Morts sous vos yeux : un collectif s’engage pour les sans-abris, abandonnés par l’État

09/03/2016 – 07h00 Rennes (Breizh-info.com) – Depuis plusieurs mois, le collectif « Morts sous vos yeux » a fait son apparition et publie notamment des petits reportages vidéos, sur Internet, dans lesquels on voit ses membres aller à la rencontre des SDF en France. Ce collectif est emmené par Claude Huet, ancien SDF , directeur de l’association SOS Sans-Abris mais également écrivain, ayant publié récemment le livre que nous vous conseillons, « Etat des lieux » .

A l’heure où la France s’est montrée capable, en quelques semaines, de réquisitionner des logements, d’ouvrir ses portes à une masse de population immigrée, il nous semblait intéressant d’aller à la rencontre de ceux qui, au quotidien, aident ces sans-abris abandonnés par leur propre pays.

Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’initiative du collectif « Morts sous vos yeux »?

Collectif « Morts sous vos yeux » : L’initiative part d’un postulat simple : ce qui n’existe pas médiatiquement est ignoré. Malheureusement, nous sommes à l’ère de l’image et du spectacle. Les sans-abris ne sont plus qu’un folklore dont on se soucie seulement lors de l’hiver (alors qu’ils meurent, d’ailleurs, davantage l’été) pour se donner bonne conscience. Ils sont presque aussi rituels que le sapin de Noël. Des associations, des collectifs et des individus tentent de leur apporter de l’aide et du réconfort, mais à quoi bon ? En dix ans, le nombre de SDF a crû de 50% (et de 84% à Paris sur la même période). Est-on condamné à gérer les dégâts de la société « liquide » et d’une économie de marché débridée ? Très peu pour nous. Nos concitoyens aiment l’image et la télé-réalité ? Très bien, donnons-leur de l’image et de la réalité, et montrons-leur nos concitoyens qui meurent sous leurs yeux sans qu’ils s’en émeuvent, réservant leurs larmes à d’autres bien plus lointains qu’ils ne connaîtront jamais.

En second lieu, nous vivons dans l’instantané, le zapping. Un long reportage auprès de très nombreux SDF pourrait émouvoir, mais après l’indignation de circonstance nos concitoyens s’en retourneraient se cultiver sur « Plus belle la vie » ou Hanouna. De nombreux petits reportages ont plus de chance de marquer, car le cerveau fonctionne à la répétition. C’est d’ailleurs l’idée qui sous-tend Morts sous vos yeux : interpeller quotidiennement via Twitter, le medium social chaud par excellence (65% de l’information en est reprise), la ministre du Logement et la ministre des Solidarités, en leur envoyant ces reportages. Qu’elles aient au moins le courage de répondre de leurs administrés (n’allons pas jusqu’à leur demander de les considérer comme des concitoyens) qu’elles abandonnent à la mort, ou que des journalistes fassent leur travail. Nous voulons faire une gestion offensive de l’image, ce que personne ne fait. Augustin Legrand avait eu une excellente idée avec les tentes du Canal Saint-Martin, mais en dix ans, nous l’avons dit, le nombre de sans-abris a crû sans cesse et tout le monde s’est habitué à ces tentes. Nous ne voulons pas d’effet « buzz » et comptons nous inscrire dans le temps long.

Nous avons sollicité Claude Huet pour bénéficier de son expérience et de ses conseils. Nous souhaitions initialement qu’il parraine Morts sous vos yeux. Très emballé par l’idée, il en est devenu la figure de proue. Il a par ailleurs toute légitimité pour s’exprimer sur la question, ayant passé dix ans dans la rue – ce qui facilite grandement le contact avec les SDF par ailleurs.

Breizh-info.com : Le rapport  de la Fondation l’Abbé Pierre sur la pauvreté en France est sorti il y a quelques semaines. Qu’en retirez-vous? 

Collectif « Morts sous vos yeux » : Ce rapport est indéniablement à lire et à faire lire. Pour « s’amuser », si la situation n’était pas aussi alarmante, on pourrait jouer aux devinettes et enlever l’année de publication pour que les lecteurs cherchent à en découvrir la date. On se croirait tout droit sorti du Quai de Wigan de George Orwell, qui relatait les conditions de vie des mineurs dans l’Angleterre industrielle des années 1930. La comparaison peut paraître excessive, mais à première vue seulement. Le rapport révèle un darwinisme social larvé à l’œuvre dans la France de 2016 qui vient se rajouter au chiffre endémique des sans-abris. Le mal-logement concernerait 3,8 millions de personnes, et 15 millions seraient touchés par la crise du logement. De nombreux indicateurs, bien souvent négligés, sont pris en compte : précarité énergétique, hébergement chez des tiers, « effort financier excessif », problèmes de santé qui aggravent les problèmes de logement.

