26/11/2015 – 07H30 Locarn (Breizh-info.com) – « Le nouveau défi armoricain », StatBreiz, est le nom d’un livre qui fera date en Bretagne. Co-écrit par par Claude Champaud (universitaire, ancien président du conseil régional) , Pierre-François Gouiffès (dirigeant d’entreprise, maître de conférences à Sciences Po dans le champ des politiques publiques) ; Yves Brun (expert-comptable) ; Jean-Pierre Coïc (avocat et chef d’entreprise) ; Jean Debois (avocat honoraire) ; Alain Glon et Guy Tartière (secteur coopératif et bancaire), l’ouvrage apporte de nombreuses analyses et propositions pour l’avenir de la Bretagne, au 21ème siècle.
Le titre du livre est une référence appuyée au « défi américain », de Servan-Schreiber, qui décrivait la nouvelle société américaine puis européenne à venir. Les auteurs sont tous inquiets de la crise qui frappe la Bretagne. Ils ont tous en tête également la révolution impulsée par le CELIB dans les années 60. « Rien n’est perdu à ce jour, mais tout est menacé pour demain ! » écrivent-ils.
Ces auteurs se sont réunis au sein de l’association StatBreiz, proches de l’Institut de Locarn et des décideurs économiques bretons, dont l’objectif est de favoriser le développement culturel, social et économique de la Bretagne historique.
Extrait du livre :
« Parmi les conséquences sociétales qui résultent de ce nouvel ordre géopolitique, il en est une que les Bretons doivent prendre plus particulièrement en compte. Contrairement à ce qui se passa lors de l’épopée Célibienne, la Bretagne ne peut plus compter sur l’État français pour assurer son avenir. Il est exsangue. Il risque de le demeurer durant les deux prochaines décennies qui seront celles où se jouera le sort des Bretons d’aujourd’hui et plus encore celui des Bretons à venir. La Bretagne doit et devra avant tout compter sur ses propres forces. Il lui faut donc, dès aujourd’hui, projeter et mettre en route un nouveau contrat sociétal régional. »
Claude Champaud et Pierre-François Gouiffès on répondu volontiers à nos questions.
Breizh-info.com : D’où est née l’initiative StatBreiz ? Et l’envie d’écrire le livre « le nouveau défi armoricain » ?
Né et d’échanges lors d’une réunion de REDEO, Le nouveau défi armoricain est le fruit improbable de la rencontre d’individus intéressés par l’évolution économique et sociétale de la Bretagne. Il ne s’agissait initialement que de vérifier une conviction partagée, à savoir que le comportement sociétal des Bretons conduisait naturellement et nécessairement à ce que les comptes publics soient équilibrés sur le territoire breton.
Face à l’ampleur du déficit constaté, cette hypothèse s’est avérée inexacte Toutefois, les travaux de Statbreiz ont rapidement débordé ce cadre de réflexion pour aboutir à une présentation beaucoup plus large de l’état de la société et de l’économie bretonnes et de proposer des axes de solution face à l’étiolement constaté de la vigueur économique régionale redécouverte, notamment par l’activisme célibien. Dès ce moment il a semblé particulièrement opportun de lancer une nouvelle étape de la régionalisation.
Breizh-info.com : Avant de parler du livre dans sa profondeur, pourriez vous nous dresser le bilan de l’action du CELIB et de ses conséquences pour la Bretagne et son économie ?
En 1950, alors que les Trente glorieuses allaient s’ouvrir à la France, un journaliste, Joseph Martray lançait un appel aux hommes politiques et aux leaders économiques et sociaux bretons. Il soulignait notamment que l’émigration massive des jeunes Bretons – et souvent les mieux formés – allait débiliter durablement la Bretagne au moment où la société française cessait d’être essentiellement agricole, artisanale et rurale. Ayant pu convaincre l’homme d’État Breton qu’était René Pleven, ancien compagnon du général De Gaulle, que la cause bretonne était à la mesure de son destin, ils fondèrent ensemble le Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (CELIB). Rassemblement de politiques, de responsables consulaires, de syndicalistes paysans et ouvriers, d’entrepreneurs et d’intellectuels, unis par une seule cause, celle de la Bretagne, mêlant gaullistes et centristes, socialistes et droites classiques, le CELIB agrégea les élites sociétales de Loire-Atlantique avec celles des départements de la « Bretagne administrative ».
