04/03/2016 – 06h45 Dublin (Breizh-info.com) – Les commémorations de l’insurrection irlandaise de Pâques 1916 se rapprochent. Une équipe de Breizh-info se rendra d’ailleurs à Dublin, pour être au plus près de l’événement. En attendant, nous nous penchons aujourd’hui sur un des acteurs majeurs de la révolution irlandaise, qui paya de sa vie sa participation à la prise de la Poste centrale de Dublin : James Connolly, penseur, tribun, et combattant socialiste. Autant, en Bretagne et plus généralement en France, les noms de Padrig Pearse, de Michael Collins ou d’Eamon de Valera parlent à ceux qui s’intéressent à l’Irlande et à son histoire, autant le personnage de James Connolly est moins connu, alors qu’il fût sans doute un des piliers principaux de la révolte.
Il n’existe d’ailleurs qu’un seul ouvrage en langue française consacré à James Connolly. Il a été rédigé en 1979 par Roger Faligot, reporter et écrivain. Roger Faligot est l’auteur récent de « L’Irlandais de Bonaparte » (Plon) et, en juin prochain, de « Brest, l’insoumise » (Ed. Dialogues).
Nous lui avons adressé quelques questions sur James Connolly, auxquelles il a accepté de répondre.
Breizh-info.com : Qui était vraiment James Connolly ? Révolutionnaire communiste, ou nationaliste irlandais avant tout ?
Roger Faligot : Ni l’un ni l’autre. Il faut éviter les anachronismes. Connolly est né en Ecosse où il s’est familiarisé avec l’action syndicale puis les premiers mouvements socialistes liés à la IIe Internationale. D’une certaine façon, c’est le Jean Jaurès irlandais. Mais ayant été soldat de l’armée britannique en Irlande il a découvert son identité irlandaise, et de ce point de vue c’était un nationaliste, mais également internationaliste. Il voulait lier la question sociale et la question nationale, l’indépendance de l’Irlande mais avec un système autogestionnaire où la classe ouvrière (celle qui s’était mobilisée lors de la grève générale de 1913) s’allierait avec la paysannerie et les classes moyennes. Mais cela impliquait aussi de réunir les classes défavorisées catholiques et protestantes à Belfast. Ensuite, il défend la langue gaélique et c’est un féministe déclaré (ce qui est novateur dans un pays où l’église à un poids considérable).
Enfin, il estime que l’Irish Citizen Army, la milice ouvrière issue de la grève de 1913 qu’il dirige, doit s’allier avec les Irish Volonteers (des nationalistes issus du mouvement républicain traditionnel en 1798) pour le soulèvement de Pâques 1916. Ils fusionnent et forment l’Irish Republican Army.
Breizh-info.com : Racontez-nous sa dernière journée , lui qui fût fusillé sur une chaise par les anglais
Roger Faligot : Au sein de l’IRA, Connolly était le commandant pour les unités de Dublin. Par ailleurs, il a beaucoup influencé ses amis à la tête de l’insurrection pour écrire le texte de la déclaration d’indépendance lue par Padraig Pearse choisi comme président de la République. Connolly n’était pas un « général en chambre », mais en première ligne des combats à la Poste centrale assigée par les troupes britanniques. Il a donc été blessé. Et la dernière journée il était sous calmants. Sa fille Nora Connolly O’Brien, qui a préfacé ma biographie de Connolly, m’a raconté comment elle fut la dernière à le voir. Ceci dit, on vient de trouver des photos qui montrent qu’il était gravement blessé. Il a été fusillé attaché sur une chaise, car il ne pouvait pas tenir debout.
Il a dit à sa fille de continuer la lutte de libération. Les enfants Connolly ont participé à la guerre d’indépendance et Roddy, le fils, a créé l’un des deux partis communistes qui étaient au côtés de l’IRA pendant la guerre d’indépendance et ensuite dans les Brigades internationales de la guerre d’Espagne. La colonne des Irlandais à Teruel et Jarama s’appelait évidemment « Connolly »… L’ancien chef d’Etat-major de l’IRA, Frank Ryan, qui avait été avec Connolly, était le chef de la XVe Brigade internationale, de langue anglaise.
Breizh-info.com : Quel fût le rôle joué par la gauche et de l’extrême-gauche dans la révolution irlandaise ?
Roger Faligot : On ne parlait pas de gauche et d’extrême-gauche à l’époque. Certains éléments de la gauche républicaine ont formé dans les années 1930 le mouvement politique socialiste Saor Eire (Irlande Libre) lié à l’IRA qui a continué à se battre pour la réunification de l’Irlande jusqu’en 1997. Entre-temps, le Sinn Féin était devenu l’aile politique, de plus en plus à gauche de l’échiquier politique. Il y a eu divers conflits internes que j’explique dans mes livres : James Connolly & la révolution irlandaise, La Résistance irlandaise et La Harpe & l’Hermine (tous trois aux éditions Terre de Brume) et Les mystères d’Irlande (ed. Yoran Embanner).
