18/06/2016 – 07H00 Notre-Dame-des-Landes (Breizh-info.com) – La consultation sur NDDL est censée avoir lieu le 26 juin, du moins si le Conseil d’Etat qui se réunit le 20 juin pour statuer sur un recours formé par des opposants, le permet. Pour éclairer les électeurs, la Commission nationale du débat public (CNDP) a élaboré un document officiel d’information qui résume les grandes lignes du projet, ainsi que les arguments des opposants et partisans. Ce document se présente comme neutre et impartial. Pourtant, son analyse par l’Atelier Citoyen, proche des opposants, révèle plusieurs erreurs factuelles, des inexactitudes et la reprise de statistiques ou d’arguments bidon. La CNDP s’est-elle laissée duper, ou serait-elle en train de duper les électeurs ?
Cette nouvelle affaire apporte en tout cas de l’eau au moulin de ceux qui craignaient que la brièveté du délai disponible pour élaborer ce document et la personnalité du président de la CNDP, Christian Leyrit, ne favorisent ni la neutralité ni l’objectivité de l’information présentée aux électeurs. Christian Leyrit est en effet, comme nous l’écrivions dernièrement, un ancien préfet et, pendant dix ans, un directeur des routes au Ministère de l’Equipement qui a beaucoup favorisé les concessions autoroutières et le BTP.
Des informations présentées de façon tendancieuse et incomplète
L’Atelier Citoyen a communiqué ses corrections, dans un document assez dense qui reprend le document officiel, assorti de remarques multiples. Page 3, il constate par exemple que le document cite le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), qui dans son rapport estimait que « l’installation [de Nantes-Atlantique] apparaît étriquée et inconfortable » ; le document ajoute, sans citer, que l’extension devient urgente. L’Atelier Citoyen réagit en ajoutant que le CGEDD considère également en conclusion page 61 que « l’agrandissement et la rénovation des installations actuelles de Nantes-Atlantique permettrait d’accompagner la croissance du trafic ». En ne précisant pas cette information essentielle, le document officiel laisse croire que le rapport du CGEDD plaide pour l’aéroport de Notre-Dame des Landes.
Page 4 du document du CNDP, il est écrit « à la demande des élus de la communauté de communes Erdre et Gesvres, et afin de limiter au maximum le survol des bourgs et des hameaux voisins, l’Etat a décidé, en 2003, la construction de deux pistes ». L’Atelier Citoyen réagit à cette information fausse : « les deux pistes ne sont pas une demande des élus de la communauté Erdre et Gesvres. Leur demande portait sur l’orientation de ces deux pistes ».
Juste après, le document officiel poursuit, imperturbable, sa justification du plan à deux pistes, par un motif écologique : « le plan de l’aéroport a été conçu pour limiter la consommation de kérosène en réduisant le temps de roulage des avions ». L’Atelier Citoyen répond par le rapport du CGEDD : « il est possible d’avoir un roulage aussi court avec une seule piste ». Quelques lignes après, le document du CNDP continue le greenwashing en affirmant que « selon l’opérateur, l’aéroport devrait consommer 3 fois moins d’énergie que l’aéroport de Nantes-Atlantique actuel ». Mais Vinci s’est bien gardé de préciser que la construction de son aéroport à « haute qualité environnementale » représente plus de 100 ans de consommation d’énergie de cette aérogare.
La sous-estimation du coût du projet reprise dans le document officiel
La page 4 est déjà complètement à revoir. Mais ce n’est pas fini, loin de là. Pages 5 et 6, le document officiel se penche sur le coût du projet. Or, il existe un contentieux ancien autour de son coût, fixé à 561 millions d’euros par Vinci en 2010, dont 130 millions apportés par l’Etat pour réaliser le barreau routier 2×2 voies et la tour de contrôle, et 115,5 millions par les collectivités locales. En 2011 déjà, Le Canard enchaîné avait relevé diverses incohérences dans le chiffrage de Vinci, qui avait oublié quelques menus détails, comme les passerelles pour accéder aux avions ; sans doute dans sa grande générosité, la multinationale avait-t-elle prévu de distribuer des échelles de corde à ses passagers ? Il n’est pas prévu de navettes passagers non plus… mais comme tout le monde sait qu’il fait beau quatre fois par jour à Nantes… De même, aucun dépassement de budget n’est prévu, ce qui est pourtant très régulier pour les grands projets d’infrastructures.
Or, il se trouve que ce coût de 561 millions d’euros est celui d’un aéroport prévu pour 4 millions de passagers, soit d’une capacité inférieure à l’actuel aéroport, note l’Atelier Citoyen. Le document officiel (p. 5) ne le précise pas. Pourtant les plans de l’aérogare ont été publiés et avaient été étudiés par les opposants qui avaient constaté que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera effectivement moins grand que celui de Nantes Atlantique. Devant la polémique, Vinci avait préféré retirer sa demande de permis de construire.