On ne saurait faire ici un bilan, même succinct de l’œuvre du CELIB dont l’influence dura un quart de siècle. Toutefois, hormis le Plan routier breton, son fleuron arraché à l’Etat en 1968 à la faveur des événements, on citera : les grandes implantations industrielles comme Citroën à Rennes, l’électrification des voies ferrées Rennes-Brest et Rennes-Quimper, la brillante aventure technoscientifique dans le domaine des télécoms avec, notamment le pôle de Lannion et le site de Rennes-Beaulieu, la rénovation rurale, etc. etc.
Les résultats à long terme de l’action célibienne sont tout d’abord mesurables par l’inversion de son solde migratoire qui, après avoir cessé d’être négatif, est devenu positif même si l’on doit concéder que depuis plusieurs années cette situation est en grande partie causée par la venue de retraités alors que l’émigration de notre jeunesse a repris. Elle s’inscrit aussi par le développement inouï des zones économiques dues à «l’effet échangeurs » et par le maintien d’équilibres territoriaux qui ont disparus dans de nombreuses régions françaises. Plus encore que les actions directement pilotées par le CELIB, sa grandeur et ses conséquences durables se sont inscrites dans l’esprit célibien qui imprégna, jusqu’aux années 90, les comportements de nombreux élus et les leaders sociétaux dont notamment de nombreux « grands patrons » qui ont fait la Bretagne contemporaine en la réinstallant dans le peloton de tête des régions françaises.
Breizh-info.com : Avez-vous conscience, d’un certain sens, d’avoir rédigé là un manuel économique portant sur la possibilité de l’indépendance économique de la Bretagne au 21ème siècle ?
Le positionnement de Statbreiz et du nouveau défi armoricain est clairement régionaliste. Le « nouveau défi armoricain » fait effectivement le constat que sur le plan économique on ne peut plus attendre grand-chose de l’Etat sinon le fait qu’il augmente les libertés en desserrant le corset de contraintes de tous ordres qui enserre l’activité économique. Statbreiz fait le pari que les particularités sociétales des Bretons les laisseront plus aptes que d’autres à faire levier sur une autonomie nouvelle pour renforcer leur économie qui s’étiole mais dans le cadre d’un contrat économique et sociétal armoricain spécifique : en particulier il faut clairement redynamiser l’économie productive mais au service de tous les Armoricains et non d’une dérive financialiste qui est tout autant condamnée que l’étatisme dans le livre.
Breizh-info.com : La vision de la Bretagne libérée de ses énergies est toutefois exclusivement économique. N’est-ce pas cette fusion entre la défense d’un modèle économique autonome mais également un modèle sociétal et instutitionnel qui fait défaut en Bretagne ? Les acteurs économiques bretons ne se sont ils pas finalement enfermés dans le tout économique ?
Le premier chapitre du « Nouveau défi armoricain » présente le socle sociétal et identitaire de l’Armorique et ce n’est pas un hasard qu’il en est ainsi : une puissante interaction entre les valeurs sociétales et la vigueur de l’économie, comme on peut par exemple le constater sur le territoire voisin de la Vendée. On voir par ailleurs des particularités sociétales bretonnes à impact économique : le renouveau entrepreneurial des trente dernières années, le caractère plus limité que sur d’autres territoires du financialisme, avéré par l’importance du secteur bancaire mutualiste ou le fait que plusieurs grands groupes bretons ont choisi de ne pas rentrer en Bourse. Au final il est espéré que les valeurs sociétales armoricaines permettront de refuser l’étiolement en cours de la base économique et seront les vecteurs d’un sursaut et d’une revitalisation : c’est tout simplement ça le nouveau défi armoricain.
