Vent d’Est, la chronique de l’Europe centrale : spécial Pologne

27/11/2015 – 06H30 Varsovie (Breizh-info.com) – Retrouvez chaque semaine « vent d’Est » notre chronique d’Europe centrale rédigée  par notre correspondant local .

Dieu, l’Honneur et la Patrie. Toute la Pologne résumée dans une devise martiale et intemporelle. Ce petit géant d’Europe centrale n’a pas encore montré de quoi il est capable. La Pologne, c’est des terres plates, étouffantes l’été et glaciales l’hiver, des forêts sombres et une mer noire au nord. C’est des hommes et des femmes, grands, forts, beaux, le regard souvent profond et grave, industrieux et endurants. C’est un de ces cœurs oubliés de l’Europe ; cœur meurtri, trahi, mais indestructible. C’est aussi probablement le pays qui a connu le plus de trahisons au cours de l’Histoire. Et pourtant, la Pologne est bien là, vivante et sûre d’elle, encore aujourd’hui, et pour longtemps.

Nous parlons d’un peuple de 40 millions d’individus, pris entre l’enclume russe et le marteau germanique depuis des siècles. Un peuple qui a vaincu et absorbé les chevaliers teutoniques, qui a tenu bon face aux Tatars, qui a dominé un empire de la Baltique à la Mer Noire, qui a écrasé les troupes du Sultan aux portes de Vienne, qui est d’une loyauté irréprochable envers ses amis et alliés, un peuple qui a, enfin, survécu aux massacres et donné du fil à retordre aux deux plus grandes puissances destructrices de leur époque, le IIIe Reich allemand et l’Union soviétique. C’est un peuple qui a résisté, pacifiquement et par les armes, aux Soviets. Les Polonais ont rempli leurs églises pour attendre avec résilience la chute inéluctable du communisme. C’est un peuple épris de liberté mais qui, trop occupé à survivre et disposer enfin d’un État propre à sa hauteur, a souvent vécu déchiré entre les ogres impérialistes. Mais les Polonais ne rechignent pas à porter leur croix ; la Pologne est la meilleure fille de l’Église aujourd’hui, incontestablement.

Avec les Hongrois, leurs frères de destin, les Polonais ont eu jadis un royaume commun, immense et prospère. Ils ont combattu les mêmes ennemis, qu’ils viennent de Germanie, des steppes de l’Est, d’au-delà de l’Oural ou d’Anatolie à travers les Balkans. Ils ont été la ligne de défense la plus avancée à l’Est européen du catholicisme, ils se sont soutenus au fil des siècles, et cette alliance d’un temps immémorial dure et existe encore. A Varsovie, on peut voir des graffitis clamant « Polonais et Hongrois, deux frères, qui boivent ensemble et combattent ensemble« . Se déclarer Hongrois dans un bar polonais vous garantit à coup sûr, sourires, tapes amicales et verres offerts. Il faut rappeler que les Polonais ont aidé les Hongrois en 1848, que les officiers hongrois, soldats de l’Axe, ont aidé les Polonais, envahis par l’Allemagne – alliée de la Hongrie -, à se mettre à l’abri en 1939. Les ouvriers et étudiants hongrois ont manifesté le 23 octobre 1956 en soutien aux grèves de Polonais contre l’occupant soviétique ; cela a abouti à la révolte sanglante de 56. On comprend mieux la facilité avec laquelle Polonais et Hongrois collaborent aujourd’hui au sein du V4 – groupe des 4 de Viségrád : Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie.

La Pologne vient de connaître des élections historiques. Après l’ascension du jeune et méconnu Andrezj Duda, devenu président au printemps, les législatives de fin octobre ont consacré le parti PiS, qui a appris de ses erreurs passées, a déchanté de l’atlantisme et a désormais du sang neuf : un tiers de ses députés fraîchement élus sont nouveaux en politique. Au parlement polonais, fort de 460 représentants, il est possible pour les élus du peuple de prêter serment, s’ils le veulent, devant Dieu. En 1993, ils étaient 17. Aux avant-dernières élections, en 2011, 382 le firent. Et cette année, 433 députés ont prêté serment devant Dieu. Cette jeunesse parlementaire, étoffée par les anti-système du regroupement autour du chanteur Kukiz, dont des membres du parti nationaliste Ruch Narodowy (Mouvement National), représente une nouvelle génération qui ne subit pas le traumatisme du communisme, qu’elle n’a pas connu, et qui comprend de mieux en mieux la main mise occidentale sur leur pays. Berlin, Bruxelles, Washington sont aujourd’hui les maîtres de Varsovie, et la Pologne, grand frère de l’Europe centrale, montre la voie : l’indépendance est non négociable et c’est le début de la fin pour les concessions.

