Nation : de quoi parle Valls ?

Lors de son entretien avec Ruth Elkrief (BFMTV), le Premier ministre a affirmé que la nation faisait partie du bagage idéologique de la gauche et que, par conséquent, la droite ne pouvait se l’approprier (et encore moins l’« extrême-droite »). Il est assez piquant de constater que ce membre éminent de la branche senestre de l’oligarchie, laquelle se gausse des frontières, de l’indépendance et des symboles nationaux depuis des décennies (Jean Zay, un politicien radical-socialiste qui fut ministre du Front Populaire et dont la dépouille a été transférée au Panthéon le 27 mai 2015 a écrit que le drapeau tricolore était un « torche-cul » et que les patriotes étaient des « peigne-culs, des couillons et des putains » !), tente de nous faire croire qu’il accorde de l’importance à la nation alors que toute l’action de son parti depuis 1981 vise à la faire disparaitre dans cette organisation technocratique, ce marché sans limites qu’est l’Union européenne laquelle n’est, dans l’esprit de ses promoteurs, qu’une étape vers un monde unifié et soumis à une ‘’gouvernance’’ mondiale. Mais de quelle nation parle-t-il ? N’utilise-t-il pas ce mot, que les gens de gauche vomissent depuis longtemps déjà, pour tenter de récupérer le mouvement de retour à la nation qui enfle d’année en année dans notre pays?

Valls n’a pas tort d’affirmer que le mot « nation » a été très utilisé par ses grands ancêtres révolutionnaires mais il est important de rappeler que ce concept existait bien avant 1789 ; il servait alors à désigner une communauté définie par ses particularités culturelles et historiques c’est-à-dire un groupe ethnique (le mot nation vient du verbe latin « nascere » qui signifie naître ; la nation est donc une communauté de naissance). Les révolutionnaires bourgeois et libéraux de 1789 utilisèrent ce mot pour désigner tout autre chose puisque, pour eux, la nation était constituée de l’ensemble des partisans de la révolution (autrement dit de l’ensemble des ‘’patriotes’’, un autre mot auquel les révolutionnaires ont donné une signification qui renvoie à leur idéologie et non pas à notre patrie laquelle transcende les différences idéologiques et traverse les siècles). Cette nation révolutionnaire était donc de nature strictement idéologique et exclusive puisque du point de vue des révolutionnaires, la noblesse et le clergé ne faisaient pas partie de la nation ( voir les déclarations de Siéyès et Rabaut Saint-Etienne) tout comme les populations ou les individus réfractaires aux idées de 1789-1793. Cette conception de la nation, à laquelle tout individu pouvait appartenir pourvu qu’il fit siens les principes révolutionnaires et quelle que fut son origine, est fortement ‘’clivante’’ comme on dit aujourd’hui ; c’est même une conception qui porte davantage à l’affrontement, à la guerre civile qu’au rassemblement et au consensus, ce qu’admet Pierre Nora lui-même (Dictionnaire critique de la Révolution française). La nation, au sens traditionnel du terme, permet de dépasser les différences de points de vue, d’idées ou de croyances parce que l’origine et la culture communes créent des liens qui transcendent ces différences tandis que la nation révolutionnaire crée une fracture dans la communauté. Prétendre rassembler les Français au nom d’une telle idée est tout simplement absurde. La nation qui peut rassembler est celle qui comprend indifféremment tous ses membres sans distinction d’opinions politiques tandis que celle de Valls ne comprend pas ceux qu’il ‘’stigmatise’’ en permanence en les accusant d’être anti-républicains (près d’un tiers des Français tout de même). Valls véhicule une idéologie de guerre civile et sa déclaration de Lisbonne en est peut-être le révélateur (il a dit lors d’un déplacement à Lisbonne le 10 avril 2015 que tout sera fait pour empêcher le Front National d’accéder au pouvoir ; le mot « tout » est pour le moins inquiétant. D’autres membres du PS ont tenu des propos de ce type, ainsi Malek Boutih, lors d’un échange télévisé avec Philippot).

Ajoutons pour conclure que, pour Valls, la nation est la communauté des gens qui portent les ‘’valeurs de la république’’ lesquelles sont en fait les valeurs du libéralisme comme je l’ai écrit précédemment. L’accaparement du mot « république » et des mots « nation », « patrie » et « patriote » par l’oligarchie est une tromperie, un acte de terrorisme sémantique parce que ces trois derniers mots renvoient aux communautés enracinées et non pas aux groupements idéologiques ; quant au premier mot, son sens a été dévoyé par les révolutionnaires qui en ont fait un concept syncrétique dans lequel la part du libéralisme prévaut. Le combat sémantique est essentiel ; l’oligarchie le sait bien et le pratique avec une très grande habileté. Nous ne devons pas leur abandonner ce vocabulaire clef et nous devons, bien au contraire, l’utiliser en lui donnant le sens qu’il n’aurait jamais du perdre.

B. Guillard

Photo : Briand/Wikimedia (cc)
Breizh-info.com, 2016, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

 

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10 réponses à “Nation : de quoi parle Valls ?”

  1. Jean-Louis Satre dit :

    Où la politique, l’Histoire et la philologie se rencontrent ! Excellent, M. Guillard !

  2. Jean-Louis Satre dit :

    Où la politique, l’Histoire et la philologie se rencontrent ! Excellent article, M. Guillard !