N’oublions jamais que tout Breton est un acteur économique. Pour tous ceux qui connaissent et fréquentent assidûment les décideurs économiques, l’idée selon laquelle ceux-ci seraient « enfermés dans le tout économique » est ignare au plan pratique et sur le plan global elle procède d’un fantasme idéologique. Que les chefs d’entreprises cherchent à faire perdurer leurs réussites entrepreneuriales est un but louable au plan de l’intérêt général. Quand certaines défaillent on ne leur en sait guère gré et c’est normal. L’histoire de la Bretagne et du peuple breton durant les deux siècles qui séparent le colbertisme du CELIB montre à suffisance que la ruine d’une économie est imparablement la source d’une misère collective sociale et culturelle.
Breizh-info.com : Dans les années 70-80, on a parlé de modèle agricole breton. Plusieurs décennies plus tard, la pollution des sols, la crise de l’agro-alimentaire et la mondialisation étant passée par là, est-ce toujours réellement un modèle ? L’agriculture intensive, l’élevage en batterie, et la surproduction, même normées, doivent ils rester la norme ? Ne doit on pas tendre vers un autre modèle, plus autosuffisant, plus protectionniste également, plus qualitatif ?
Les secteurs agricole et agroalimentaire constituent en Bretagne à ce jour la base de l’économie productive, avec une part dans la valeur ajoutée qui est tout simplement deux fois et demi plus grande qu’elle n’est dans l’économie française. Le développement de l’élevage, couplé à la PAC et à la transformation des habitudes alimentaires (augmentation de la consommation de viande) a contribué au renouveau économique armoricain alors qu’historiquement la Bretagne avait toujours été assez médiocre en matière agricole.
La crise actuelle indique que cela n’est plus vrai : le secteur est témoin de crises à répétition. Il subit, en l’absence de montée en gamme, un double impact défavorable : la compétitivité prix de nouveaux entrants (l’Allemagne qui utilise habilement les règles européennes relatives aux travailleurs détachés ou l’Espagne) et un durcissement relatif des normes imposées en France aux producteurs. Les conséquences ont été très défavorables mais Statbreiz considère qu’il ne faut absolument pas laisser tomber ce secteur très important tant pour l’économie (par quoi remplacer les emplois qu’il représente ?) que pour l’équilibre du territoire notamment en Centre Bretagne. Statbreiz considère qu’il doit être profondément renouvelé : impératif de la montée en gamme, optimisation de l’exploitation couplée à la mise en place d’outils de portage des investissements, génération de revenus annexes pour les éleveurs…
Puisque l’État et l’Europe se révèlent impuissants à aider l’agriculture bretonne à épouser le 21e siècle, que leurs interventions sont souvent plus nocives que stimulantes, seule une politique agricole régionale alliant prudence et hardiesse peut sauver nos exploitations agricoles et nos industries agro-alimentaires. Cela revient à dire que seule une expérimentation de plein exercice accordée à la Région Bretagne pourra sauver notre modèle armoricain et ses effets positifs sur l’aménagement de son territoire.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous le peu d’engouement pour le développement économique de la puissance maritime bretonne ? Demain, les ports de St-Nazaire et de Brest peuvent ils devenir des plaques tournantes incontournables du commerce en Europe ? Comment ?