C’était d’ailleurs le 11 novembre, la marche de l’indépendance, organisée par des jeunes patriotes, où 75.000 personnes se sont réunies cette année, et malgré la présence des hooligans de tout le pays, vieillards, poussettes et familles souriantes étaient légion. Difficile de voir le moindre agent de police ; et aucun débordement n’a été recensé. Le président Duda a soutenu ouvertement la tenue de cette marche patriotique, symboliquement renforcée par la présence de patriotes hongrois, suédois, flamands, tchèques, italiens, et français (Parti de la France, Renouveau Français et Front de Défense de la France). Voir une telle foule, hétéroclite, porter au vent cette nuée de drapeaux bicolores, réchauffe le corps et l’âme en ce glacial mois de novembre. La raison semble l’emporter massivement, soutenue par les tripes. Le cœur de la nouvelle Europe bat à Varsovie ce jour-là.

Suite aux attentats parisiens du 13 novembre, la Pologne du PiS a immédiatement rectifié le tir concernant les quotas de l’Union Européenne, votés par leurs prédécesseurs du PO libéral, qui, sûrs de leur défaite à venir, ont accepté un dernier oukaze merkelien, probablement dans l’espoir de sauver leur matricule et d’assurer la suite de leur carrière, avec la bienveillance de leurs maîtres occidentaux. Les manifestations contre l’invasion migratoire et l’implantation en Europe de l’Islam radical continuent à se multiplier en Pologne. Désormais, la Pologne n’acceptera plus de « migrants ». Et la Hongrie de suivre, le Fidesz et le Jobbik ne souhaitant pas du « cheval de Troie » qu’est l’invasion migratoire ; Orbán s’exprimant sans fard : « tous les terroristes sont des migrants ». Enfin, le V4 a envoyé une task force policière en Grèce, afin de sécuriser la frontière de l’Union Européenne, par eux-mêmes. Nul accord, commandement ou autorisation de Bruxelles ou de Berlin. Le groupe de Viségrád est devenu de facto une structure supranationale effective.

En parallèle, mi-novembre, les armées du V4 ont participé en Pologne à des exercices communs de commandement et de manœuvre, dans le but proclamé de disposer pour eux-mêmes d’une force armée conjointe capable de déploiement extérieur dès janvier 2016. En sus, la Hongrie a envoyé 50 agents spécialisés en Slovénie pour aider l’ancien pays yougoslave à sécuriser sa frontière avec la Croatie face au flux migratoire. Il faut dire que la Hongrie a prouvé l’efficacité de sa politique migratoire. C’est moins de 10 clandestins par jour qui pénètrent sur le sol magyar. Quelques discussions avec des parlementaires hongrois et polonais nous apprennent que la réorganisation du groupe du Viségrád, la mise en place de protocoles et la planification de projets avancent à une vitesse fulgurante et surprenante, même pour des défenseurs acharnés de la collaboration inter-nations en Europe centrale depuis de longues années, comme le député du Jobbik M. Gyöngyösi, qui observe de près ces évolutions. Les Tchèques qui avaient toujours été les moins enclins à faire vivre pendant 25 ans le V4 sont désormais très actifs et impliqués, par exemple.

