Présentation de l’éditeur :
Pourquoi une nouvelle histoire du Moyen Âge ? D’abord, parce que plus nous nous éloignons de cette période, plus elle intrigue et même fascine, car nous sentons confusément que là se trouvent les racines de nos aspirations et de nos drames actuels, des obscurantismes religieux aussi bien que des hautes spiritualités, de la violence aveugle comme de la quête de sens, de la peur du futur comme du rêve d’un retour à la nature.
Ensuite, parce que l’image actuelle du monde médiéval est trop souvent falsifiée : évacué des programmes scolaires, réduit en miettes anecdotiques par les médias, transformé en légende noire ou dorée, le Moyen Âge a perdu toute cohérence dans la mémoire collective. Pour le comprendre ? donc pour nous comprendre ?, il faut restituer les faits, les noms, les dates dans leur enchaînement logique et chronologique. Telle est l’ambition de cet ouvrage.
Enfin, parce qu’aujourd’hui plus que jamais il est nécessaire d’élargir notre vue en replaçant « notre » Moyen Âge européen dans le contexte de ses relations avec ses voisins.
L’histoire médiévale occidentale est indissociable de celle du Proche-Orient, à la fois ennemi et Terre promise : du Ve au Xe siècle, c’est l’âge des grandes illusions, pendant lequel l’Orient byzantin puis musulman domine un Occident encore barbare ; du XIe au XIIIe siècle, l’Occident chrétien manifeste son dynamisme et atteint son âge de raison, en accord avec une foi plus éclairée, avant de connaître des fléaux apocalyptiques aux XIVe et XVe siècles, dans un âge de transition vers un monde moderne dont l’optimisme humaniste fait aujourd’hui naufrage. Au-delà de nos avancées technologiques, sans cesse nous en revenons ainsi aux questions fondamentales posées par l’homme médiéval.
Ce livre – fruit d’un long travail de synthèse et de recherches – servira incontestablement de base de travail pour tous les étudiants se lançant dans des études d’histoire et abordant le Moyen Âge. Nous le recommandons également pour tous ceux qui ont besoin de découvrir ou de parfaire leurs connaissances sur un millénaire de notre histoire.
Nous avons interrogé Georges Minois sur son ouvrage et son parcours d’historien.
Breizh-info.com : Pouvez-vous nous parler de votre initiation à l’Histoire, et de ce qui aura guidé votre grande carrière d’Historien par la suite ?
Georges Minois : Mon goût pour l’histoire est apparu dès l’école primaire, et a une double origine: a) un rejet du présent, d’une époque contemporaine que je n’aime pas, dans laquelle je ne me suis jamais senti à ma place, et que j’ai toujours vécu comme un déclin de l’humanité et non comme un progrès.
b)Une fascination pour les épisodes célèbres de l’histoire de France, illustrés par les images traditionnelles des manuels d’histoire en usage dans les écoles primaires au milieu du XXe siècle. Ensuite, l’enchaînement a été naturel: on cherche à en savoir plus sur ce passé qui semble si flamboyant. Pour moi, c’était le présent qui était en noir et blanc, et le passé en couleurs.
Breizh-info.com : Vous sortez une « Histoire du Moyen-Age», qui constitue votre 44ème ouvrage, parmi de nombreux autres qui traitaient de thématiques spécifiques à une période de ce moyen-âge. Ce livre est-il une sorte d’aboutissement de vos recherches, de votre réflexion , de votre carrière ?
Georges Minois : Il y a dans mes livres deux types de sujets:
a) Des thèmes de réflexion, des synthèses qui tournent autour de la grande question du sens de l’existence: comment les sociétés occidentales ont-elles envisagé cette énigme au cours de l’histoire (réponses religieuses, scientifiques, athées, mal de vivre, suicide, rire et dérision, prédictions et prophéties, médecine et religion, etc) ? Ce sont mes thèmes de prédilection, touchant l’histoire culturelle.
b) Des thèmes anecdotiques, évènementiels, de type biographique, qui ont aujourd’hui la préférence des éditeurs. Ces derniers sont de nos jours très réticents à publier de gros ouvrages d’histoire culturelle; il leur faut des choses qui se vendent, du « light », du pittoresque, de l’insolite, voire du grotesque, beaucoup plus que du sérieux. Les impératifs commerciaux commandent, et l’auteur doit se résigner au compromis.
Cette histoire du Moyen Âge en est un: elle tente de discerner les grandes lignes de la conception existentielle des hommes médiévaux à travers les évènements de leur histoire.