La Fondation émet de très nombreuses propositions, extrêmement pertinentes, dans son rapport (cf. les « quatre piliers » présentés dans son annexe). Soulignons en particulier, dans le troisième pilier, l’idée de « privilégier un accès direct à un logement pour les personnes sans domicile qui le souhaitent, dans la philosophie du « Logement d’abord », plutôt qu’un parcours sinueux en hébergement, en hôtel ou en statut dérogatoire au bail de droit commun, qui est non seulement inadapté aux personnes mais aussi coûteux pour la collectivité. »

Nous avons pour notre part quelques suggestions complémentaires :
1) puisque les communes peuvent apparemment héberger des « migrants » (qui sont juridiquement des étrangers illégaux et devraient rien que par ce fait être arrêtés et reconduits à la frontière), relogeons en priorité les sans-abris français et les étrangers légaux (à partir du moment où l’Etat valide un titre de séjour, il semble normal qu’il assure le logement à ces personnes, qu’elles viennent de Pologne ou d’Afrique)
2) plus de deux millions de logements sont vides, logeons donc les sans-abris plutôt que de les laisser crever
3) l’Etat manque d’argent ? Pas de souci : que le cumul des mandats se fasse sans cumul des rémunérations, que les « élites » qui n’en ont que le nom cessent de se goinfrer comme des porcs, ne se votent pas d’augmentation d’indemnité, qu’ils revoient leurs « frais de représentation » démentiels à la baisse, etc. Nous pourrions continuer longtemps.

Breizh-info.com :  Aujourd’hui, comment peut-on se retrouver du jour au lendemain dans la rue?

Collectif « Morts sous vos yeux » : La première cause est l’indifférence des autres. Une perte d’emploi, un deuil, une rupture, une dépression, la maladie, ou encore des frais exceptionnels peuvent arriver à tout le monde. C’est même une constante humaine. Pourtant, ce phénomène des sans-abris est une spécificité « moderne », et très révélatrice de l’état de régression anthropologique de notre pays et de sa culture cynique et égoïste. Les garde-fous tels que le traditionnel « coup de main » dont parle Jean-Claude Michéa, par exemple de la part des voisins, se sont progressivement effacés, de même que le classique et intemporel don / contre-don qui privilégie les liens (le rapport aux êtres) que les biens (le rapport aux choses).

Par ailleurs, le pouvoir d’achat n’a cessé de régresser pendant que le prix des loyers s’envole, et les gens sont toujours plus seuls pour faire face. Nous vivons dans un univers si implacable que le plus petit grain de sable venant perturber une fragile stabilité intellectuelle ou matérielle est suffisante pour que vous soyez implacablement écarté du système. Nul n’est à l’abri d’un accident de la vie ; le croire est une grave erreur. La chute advient si vite que vous n’en prenez conscience qu’une fois les deux pieds dans le caniveau.

Breizh-info.com :  Est-ce que l’État et les associations œuvrent vraiment pour aider les gens à de réinsérer?

Collectif « Morts sous vos yeux » : C’est un non catégorique, vous le savez bien : il y a toujours plus de précarité, de misère, de souffrance, de gens laissés sur le bas-côté de l’autoroute du libre-échange. Si l’Etat voulait régler la situation, il le pourrait. La preuve avec les « migrants » logés… Mais pour les sans-abris français et étrangers (légaux), comme Ponce Pilate, il s’en « lave les mains ». A se demander si les SDF, en plus d’être abandonnés, ne servent pas d’épée de Damoclès pour quiconque souhaiterait s’émanciper un peu trop de la tutelle de l’Etat ou du système actuel.

De plus, cette soi-disant « charité » offerte si généreusement n’a aucun sens profond, elle enfonce au contraire un peu plus les prétendus « heureux bénéficiaires » dans un univers de crasse dont ils n’ont aucune chance de sortir : hébergements d’urgence où l’on vous remet dehors à 7 heures du matin pour laisser la places à d’autres, assistanat illusoire qui trompe notre sérénité en nous faisant croire que tout va bien dans le meilleur des mondes (comme si les SDF étaient mieux lotis que nous), Restaus du Cœur démodés et qui n’ont jamais été réadaptés à la situation présente), sans compter l’incapacité à contrôler une situation désastreuse qui favorise les tricheurs et profiteurs du système (qui ne sont pas toujours SDF, ceux qui ont travaillé dans certains organismes d’ « aide » aux plus démunis sauront très bien de quoi nous parlons).

Tant par l’Etat que par ses associations subventionnées – malgré des gens parfois sincères et dévoués –, nous sommes l’envers de ce qu’Avishai Margalit appelle une société décente, c’est-à-dire « une société dont les institutions n’humilient pas les gens ».

Breizh-info.com : Quels sont les pires moments lorsqu’on est dans la rue garder espoir ?

