En ces temps de campagne électorale ponctuée d’incidents et d’affaires qui nous invitent à regarder la politique par le petit trou de la serrure, il est important, salutaire, de prendre de l’altitude.
Patrice Gueniffey vient de consacrer un essai à « Napoléon et de Gaulle. Deux héros français ». Une analyse et une réflexion biographique croisée, remarquable tant par la richesse et la diversité des sources que par les prises de position de l’auteur. Dans le sillage de François Furet, Gueniffey est devenu avec Thierry Lentz le meilleur connaisseur du Premier empire. Il a aussi apporté des contributions essentielles à la compréhension de la Terreur jacobine (1793-94). Dans son dernier ouvrage, il se délivre de toutes les retenues du travail universitaire académique. Bref, il « crache le morceau ».
Ce qui donne des portraits au vitriol. Tel celui d’Antoine Pinay. Parfaitement oublié, le notaire de Saint-Chamond (Loire) avait été président du Conseil en 1952 (juste 9 mois). Réputé pour sa maîtrise en matière de finances publiques, de Gaulle le prit, en 1958, comme ministre pour lancer le nouveau franc. Pinay mourut à 103 ans, consulté par tous comme le « sage de Saint-Chamond ». Pour Gueniffey, il est le type même du faux sauveur, « le plus terne et le plus insignifiant… Il se faisait gloire de gérer le pays comme le panier de la ménagère. Il répondait à l’aspiration qui, de loin en loin, saisit les Français : échapper à la politique… ».
Autre tête de turc pour Gueniffey, André Malraux. Son intimité avec de Gaulle lui laisse à penser qu’il fut le « fou » du général. Pur charlatan, affabulateur, véritable « agité du bocal », Malraux était aussi un bon romancier qui bluffait son monde par ses poussées de logomachie qui pouvaient virer à la pitrerie.
Ҫa et d’autres pointes acides risquent de contrarier beaucoup de monde. Mais par ces temps, il est vertueux de déranger. Et par exemple de remettre au pas tous nos soi-disant gaullistes qui grouillent au parti dit « Les Républicains ». Leur imposture est éclatante comme le montre cet extrait des « Mémoires d’Espoir » (1970) retenu par Gueniffey :
« … Pour moi, j’ai, de tous temps (…) ressenti ce qu’ont en commun les nations qui peuplent (l’Europe). Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation. C’est en vertu de cette destination de l’Europe qu’y régnèrent les empereurs romains, que Charlemagne, Charles Quint, Napoléon tentèrent de la rassembler, qu’Hitler prétendit lui imposer son écrasante domination. Comment, pourtant, ne pas observer qu’aucun de ces fédérateurs n’obtint des pays soumis qu’ils renoncent à être eux-mêmes ? Au contraire, l’arbitraire centralisation provoqua toujours, par choc en retour, la virulence des nationalités. Je crois donc qu’à présent, non plus qu’à d’autres époques, l’union de l’Europe ne saurait être la fusion des peuples, mais qu’elle peut et doit résulter de leur systématique rapprochement. (…) Ma politique vise donc à l’institution du concert des États européens (…). Rien n’empêche de penser qu’à partir de là, et surtout s’ils sont un jour l’objet d’une même menace, l’évolution puisse aboutir à leur confédération. »
Justesse des mots, du style au service de convictions intangibles. A nous de faire l’Europe voulue par de Gaulle.
Jean Heurtin
* Patrice GUENIFFEY, Napoléon et de Gaulle. Deux héros français. Perrin.
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2 réponses à “Charles de Gaulle, Guenniffey, et l’Europe à faire”
[…] « … Pour moi, j’ai, de tous temps (…) ressenti ce qu’ont en commun les nations qui peuplent (l’Europe). Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation. C’est en vertu de cette destination de l’Europe qu’y régnèrent les empereurs romains, que Charlemagne, Charles Quint, Napoléon tentèrent de la rassembler, qu’Hitler prétendit lui imposer son écrasante domination. Comment, pourtant, ne pas observer qu’aucun de ces fédérateurs n’obtint des pays soumis qu’ils renoncent à être eux-mêmes ? Au contraire, l’arbitraire centralisation provoqua toujours, par choc en retour, la virulence des nationalités. Je crois donc qu’à présent, non plus qu’à d’autres époques, l’union de l’Europe ne saurait être la fusion des peuples, mais qu’elle peut et doit résulter de leur systématique rapprochement. (…) Ma politique vise donc à l’institution du concert des États européens (…). Rien n’empêche de penser qu’à partir de là, et surtout s’ils sont un jour l’objet d’une même menace, l’évolution puisse aboutir à leur confédération. »Justesse des mots, du style au service de convictions intangibles. A nous de faire l’Europe voulue par de Gaulle.Source […]
Il aurait fallu préciser que la longue citation finale venait de De Gaulle… Tout le monde ne connaît pas Mémoire d’Espoir (dont moi-même…).