Puis des mutations importantes se produisent jusqu’à la cessation de la lutte armée par l’IRA et la métamorphose du Sinn Féin en un parti politique — dont la participation au gouvernement est aujourd’hui envisageable, aux côtés du très populaire mouvement anti-Austérité, des sociaux-démocrates et de divers petits groupes indépendants (tandis qu’au Nord, l’ancien chef républicain Martin MacGuinness est vice-premier ministre.)
Des deux côtés de la frontière, ils espèrent toujours parvenir à la réunification par des moyens politiques et des changements constitutionnels.
Indubitablement, les grands mouvements auxquels nous allons assister en Irlande sont liés aux modifications en Europe avec l’éventuel retrait de la Grande-Bretagne de la Communauté européenne, et les changements de la situation en Ecosse (comme d’ailleurs dans l’Etat espagnol), mais aussi avec l’élection probable d’Hillary Clinton car n’oublions pas le rôle de son mari dans le processus de Paix en Irlande il y a vingt ans et de celui du lobby irlandais toujours important.
Propos recueillis par Yann Vallerie
James Connolly et le mouvement révolutionnaire irlandais – éditions Terre de Brume – 20€
Voilà ce qu’écrivait Roger Faligot, en 1997 (soit un an avant les accords dits du vendredi saint) à propos de James Connolly :
« La pensée de James Connolly, le Jaurès irlandais, n’a rien perdu de sa fraîcheur.
Quelles sont donc les raisons qui valent de le découvrir au-delà de l’Île d’Émeraude ? D’abord, la question irlandaise, dont il appelait de ses vœux une solution qui respecte autant le peuple nationaliste de toute l’île que la communauté loyaliste des six comtés d’Ulster, est en voie de résolution. Au moment où j’écris ces lignes, l’Armée républicaine irlandaise (IRA), fondée par Connolly et ses amis, vient de décider un nouveau cessez-le-feu pour négocier avec le nouveau gouvernement travailliste de Tony Blair.
Tous les thèmes évoqués par Connolly sont réunis : le problème de la partition de l’Irlande ; la nécessaire solidarité entre Protestants et Catholiques si l’on veut résoudre le problème ; le rejet par le mouvement travailliste et syndical britannique d’un chauvinisme héritier de la période coloniale ; la question sociale qui revient plus que jamais sur le tapis même dans cette Irlande du Sud dont on nous dit qu’elle devient un « tigre celtique ». Car ce décollage économique se réalise au profit de qui ? Aux dépens de qui ?
C’est dans un contexte de la construction européenne que se profile la solution irlandaise, singulièrement au moment où le
« Royaume-Uni » se désagrège définitivement. Je ne veux pas juste parler de la chute de la maison Windsor qui aurait fait plaisir à Connolly qui organisa une manifestation monstre contre le jubilé de la reine Victoria en 1897…
Un siècle après en 1997, Hong Kong n’a pas été rendu aux Chinois de Pékin, que les soldats écossais que j’ai vus stationnés à l’île Victoria sont rentrés au bercail et doivent participer au référendum sur l’avenir de leur Écosse et de son Parlement. J’ai couru à Édimbourg où Connolly avait fait ses premières armes de syndicaliste, pour me rendre compte de visu, à l’été 1997, que rien ne sera plus comme avant. Mais là encore, les réflexions de Connolly sur l’autonomie des petites nations, la renaissance culturelle du gaélique, la nécessaire fusion entre les traditions dynamiques et les nouvelles technologies sont pertinentes.
Le gros avantage, c’est que depuis l’effondrement du mur de Berlin, une réévaluation historique des courants qui ont traversé le mouvement socialiste à travers le XXème siècle joue pas en faveur du fondateur du Parti socialiste irlandais. Si l’on en croit tous les témoignages, le militant et le penseur alliaient une rigueur de travail à une bonne humeur, un sens de l’humour, une convivialité qui était tout le contraire de la rigidité doctrinaire et d’un marxisme figé. L’hypothèque stalinienne étant levée, on redécouvre à travers le monde – à commencer par la Russie – des personnages qui semblaient être les grands perdants de l’Histoire parce qu’ils avaient été écrasés entre le marteau et l’enclume de deux systèmes – capitaliste ou socialiste – tout aussi déshumanisés. À l’ouest, Connolly était de ceux-là.
Quelques mois seulement après que les armes se soient tues dans l’ex-République yougoslave, la façon dont Connolly envisageait la question nationale, les problèmes des minorités et des nationalismes restent totalement d’actualité dans un débat
brûlant : le nationalisme doit-il forcément mener au carnage, aux luttes fratricides ou doit-il au contraire développer le respect de la différence, la richesse culturelle autonome et décentraliser un centralisme étouffant.
On trouvera beaucoup d’éléments de réponses à ces questions, me semble-t-il, dans la façon dont James Connolly envisageait les rapports entre les communautés nationales, les minorités culturelles et religieuses, le rôle émancipateur de la femme. C’est une approche fraternelle du monde qui a guidé les pas de ce syndicaliste et tribun socialiste et ce message mérite d’être relu.»
Roger Faligot
Édimbourg, juillet 1997
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