Breizh-info.com : Votre livre retrace 1100 années d’histoire en Occident. Comment avez-vous réussi à sélectionner, et à faire tenir cela dans un ouvrage de « seulement » 500 pages ?
Georges Minois : Disons qu’après avoir fréquenté l’histoire pendant des dizaines d’années, on acquiert une relative maîtrise des faits qui permet de sélectionner ce qui est important de ce qui l’est moins, et donc de faire tenir 1100 ans en 500 pages.
Breizh-info.com : Ce livre s’avèrera sans aucun doute être un outil précieux, notamment parce qu’il fait la part belle à la chronologie, trop souvent mise de côté depuis quelques générations de massacre de l’Histoire dans l’Education nationale. Était-ce une volonté de votre part de permettre au lecteur de plonger dans l’histoire d’un point A (400) à un point B (1500) ?
Georges Minois : Un des buts principaux de ce livre est en effet de restituer le cadre chronologique du Moyen Âge. Situer les personnages, les faits et les dates dans l’évolution de la société, seule façon de retrouver le sens qu’une civilisation donne à la marche de l’histoire. L’histoire, c’est le temps qui passe, et la flèche du temps est à sens unique.
L’enseignement de l’histoire, aujourd’hui, oublie cette dimension essentielle; en privilégiant les approches thématiques hors de leur contexte chronologique, il introduit la confusion dans l’esprit des jeunes générations, pour lesquelles le passé est devenu un chaos dans lequel il n’y a plus de repères. L’enseignement actuel de l’histoire dans le secondaire met la charrue avant les boeufs: l’approche thématique de l’histoire n’est valable qu’à partir du moment où l’on maîtrise les dates, les faits, les noms. Brûler cette étape, c’est se condamner à n’y rien comprendre. Mettre en place le cadre chronologique est fondamental.
Breizh-info.com : Pourquoi le Moyen-Age est il à ce point occulté – ou trop rapidement évoqué – dans les manuels d’histoire et dans le nouvel enseignement actuel, alors qu’il abrite de nombreux mythes fondateurs de la civilisation Européenne et des peuples Européens ?
Georges Minois : C’est en partie à cause de cette cette approche erronée de l’histoire dans l’enseignement que le Moyen Âge a été marginalisé, relégué dans l’imaginaire collectif au rang de monde fabuleux qui n’a plus aucun rapport avec le nôtre, une sorte de réservoir d’anecdotes semi-légendaires, favorisant le rêve, l’évasion, le fantasme, un monde que le grand public ne fréquente plus qu’à travers quelques émissions médiatiques racoleuses privilégiant le spectaculaire et l’insolite. Le Moyen Âge, ce n’est pas sérieux, c’est un monde en-dehors de nos préoccupations contemporaines, un monde d’affaires déclassifiées: « Nous ne sommes plus au Moyen Âge ! »
Breizh-info.com : Notre Moyen-Age fut il une période « sombre » comme l’ont écrit de nombreux historiens avant vous ? Y’a t’il réellement une « unité » dans ces 1100 années d’histoire de l’Europe ?
Georges Minois : Il y a une légende noire du Moyen Âge, faite d’obscurantisme, d’inquisition, de violences, de famines, de superstitions, d’oppressions. Nous réalisons aujourd’hui que notre époque n’a rien à lui envier dans ces domaines. C’est pourquoi se développe en parallèle une légende dorée du Moyen Âge, faite de merveilleuses cathédrales, de châteaux de contes de fées, de haute spiritualité, de preux chevaliers et de gentes dames.
Loin de ces caricatures, le Moyen Âge, c’est 1100 ans d’efforts quotidiens par des générations humaines qui ont tenté avec les maigres moyens techniques de leur époque, de survivre tout en donnant un sens à leur existence misérable, par une synthèse équilibrée entre la foi et la raison.
Breizh-info.com : Quelles sont les périodes de ce millénaire que vous parcourez qui vous attirent le plus ?
Georges Minois : Pour moi, la période la plus émouvante du Moyen Âge est la charnière entre le XIIIe et le XIVe siècle, ce moment où les certitudes élaborées par les grandes oeuvres intellectuelles universitaires se lézardent sous les critiques de quelques esprits audacieux, qui réalisent que la grande synthèse de la foi et de la raison n’est qu’une illusion, et que le sens de la vie reste à réinventer.
