Mortemart, rasé par Richelieu, des beaux vestiges. De cette famille sortit Françoise-Athénaïs dite Madame de Montespan, favorite de Louis XIV, experte en bouillons de 11 heures.
Mortemart vit du tourisme, avec même un golf à neuf trous. Elle vit trois mois et somnole le reste du temps. On peut s’y restaurer, toute l’année cette fois, au seul vrai restaurant du village, Le Relais. Repris il y a trois ans par Michelle et Hubert Dugraindelorge Boissinot, il mérite l’étape. Tous les jours, un menu « ouvrier » où, par exemple, on vous sert, au choix, tartare de tomates, terrine de caille aux raisins ; suit un foie de veau tout bonnement divin puis une mousse au chocolat ou une flognarde. Avec le vin (de qualité) et le café, vous vous ruinez : 13,50 euros !
Les menus gastronomiques ( 31 et 47 euros) peuvent vous proposer tatin de morue aillée et persillée à la saveur de noisette, rognon de veau sauce aux girolles, filet de bœuf sauce au vin rouge, canard à l’orange aux navets glacés… Du classique revisité avec finesse par Madame.
Ici, en Basse-Marche, on se réconforte en bouche. En espérant une renaissance qu’il ne faudrait pas trop attendre !
Jean Heurtin
* Le Relais, hôtel-restaurant, 1, place royale, 87330 Mortemart.
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