La situation géographique de la péninsule armoricaine et sa configuration maritime postulaient pour la Bretagne un éminent destin océanique. Jusqu’au 17e siècle ce fut le cas. Ce destin sera brisé par la politique européenne des rois de France. Favorisés par les ducs de Bretagne qui en tiraient de gros revenus, les ports de haute pêche et de commerce bretons furent asphyxiés par le développement des ports de guerre (Brest) et d’expéditions coloniales (Lorient). Leur montée en puissance attirait toutes sortes de marines ennemies pour lesquelles toute proie française était bonne à prendre. En outre et surtout, leur développement absorba les ressources humaines de la marine et les activités des chantiers navals qui avaient fait la richesse de la Bretagne tout entière. Ce comportement perdura au fil des différents régimes politiques que connu la France des 17e au 20e siècle. Deux seuls ports comptent aux yeux du pouvoir parisien. Marseille tourné vers l’Afrique du nord et l’ensemble Le Havre-Rouen qui sont en fait les ports de Paris…
Sur ce plan bien que réelles et sérieuses toutes les tentatives du CELIB ont échoué sauf celle de Roscoff et de la BAI initiative privée de… paysans léonards. Sauvé par la Région, présidée par Marcellin, grâce à la société d’économie mixte SABEMEN, entreprise qui a perduré malgré tous les pronostics calamiteux et quelques coups fourrés de responsables nationaux de la marine marchande. Quelle solution ? Bonne question à laquelle il est difficile de répondre dès lors qu’on a visité Anvers ou Rotterdam. Malgré sa bonne configuration marine, Brest parait illusoire tant parce qu’il est difficile de faire cohabiter une méga zone portuaire et la base des sous-marins nucléaire et surtout peut-être du fait de la distance et des lacunes des dessertes terrestres continentales. Nantes/Saint-Nazaire ne présentent aucun de ces inconvénients sauf que contrairement aux grands ports maritimes précités cet ensemble ne se situe pas dans l’estuaire d’un fleuve navigable au-delà de quelques dizaines de kilomètres. Et puis enfin, quid des écologistes gardiens du temple des zones humides de la Basse Loire ?
Breizh-info.com : Qu’est-ce que serait un libéralisme breton, comme vous semblez l’entendre dans votre livre ?
Le livre s’oppose fondamentalement à la suppression totale de toute règle et de tout contrôle régalien dans le champ économique et à la domination de l’actionnaire sur toutes les autres parties de l’entreprise, une configuration que Statbreiz considère comme une perversion financialiste du libéralisme et une déviance fondamentale du concept de liberté.
Si libéralisme breton il y a, son approche par Statbreiz consiste en la promotion des entrepreneurs et de l’économie productive, mais ceci dans le cadre d’une conception stakeholderiste de l’entreprise, en d’autres termes une vision de l’entreprise porté par la RSE – responsabilité sociétale de l’entreprise – selon laquelle l’entreprise doit respecter l’ensemble des parties prenantes, clients et fournisseurs, salariés et société civile.
Le « nouveau défi armoricain » appelle ainsi de ses vœux « une économie productive de richesses partagées ».
Breizh-info.com : Aujourd’hui, le principal problème de la Bretagne n’est-il pas finalement le système étatique français ? Que faire ?
Il est clair qu’il y a une différence très importante entre l’époque célibienne et la période contemporaine. Aux temps du CELIB, l’État a pu contribuer au redressement breton par sa conduite générale des affaires et l’affirmation politique de l’impératif d’aménagement du territoire dont la Bretagne a su profiter. Rien de tel actuellement : l’Etat est exsangue financièrement, a les plus grandes difficultés à remplir ses missions fondamentales en matière régalienne – notamment la sécurité – et d’intégration, n’existe pour partie que par une production globalement hors de contrôle de normes juridiques innombrables et changeantes. D’où la proposition de Statbreiz visant à régler « à l’armoricaine en Armorique » certaines grandes questions de politiques publiques – l’éducation ou l’énergie par exemple – pour maîtriser les coûts publics et préserver le bonheur ajouté en Bretagne.
Il est clair pour les auteurs du Nouveau Défi Armoricain que la clef du destin de la Bretagne de ce siècle réside dans la mise en œuvre d’une expérimentation régionale de plein exercice comportant responsabilité financières et fiscales et pouvoir normatif encadré mais réel. Le tout avec consolidation en toute hypothèse des expériences réussies.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Pour commander le livre, envoyez un message à l’Institut de Locarn.
Photo : DR
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2 réponses à “StatBreiz. « Le nouveau défi armoricain, une économie productive de richesses partagées ». [interview]”
S’engager via un livre, c’est sympa si la démarche est sincère
mais peser plus concrètement dans la campagne des régionales serait nettement plus efficace, surtout lorsque les co-auteurs ont déjà une certaine influence dans les sphères politiques et économiques bretonnes …
Ce serait d’autant plus efficace que les diverses listes font actuellement une campagne entre molle et désespérante !
L’équipe de Locarn sort du bois.