  3. Jacques dit :

    Pas besoin d’évoquer « l’avant Révolution » pour trouver une autre définition de la nation.
    Il existe 2 définitions à ce mot : la définition française républicaine et la définition internationale.
    Pour la définition française républicaine : la Nation, c’est l’ensemble des citoyens!
    (exemple de nation étatique ou Etat-Nation : France, Nigéria, Algérie, Togo, Espagne, Syrie, Irak, Mali, etc….)
    Pour la définition internationale : la Nation, c’est un ensemble de personnes qui se reconnaissent et qui sont reconnus par les autres, comme formant un peuple (une culture et une langue), disposant d’un territoire et ayant ou ayant eu un état – une autogestion (même si dans certains cas le terme nation est évoqué pour des peuples n’ayant jamais eu de gouvernance propre, ex : la nation occitane, laponne…).
    (exemple de nations : Anglaise, allemande, écossaise, catalane, japonaise, bretonne, française, corse, Berbère, slovaque, russe, etc…)
    De nombreux pays dans le monde précise votre « citoyenneté » (qui vous donne un passeport) et votre nationalité (qui peut être différente de votre citoyenneté): passeport britannique bien que la personne puisse être de nationalité galloise, anglaise, irlandaise ou écossaise! Un passeport de citoyen roumain, pour une personne de nationalité roumaine, ukrainienne ou hongroise!
    Se rappeler qu’un passeport est lié à la citoyenneté et certainement pas à la nationalité!
    Qui défini la qualité de « nation » pour un groupe de personne?
    Comme évoqué, dans la définition française c’est l’Etat qui autoproclame le fait et selon sa propre définition!
    Alors que dans la définition internationale c’est à la fois le peuple concerné mais également les autres peuples qui définissent la qualité de « nation ». Ex : La nation anglaise existe parce que les Anglais se reconnaissent comme anglais, mais aussi parce que les autres peuples reconnaissent l’existence de cette nation anglaise.
    Dans l’Hexagone selon la définition internationale existe les nations bretonne, française, occitane, corse, basque.
    Mais dans la définition de l’Etat Républicain aucune de ces nations n’existe, l’Etat ne reconnaît que sa propre définition qu’il qualifie de « française ». Donc pour l’Etat français, un français n’existe pas plus qu’un breton, mais tous les deux doivent prétendre être « français » selon la définition qui leur est imposé!
    Pour mémoire avant 1962, l’Etat Républicain ne reconnaissait pas la nation algérienne et un Algérien devait prétendre appartenir à la nation française, même s’il était évident pour tout le monde sur la planète qu’un Algérien n’était pas un Français pas plus qu’un Breton ou un Corse ne l’est aujourd’hui!
    Sur l’exemple breton :
    Comment peut-on imaginer qu’un Français (peuple gallo-romain administré par les Francs germaniques) puisse considérer qu’un Breton (peuple celtique insulaire et d’Armorique) fasse parti de la même nation que lui??? Pour cela, il faudrait qu’un Français se considère également comme Breton donc issu de ce peuple celtique armoricain et insulaire, ce qu’il n’est pas à l’évidence (un breton est britannique un français ne l’est pas, britannique provenant d’ailleurs du mot breton/britton)…. Donc, Breton et Français sont 2 nations différentes et c’est ainsi que la chose est perçue par l’ensemble des autres nations!
    Walls ne peut utilisé le même mot « nation » pour définir à la fois les Bretons et les Français, mais également les Corses, les Basques…. (il est évident pour tous qu’un Basque est différent d’un Corse) même si pour l’instant toutes ces nationalités sont citoyens français!
    Pour la question du Libéralisme : Justement, la République est liberticide donc certainement pas libérale!

  4. Antoine dit :

    « Valls n’a pas tort d’affirmer que le mot « nation » a été très utilisé par ses grands ancêtres révolutionnaires ». Valls a des ancêtres révolutionaires ? Une famille de banquier Catalan et un côté Suisse par sa mère, pas vraiment le grand soir.

  5. Lacuson dit :

    «Quelle signification culturelle, humaine peut encore avoir la France ?
    On entre dans la nation française, disait Sieburg, non par le sang mais par l’esprit.
    La conclusion obligée est qu’on en sort quand on n’en partage plus l’esprit. » *

    Olier Mordel.

    * Ce qui est mon cas ; ce qu’est devenue la France, une  »République » maçonnique, multiethnique, multiculturelle et judéo-islamo-laïque, n’étant absolument plus ma Patrie charnelle ni la Nation de mon cœur et de mon peuple (un peuple en cours de remplacement d’ailleurs).

    • François Arondel dit :

      La France a certes été très défigurée au cours des quarante-cinq dernières années mais il reste, malgré tout, un peuple français. Peut-on dire qu’il y a un peuple breton ? Il est permis d’en douter.

  6. En Angleterre les Normands établissent l’Université d’Oxford en 1117, regroupée en 2 nations (Nord, c.-à-d. Angleterre + Ecosse, & Sud soit le Pays de Galle + l’Irlande), & ce n’est qu’en 1200 que le roi de France Philippe II (dit Auguste), organise l’Université de Paris, partagée entre 4 nations: Gaulois (France), Picards (c.-à-d. les états de Bourgogne), Germains (Allemagne) & Normands (la Veneranda Normannorum natio: « Vénérable nation normande », qui avait cet avantage sur les autres nations, d’être sans mélange, et de se composer exclusivement de Normands). L’Université de Caen, fut créée en 1432, par le Duc de Bedford, régent de Normandie.

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