Page 6, le document indique que « ce total de 561 millions n’inclut pas la desserte en transports collectifs : bus à haut niveau de service, projet de tram-train et ligne à grande vitesse ». Les montants ne sont pas publiés dans le document d’information du CNDP, sauf pour le tram-train, un peu plus loin, estimé de 150 à 200 millions d’euros. Le coût de la ligne LGV prévu n’est pas divulgué. Les estimations existent pourtant pour cette ligne qui n’apporterait pas de réel gain de temps entre Nantes et Rennes, en plus de saccager encore des milliers d’hectares d’espaces naturels. Elle devrait coûter 1 milliard d’euros, entièrement à la charge du contribuable cette fois. Le document du CNDP n’en parle pas. Pourquoi ?
Les impacts positifs du projet d’aéroport clairement surestimés
La partie sur les impacts (pages 7 à 9) pose beaucoup de questions, tant il semble que le document ne sert pas à éclairer les électeurs, mais à justifier le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Exemple avec l’encadré consacré aux impacts sur l’aménagement du territoire : sur six paragraphes, cinq sont consacrés au soutien unanime des collectivités (c’est-à-dire l’establishment politique des notables LR et PS) au projet, tandis que le scepticisme de certains élus – c’est à dire le CéDPA, le Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport – est relégué dans un petit paragraphe à la fin. Il est vrai que ce ne sont pas les notables qui vont apporter de leur poche les 240 et quelques millions d’euros demandés au contribuable pour la seule réalisation de l’aéroport, sans compter les liaisons ferroviaires ultérieures.
On constatera par ailleurs que le document reprend sans aucun esprit critique l’argumentation des collectivités selon lesquelles le « transfert » de l’aéroport « constituerait un atout décisif pour leur rayonnement économique et touristique, et aussi pour renforcer leur rayonnement international ». L’Atelier citoyen rappelle que le nouvel aéroport ne sera pas international, et que le déplacer de 30 km n’augmentera pas sa zone de chalandise au point de remplir des longs-courriers. Le collectif signale aussi que « l’actuel aéroport propose déjà 87 destinations à l’international : vers les plus importantes métropoles européennes, centres de décisions, emplacements de sièges sociaux et places financières (Londres, Genève, Bruxelles, Paris, Rome, Berlin, Dublin, Bâle), vers des destinations de tourisme et de loisir (Ajaccio, Ibiza, Venise, Marrakech), et même un paradis fiscal (Malte) ». Si l’on peut remarquer qu’Ajaccio fait encore partie de la France – même si les nationalistes corses ont pris la région aux dernières élections – et qu’on peut très bien partir en vacances à Malte, il aurait été cependant logique que le document officiel du CNDP rappelle que l’actuel aéroport propose déjà beaucoup de destinations internationales, même par rapport à d’autres aéroports de province.
Toujours dans les impacts, la consommation des terres agricoles est éludée, résumée en une pauvre phrase. Pas un mot, remarque l’Atelier Citoyen, sur le fait que « le projet d’aéroport augmente l’aire urbaine de la métropole nantaise et accentue le phénomène d’étalement urbain ; il favorise aussi une utilisation plus importante de la voiture, et donc d’embouteillages, en constituant un nouveau pôle vers lequel la ville aura tendance à s’étendre et vers lequel les déplacements augmenteront ».
Des statistiques bidon de la DGAC reprises telles quelles
Plus grave, le document officiel du CNDP, visiblement réalisé à la va-vite, reprend des statistiques de la DGAC qui posent clairement problème. Par exemple, page 8, « Selon la DGAC l’existence de deux pistes limiterait l’impact sonore. A l’horizon 2050 (9 millions de passagers), la population totale impactée par l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes serait de 2 664, contre 80 450 à Nantes-Atlantique ». Problème : ce chiffre de 80 450 provient d’une étude de la DGAC remise en cause par le CGEDD, pointe l’Atelier Citoyen, car la DGAC avait clairement surévalué ses prévisions de trafic, notamment en bidouillant carrément les chiffres. « Selon le CGEDD, cette étude doit être reprise et une nouvelle modélisation doit être réalisée rapidement ». Ce chiffre est d’ailleurs repris en page 13, là où sont résumées les nuisances sonores dans l’agglomération nantaise. Le CNDP ne précise pas cependant qu’il s’agit de la zone D, où le bruit est inférieur à 55 décibels. C’est à dire bien moins qu’un bus (68 décibels), une télévision en marche (65 décibels), un repas familial (65 décibels)… et le seuil de danger qui sert de base à la législation sur le bruit au travail (80 décibels).
La page 11, consacrée à la possibilité du réaménagement de Nantes-Atlantique, est aussi un festival en matière de reprise de chiffres et d’infos bidons de la DGAC. Elle se fonde entièrement sur le rapport de 2013, où la DGAC a surévalué les coûts et les impacts du réaménagement de l’aéroport pour mieux justifier Nantes Atlantique. Par exemple, la démolition-reconstruction d’un chenil avait été estimée par la DGAC à 600.000 €. Du reste, la page 11 commence bien en déclarant que « ce rapport n’a pas fait l’objet d’une contre-expertise », alors que justement les opposants – le CéDPA en juin 2014 – en avaient fait une où ils avaient démontré que ce rapport surestimait les coûts de la rénovation de la piste.