Breizh-info.com : Le « choc de l’Islam » n’a t-il pas été finalement un vecteur d’unification d’une partie de l’Europe qui a su rapidement « désigner l’ennemi » et donc se définir par rapport à lui ? Est ce que cela en fut de même avec l’empire ottoman ou byzantin et avec le Proche-Orient ?
Georges Minois : Le Moyen Âge occidental a la passion de l’unité basée sur la foi chrétienne, rejetant dans les ténèbres extérieures toutes les croyances païennes et hétérodoxes, au rang desquelles se trouve l’islam. Ce dernier, pendant longtemps a été vu comme une simple hérésie supplémentaire, dont on a sous-estimé la force conquérante et agressive., et dont on s’est peu occupé tant qu’il restait cantonné à l’Orient fabuleux.
C’est au XIe siècle seulement que les oppositions se durcissent, aussi bien avec Byzance (schisme de 1054) qu’avec l’islam (première croisade de 1096-1099). La confrontation avec ces cultures étrangères a fortement contribué à former l’identité européenne.
Breizh-info.com : N’est-ce pas finalement, déjà à l’époque, une forme de lassitude de la guerre et de ses ravages, chez les populations comme chez leurs dirigeants, qui a amené la Renaissance et la prise de pouvoir progressive du bourgeois et du commerçant, sur la noblesse, le paysan, le chevalier ?
Georges Minois : Je ne pense pas qu’il y ait eu une « lassitude de la guerre et de ses ravages ». L’histoire montre que l’homme ne se lasse jamais de la guerre; simplement il s’arrête parfois pour reprendre son souffle et recommencer de plus belle. Par contre, ce qui est vrai, c’est que le seul substitut efficace aux conflits idéologiques et guerriers, c’est le besoin de croissance économique et le désir de consommation.
Le pire ennemi de l’idéologie, du fanatisme, de la religion, de l’identité culturelle, c’est l’argent. Ce ne sont pas les grandes idées humanistes qui ont mis fin au Moyen Âge à la Renaissance, c’est le capitalisme. Remède pire que le mal, c’est possible, mais c’est inévitable.
Breizh-info.com : L’Historien Jacques Heers fut votre maître. Pouvez-vous nous parler de ce médiéviste majeur ?
Georges Minois : C’est une des leçons que j’ai retenue de Jacques Heers. Ce grand universitaire dont j’ai suivi les cours était spécialiste du monde des affaires au XVe siècle, des banques italiennes, des grands négociants, des techniques bancaires et commerciales, dont la force subversive a miné les structures sociales du Moyen Âge.
Breizh-info.com :Parmi les nombreux ouvrages que vous avez rédigé, plusieurs l’ont été sur la Bretagne et son histoire. Pour quelles raisons ?
Georges Minois : Si j’ai abordé plusieurs fois l’histoire de la Bretagne, c’est d’abord pour une raison très prosaïque: habitant à Saint-Brieuc, la proximité des sources documentaires (archives départementales, fonds anciens des bibliothèques publiques) m’a orienté tout naturellement vers des recherches sur le Trégor des XVe-XVIIIe siècles.
Breizh-info.com : Quels ont été les livres qui, récemment vous ont particulièrement plu et que vous recommanderiez à nos lecteurs ?
Georges Minois : Je vais vous décevoir: je n’ai pratiquement jamais lu un livre de la première à la dernière page. Sans même parler des romans, auxquels je suis allergique parce que je ne m’intéresse qu’aux histoires vraies et non à la fiction, je ne lis que dans l’optique d’un travail de recherche.
Pour moi, l’essentiel dans un livre, c’est la table des matières et l’index. A partir de là, je sélectionne les passages qui me paraissent utiles, parfois un seul paragraphe, parfois dix pages.
On pourrait dire que je consulte des centaines de volumes mais que je n’en lis pas un seul.
Je serais donc mal placé pour recommander tel ou tel ouvrage, sinon les grands classiques de l’historiographie, les oeuvres de ces historiens qui ont totalement renouvelé la connaissance historique et ouvert de nouvelles pistes, les Marc Bloch, Georges Duby, jacques le Goff, Jacques Heers, Roland Mousnier, François Lebrun, Pierre Goubert, Jean Delumeau, Emmanuel le Roy Ladurie et quelques autres.
C’est une génération qui s’en va, et dont les successeurs sont un peu comme des nains sur les épaules de géants, pour reprendre la célèbre image de l’école de Chartres au XIIe siècle.
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