Tournons-nous un peu du côté de la Moldavie, où la situation continue de se dégrader. Le gouverneur de Roumanie Iohannis, assermenté par Berlin, qui porte officiellement le titre de président de Roumanie, a insisté sur la suspension du prêt de 150 millions d’euros au gouvernement moldave tant que des réformes profondes n’auraient pas lieu. Le vice-président des libéraux démocrates de Moldavie, après la démission il y a peu de leur précédent gouvernement, prévoit une visite à Bruxelles pour rencontrer les membres du PPE (Parti Populaire Européen). On comprend mieux les connections de ce parti atlantiste et européiste. Il faut dire que la situation devient compliquée et inquiétante pour eux. La population sympathise de plus en plus avec la rhétorique anti-corruption des anti-libéraux, proches de la Russie. Le 15 novembre, un citoyen russe a par ailleurs été arrêté en Moldavie, soupçonné de participation à l’élaboration d’un parti séparatiste particulièrement actif dans les villes de Taraclia et Comrat, selon les autorités moldaves. Des activistes de l’organisation ukrainienne Assemblée Populaire de Bessarabie ont annoncé en octobre leur plan de former un État, « la République de Budjak », qui rassemblerait des territoires moldaves de la Gagaouzie autonome ainsi que des territoires ukrainiens, à la frontière avec la Roumanie, dans cette région entre la Mer Noire, le delta du Danube, le Prout et le Dniepr. Autre sujet, mais Moldavie toujours : deux individus moldaves sont passés illégalement en Roumanie sous le feu de la police. Il s’agissait de deux convertis à l’Islam, radicalisés en prison, et ils auraient selon les autorités le but d’aller en France.

Au Monténégro, les organisations civiles continuent de faire pression sur gouvernement et les institutions. La mobilisation ne faiblit pas, et torches à la main, des chaînes humaines en viennent à cerner certains bâtiments officiels, dont le siège de la présidence, le parlement et le siège du gouvernement. Les avis divergent sur ce qui s’y trame. D’aucuns disent que c’est un « Maïdan sauce russe », mais tous ne partagent pas cet avis. D’après Le journaliste serbe spécialisé en géopolitique, Z. Cvijanovic, la Russie n’a pas les capacités pour organiser et soutenir de telles opérations dans la durée. Ses capacités en soft power ne sont pas à la hauteur pour récupérer des mouvements de contestations populaires, contrairement aux États-Unis qui en sont des spécialistes. Selon l’expert, ce qui se passe au Monténégro est plutôt un coup atlantiste pour compenser l’échec du coup d’État en Macédoine. Bref, de nouvelles actions géopolitiques pour déstabiliser encore plus la Serbie, ou plutôt, la Russie, à travers l’affaiblissement de son partenaire historique serbe. Situation complexe, que nos visites récentes dans les Balkans n’ont pourvu en informations que pour mieux compliquer notre compréhension de la région et de ce qui s’y joue.

Pendant ce temps, en Allemagne, le gouvernement de Merkel fait volte face et a décidé de retourner les migrants vers le pays de l’UE où ils ont été enregistrés en premier. Une partie devrait même être renvoyés en Serbie. Tandis qu’Orbán, en Hongrie, qui a acquis une notoriété et une popularité importante en Europe, après s’être imposé comme chef de file des politiciens anti-immigration, appelle à la coopération avec le président russe Poutine contre le terrorisme, et afin de gagner plus d’indépendance par rapport à l’Allemagne. Sa collaboration avec les investisseurs chinois qui veulent un train rapide du Pyrée, qu’ils ont racheté il y a quelques années à Budapest en passant par Belgrade, laisse penser que la diplomatie de l’UE se désintègre de plus en plus. Pour le meilleur et pour le pire, chacun sera juge. Mais si l’on fait confiance au réveil de l’Europe centrale et dans la forte coopération volontaire, bien que sous une forme nouvelle et inédite, des pays du V4 – menacé d’être exclus de l’espace Schengen sous peu selon certains ; voir les déclarations récentes françaises ou hollandaises sur la question -, nous pouvons espérer qu’il y ait un plan rodé derrière ces paroles et ces actes, tous plus forts les uns que les autres dans cette région si vivace. Cette région d’Europe centrale et des Balkans qui, après avoir assisté dans l’effroi aux attaques du 13 novembre à Paris, ont immédiatement, d’une voix, réagi par la fermeté et le calme, à l’instar d’un Occident qui ressemble de plus en plus, vu de l’Est, à un palais à l’éclat terni et reposant sur des fondations plus que poreuses. Des voix encore peu écoutées ont déjà affirmé que le roi est nu : le modèle occidental n’en est plus un, l’Occident coule. Cela commence à être répété et entendu. Et ce n’est qu’une question de temps pour que tout le monde s’en aperçoive et qu’une autre Europe émerge, avec pour principe, l’Europe des Nations, par opposition à la déconstruction soutenue par le libéralisme atlantiste.

Rendez-vous à la prochaine chronique, et n’oubliez pas, le soleil se lève à l’Est !

Ferenc Almássy

Photo : DR
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