Vers la fin de la guerre froide entre l’Occident libéral et la Russie conservatrice ?

01/12/2016 – 07H15 Paris (Breizh-info.com) – Samedi 19 novembre, la revue Éléments organisait à Paris un colloque intitulé « Russie : à l’est, du nouveau? ». Salle pleine, environ 250 personnes y ont assisté. Si l’idéologue nationaliste russe Alexandre Douguine, initialement annoncé, n’a pu venir et a fait son intervention en vidéo-conférence, l’écrivain russe national-bolchévique Zahar Prilepine – que Breizh-info a interviewé – était là et s’est prêté au jeu des questions réponses avec Olivier François.

Celui-ci lui a d’abord demandé comment peut-on être russe aujourd’hui, ce à quoi Zahar Prilepine a répondu que « la Russie est restée un certain temps dans un état de gel qui lui a plutôt réussi ; elle a échappé à certaines illusions qui caractérisent l’Occident. Dans la littérature russe ancienne, il n’y a pas de notion de progrès. Être russe aujourd’hui, c’est ne pas être dans une relation au progrès ». Il a précisé plus tard que « la religion orthodoxe russe fait partie des bases de la conscience nationale, si bien que certaines évolutions sociétales en Europe ne seront jamais appliquées en Russie, par exemple il n’y aura jamais d’adoption par les couples homosexuels, c’est impossible ».

Interrogé sur la contradiction apparente entre ses engagements conservateurs et révolutionnaires, il a répliqué que « la Russie fait partie des civilisations les plus anciennes, avec plus de 1000 ans d’histoire continue. Elle a vécu de nombreux bouleversements tout en restant une chose en soi. Le coup d’Etat libéral et bourgeois qui a eu lieu dans les années 1990 ne m’arrangeait pas du tout », et a expliqué certaines des actions symboliques du parti National-bolchévique, pour rappeler par exemple que Sébastopol (située en Crimée, et donc revenue à la Russie en 2014) était une ville russe ou interpeller l’opinion contre les affaire judiciaires lancées dans les pays baltes contre les vétérans de l’Armée rouge. Il est aussi revenu sur sa « Lettre à Staline, écrite [le 30/7/2012] au nom de l’intelligentsia libérale. Elle avait provoqué la fureur de ces milieux qui ont fait leur fortune en privatisant et en revendant à vil prix tout l’héritage de Staline, et tout en le haïssant pour ça ».

Il a précisé ensuite qu’avec la fin de l’URSS, qu’il a qualifié de « tragédie personnelle » pour lui et bien de ses proches, la Russie a perdu son rôle de garant de la paix sur l’ensemble de l’espace post-soviétique, lui-même hérité de l’Empire des tsars. « Depuis l’effondrement de l’URSS l’espace post-soviétique s’abîme en de multiples conflits inter-ethniques, dont certains ont fait les grands titres des journaux, comme en Ukraine ou au Haut-Karabagh, et d’autres non », en Asie centrale notamment ou en Moldavie par exemple.

Prié de revenir sur son opposition assez radicale à Poutine – avant le Printemps russe en 2014 – Zahar Prilepine explique que Poutine « a succédé à Eltsine et avait donc des obligations vis à vis de son entourage, par exemple il a fermé les bases russes de Camh Ranh (Vietnam), Lourdes (Cuba), descendu de l’orbite la station Mir… des décisions qui ont été prises sur ordre de conseillers affiliés aux Etats-Unis. Puis il a changé, je ne sais pas comment ça s’est passé. Toujours est-il qu’en 2014, lorsque a commencé la crise en Crimée, il y a eu une grande réunion tard la nuit au Kremlin, entre Poutine et 25 hauts fonctionnaires. Il a fait un tour de table, l’un après l’autre, les hauts dignitaires lui ont expliqué qu’il ne fallait pas reprendre la Crimée, que ce serait une catastrophe. Quand ils ont fini il a répondu simplement  »je vous ai entendu, j’ai compris. On va la prendre  » . Bref », continue de relater Zahar Prilepine, « il a lâché son entourage, sans égards pour ceux qui avaient des revenus ou des actifs en Occident. Alors, c’était sûr que s’il avait été écarté du pouvoir, il aurait fini au TPI de la Haye aux côtés de Milosevic. Alors Poutine est monté dans le même bateau que son peuple, qui a été ravi ».

Zahar Prilepine est revenu enfin sur le rôle clé des peuples dans l’Histoire : « malgré toute la propagande libérale dans les années 1990 le peuple russe a gardé ses valeurs conservatrices. Des processus similaires ont lieu maintenant dans les pays européens et aux USA. Le pouvoir du pouvoir n’est pas total. La majorité invisible reste essentielle dans la marche de l’Histoire ».

Juste après l’exposé de l’universitaire Jean-Robert Raviot, qui a dirigé l’ouvrage collectif Russie, vers une nouvelle guerre froide ? (La Documentation française), il y a eu l’intervention d’un autre russe très attendu, l’idéologue et activiste Alexandre Douguine. Il n’a pas pu se libérer, donc il intervenait en visio-conférence. Visiblement heureux suite aux élections américaines, il a dressé l’éloge de « Trump, candidat aux côtés du peuple donc ennemi de la société ouverte, du marais libéral. Si le chef d’Etat américain est aux côtés du peuple, ça change totalement le rapport de force mondial entre les peuples et le marais libéral mondialiste », dont il a estimé que ce « résultat négatif de l’Ouest est général, pas de l’UE ou des Etats-Unis » est devenu «transnational, sans patrie », ayant perdu sa base qui était, avant Trump, constituée par le pouvoir américain.

Avec l’élection de Trump, Douguine estime que « la guerre froide entre l’Ouest libéral et l’Est conservateur est finie. Face à nous on a maintenant l’hégémonie pure, celle qui est constituée par les réseaux libéraux ». Il a aussi expliqué que « désormais, Poutine avait les mains libres pour vaincre le marais libéral en Russie et faire les réformes patriotiques » nécessaires.

Le colloque a été conclu par Alain de Benoist, qui a affirmé être « très en retrait sur l’optimisme de Douguine. Il est très difficile de savoir ce qui va se dérouler, car nous ne savons ni ce que veut Trump, ni ce qu’il pourra faire. Cependant l’antagonisme entre Russie et Etats-Unis paraît subir un coup d’arrêt ». Il s’est aussi félicité de l’émergence d’une jeune génération d’écrivains engagés, indépendants et critiques « après les années terribles de Eltsine [les années 1990] qui ont vu une Russie exsangue, au bord de l’annexion par le libéralisme ». Une chose est sûre pour lui : « l’axe horizontal est remplacé par un axe vertical : la confrontation entre le peuple et les élites, entre les perdants de la mondialisation contre les gagnants ».

Louis-Benoît Greffe

Photo : DR
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