Un peu plus bas, le CNDP indique dans son document que « l’aéroport devrait être fermé au moins trois mois ». C’est ce qu’a déclaré la DGAC, mais elle a été contredite par le CGEDD qui estime la fermeture à un mois, indique l’Atelier Citoyen. La position du CGEDD n’est pas indiquée sur le document. On peut lire encore « à long terme, un allongement de la piste à 3 600 mètres serait requis pour accueillir les gros porteurs ». Encore une fois, le CGEDD estime que cet aménagement n’est pas nécessaire. Le CNDP affirme plus loin que le réaménagement « impacterait ainsi plusieurs hectares de zones humides et le lac de Grandlieu ». Problème : il va encore plus loin que la DGAC : « cette citation est fausse », indique l’Atelier Citoyen. « Cette phrase n’est pas affirmative dans l’étude de la DGAC, mais interrogative. Et la note du 9 septembre 2014 de la DREAL répond à cette interrogation ». Cette note, enterrée par la préfecture, indiquait en effet que l’allongement éventuel de la piste ne présentait pas de danger ni pour la faune, ni pour les oiseaux, ni pour les zones humides ni même pour le lac de Grandlieu.
Emploi : des chiffres bidon et des promesses invérifiables
Zéro pointé aussi pour la partie réservé aux emplois. Le CNDP reprend telles quelles les affirmations de la CCI Nantes–Saint-Nazaire, favorable au projet, et dont l’association pro-aéroport Ailes pour l’Ouest, originellement ACIPRAN, est une émanation. Evidemment, le CNDP ne précise pas que la CCI est favorable au projet, c’est à l’électeur de le savoir. *
La CCI dit de son côté que « environ 2 000 emplois liés directement aux activités aéronautiques seront transférés sur la future plate-forme ». C’est faux. Pour deux raisons : la première, c’est que l’aéroport nouveau, plus petit et plus automatisé, emploiera moins de monde. Ensuite, il n’est pas prévu d’emprise sur place pour transférer la zone industrielle de l’aéroport actuel, le D2A. Et sur les projets de l’aérogare consultés par les opposants, il n’y a pas de bâtiment fret. Quid alors de ce trafic et des entreprises actuellement installées à Bouguenais, au pied de l’aéroport, ainsi que de leurs employés ? Il est vrai que Vinci exploite aussi l’aéroport de Rennes, dont le trafic passagers est dix fois inférieur à celui de Nantes mais qui dispose d’une zone fret en croissance continue et que Vinci veut continuer à développer. « L’oubli » du fret à Notre-Dame des Landes n’est peut-être pas anodin : les emplois liés au fret aérien à Nantes partiront donc à Rennes.
Voilà encore des précisions indispensables que le CNDP ne donne pas sur son document. Ensuite, il reprend l’affirmation selon laquelle « ce sont 600 emplois directs qui seront créés par million de passagers supplémentaires, soit 2 500 emplois à l’horizon 2020 pour 5 millions de passagers ». Cela, c’est complètement invérifiable. Surtout que la DGAC a surévalué nettement ses prévisions pour justifier le projet de Notre-Dame-des-Landes, et que l’objectif des 9 millions de passagers, même en 2050, paraît complètement fumeux.
Une chose en revanche est vérifiable : le fait que la fermeture de l’aéroport actuel serait une catastrophe économique pour l’usine Airbus et les autres entreprises aéronautiques du coin, soit 8 300 emplois. Le CNDP n’en souffle mot, tandis qu’il reprend les affirmations de la CCI selon lesquelles « les 80 hectares libérés sur le site de Nantes Atlantique permettraient à terme de doubler le nombre d’emplois sur le site, soit 5 000 nouveaux emplois industriels et 1 000 emplois de chercheurs ». Mais il y a un double problème, souligné par l’Atelier Citoyen qui constate que le CNDP n’a pas tranché le nœud gordien entre fermeture totale de l’aéroport ou maintien partiel, ce qui entretient l’ambiguïté et contribue à égarer un peu plus les électeurs.
« Même si le départ de l’aéroport libère 80 hectares, il ne sera pas possible de construire sur ces terrains proches de la piste. Une piste « à usage restreint », même pour un trafic limité, génère des servitudes aéronautiques de dégagement qui empêchent l’édification d’obstacles à proximité de l’aéroport de manière à assurer la visibilité, les communications radio et in fine la sécurité des avions lors des phases d’approche et de décollage », remarque l’Atelier Citoyen. Et si la piste est fermée pour pouvoir construire, alors ce sont les 8 300 emplois qui en dépendent qui risquent de disparaître. Mais là encore, c’est une réalité que le CNDP s’emploie à cacher dans son document officiel… et qu’on ne retrouve pas même en page 14, où sont résumés six arguments pour chacun des camps, partisans et opposants. Après tout, 8 300 emplois qui risquent de disparaître à Nantes à cause de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, alors que la France en perd des milliers chaque mois, ça n’a aucune importance…
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