Collectif « Morts sous vos yeux » :  Les pires moments font partie du quotidien mais tout dépend du besoin immédiat. Cela peut être une crise de fringale sans avoir un sou en poche ou encore une envie d’aller aux toilettes en cherchant un endroit discret pour se soulager, voire encore passer des heures à trouver un endroit pour la nuit où on se sentira en sécurité.
Mais le pire est la solitude qui vous étreint, le manque de contact avec le monde extérieur, et cet isolement qui vous écrase et vous donne l’impression de ne plus faire partie de l’humanité.

Comment garder espoir ? L’instinct de survie. Il ne donne certes pas l’espoir mais vous fait percuter qu’il n’y a que 2 solutions : l’abandon jusqu’à ce que la mort vous emporte, ou le refus de la fatalité. Alors, vous vous dites qu’un jour meilleur viendra, et refusez que le moment présent soit le dernier de cette spirale infernale.

Si notre société était moins atomisée, méprisante et égoïste, si les gens n’étaient pas devenus de simples monades ignorant leurs prochains, un passage dans la rue ne serait qu’une question de quelques heures, mais l’indifférence rend ces heures, jours, mois voire années, interminables.

Breizh-info.com :  Comment expliquez-vous le regard souvent dur que portent les gens sur les SDF en général ?

Collectif « Morts sous vos yeux » : On pourrait presque dire que cela relève de la mentalité d’esclave : faible avec les forts, fort avec les faibles. A l’origine de ce mépris, on peut isoler trois causes principales :

1) Le complexe de la virginité : l’absence de vécu. Quiconque a toujours pété dans la soie ignore l’odeur des égouts. A partir de là, il est facile de tenir les discours caricaturaux que l’on connaît : les sans-abris sont fainéants, ils ne veulent pas travailler, ils sont responsables de leur situation, ils l’ont voulu, ce sont des ivrognes (nos grands donneurs de leçons voudraient-ils nous dire quelle quantité d’alcool ils ingèrent dans leurs soirées entre amis ?), et autres idioties. Ceci, bien entendu, sans rien connaître de l’histoire personnelle de ces gens. Il est facile de tenir de grands discours quand la vie ne nous a pas mis à l’épreuve et que l’on n’a pas connu la faim ou la vraie misère.

2) La peur : cela rassure de pouvoir honnir le « faible » (nous le mettons entre guillemets, car nos « forts », désargentés et à la rue, seraient pour la plupart incapables d’y survivre), de se dire que l’on a réussi, que l’on est à l’abri, que l’on a gagné une compétition sociale imaginaire. Le mépris du sans-abri et plus largement du SDF est un moyen pour les médiocres de se convaincre que leur vie n’est pas aussi minable qu’en réalité, et qu’eux ne tomberont jamais aussi bas.

3) Le traditionnel mépris dit « de classe » (mais ouvert à tous), le mépris pour les « sans-dents », pour celui d’en-bas qui pollue notre conscience en se rappelant à notre vue. Ce mépris ne s’applique bien entendu pas au « lointain », fantasme exotique du nanti à la mentalité néo-coloniale qui, par un paternalisme dégoulinant de bons sentiments, ouvrira son cœur et son portefeuille au migrant (« mais ce n’est pas pareil, eux n’ont pas choisi leur situation »).

Breizh-info.com :  Quelles actions allez-vous entreprendre ?

Collectif « Morts sous vos yeux » : Plusieurs choses :

  • Lancer le collectif de manière durable et reprendre la publication de témoignages vidéo de SDF, pour harceler sur le long terme la ministre du Logement ainsi que la ministre des Solidarités.
  • Inviter à nous rejoindre (contactez-nous à [email protected]) et à réaliser ses propres reportages pour venir nous aider à nourrir le Collectif Morts sous vos yeux. Si vous connaissez des SDF, qu’ils soient Français ou étrangers légaux qui parlent Français, et que vous souhaitez nous aider, nous posons généralement trois questions au SDF que nous interrogeons : quel est son prénom, depuis combien de temps est-il dans la rue, et quel message aurait-il à adresser aux responsables politiques qui les laissent crever.
  • Prochainement, nous appellerons nos élus à participer eux aussi au collectif, dans une moindre mesure (par rapport à leur train de vie). Nous verrons qui répondra présent. Nous nous adresserons d’abord à nos parlementaires, puis à nos innombrables élus (après tout, la France compte 36 000 communes), ainsi qu’à quelques entreprises. Nous ne manquerons pas de rendre compte publiquement de leurs réponses. Cela ne sera pas spécialement pour notre collectif, mais pour l’association SOS Sans Abris de Claude Huet, qui vise notamment à reloger de manière durable des sans-abris, et à les aider à sortir de leur quotidien morbide (et bien souvent macabre).

Crédit photo : DR
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