24/09/2015 – 10H00 Paris (Breizh-info.com) – Laurent Ruquier avait invité à son émission du 19 septembre le philosophe Michel Onfray, qui fait les unes des magazines depuis quelques semaines du fait de ses prises de positions très critiques à l’égard d’une gauche en dérive libérale, de plus en plus rapide, depuis 1983. Le point de vue de Michel Onfray n’est pas celui d’un homme en train de devenir un homme de droite : les partis de droite sont, pour l’essentiel, tout aussi libéraux que ceux de gauche, ce qui légitime le fait que l’on puisse refuser ces étiquettes. C’est celui d’un homme qui croit toujours à la possibilité de la renaissance d’une gauche réellement socialiste. Cette polémique, après d’autres, met en évidence la tyrannie exercée par la secte médiatique aux abois (elle se rend évidemment bien compte du fait que les Français sont de plus en plus sourds à ses incantations et à ses mots d’ordre et que les digues sont en train de rompre de tous les côtés) qui utilise les pires des procédés pour discréditer ses contradicteurs.
Yann Moix, un écrivain à la langue de bois bien arrimée, a accusé Onfray de populisme en dénonçant son utilisation jugée trop fréquente du mot ‘’peuple’’. Moix a essayé laborieusement de montrer que le mot ‘’peuple’’ ne renvoie à aucune réalité et qu’en fait ‘’le peuple est introuvable’’ ! Cette idée, fréquente dans le discours de la gauche intellectuelle depuis quelques années, répond à l’utilisation massive du mot ‘’peuple’’ par les ‘’populistes’’ ; en niant l’existence du peuple, les tenants de la pensée unique espèrent, semble-t-il, couper l’herbe sous le pied de ces ‘’populistes’’ stupides qui agitent un mot vide de toute signification, selon eux. L’intelligentsia qui a perdu le contact avec les classes dominées et qui les méprise, essaie depuis des années de nier l’existence même du peuple. (Elle s’appuie pour cela sur l’ambiguïté du mot ‘’peuple’’, qui sert à désigner à la fois la population d’un État dans sa globalité, le peuple au sens d’ethnie ou de nation et les classes populaires, c’est-à-dire le peuple au sens socio-économique). Les populistes opposent fréquemment le peuple aux élites, ce que leur reprochent les membres de l’intelligentsia qui rétorquent qu’il n’est pas possible d’établir une limite claire entre ces deux parties de la population, ce qui n’est pas faux. De plus, l’opposition entre élites et peuple n’est pas très pertinente dans la mesure où certaines personnes pouvant être considérées comme appartenant à une élite sont détentrices d’un pouvoir réel tandis que d’autres ne le sont pas. Ce n’est donc pas en ces termes qu’il convient de formuler la très réelle ligne de clivage qui traverse toutes les sociétés.
Michel Onfray a répondu sans attendre à l’attaque de Moix en donnant une définition d’une très grande clarté dont le romancier bobo n’a pas perçu immédiatement la pertinence. Cette définition très concise est celle que donnait Machiavel du ‘’popolo minuto’’, le ‘’petit’’ peuple dominé par le ‘’popolo grasso’’ (le peuple gras, les ‘’gros’’ du langage populaire). Michel Onfray a repris très exactement cette définition en affirmant l’existence d’une domination politique, économique et culturelle exercée par les dominants (c’est-à-dire ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir économique, politique ou culturel) sur le ‘’petit’’ peuple dominé. Le peuple est donc constitué, selon Onfray, par l’ensemble des citoyens qui ne sont pas dans une position de domination comme celle qu’occupent les journalistes, les hommes politiques ou les détenteurs du capital, sur ceux qui ne le sont pas. Onfray a expliqué que les gens qui constituaient le tribunal oligarchique réuni ce soir là pour le juger étaient détenteurs d’un pouvoir de domination tandis que lui ne l’était pas et que, tandis que lui faisait partie du peuple, eux appartenaient au groupe des dominants. La mâchoire pendante de la haineuse Léa Salamé en disait long sur la puissance de l’argument. Onfray a visé juste et a réduit à néant l’argument principal utilisé par l’oligarchie contre les ‘’populistes’’.
Machiavel, père du républicanisme moderne, considérait la domination du ‘’popolo grasso’’ comme insupportable et il pensait que les républicanistes ne pouvaient que soutenir la lutte éternelle (lutte éternelle parce que la volonté de domination d’une minorité est, selon le Florentin, éternelle, ce sur quoi Marx s’est fait beaucoup d’illusions) des ‘’petits’’ contre les ‘’gros’’. Il avait étudié l’histoire de la République romaine et il en avait conclu que le tribunat de la plèbe (créé en 494 avant J.C. à l’issue d’un conflit entre la plèbe et le Sénat) était la plus importante des institutions romaines (une institution dont nous aimerions avoir l’équivalent) et que, d’une façon générale, le conflit entre dominés et dominants était la source de la création des meilleures institutions. L’oligarchie libérale actuelle et ses valets essaient de nous faire croire qu’il n’y a ni peuple ni oligarchie (ou plus exactement ni dominés, ni dominants) et qu’il n’y a que des individus ayant tous les mêmes chances et les mêmes pouvoirs (au moins dans les prétendues démocraties libérales). Foutaise ! Le peuple des ‘’petits’’ existe bel et bien (il est très majoritaire) et il est soumis à une triple domination, politique, culturelle et économique qui est à juste titre dénoncée, plus ou moins adroitement il est vrai, par les ‘’populistes’’ lesquels se sont emparés du rôle vacant de défenseur des dominés, celui des tribuns de la plèbe. Pierre-André Taguieff a écrit récemment que les mouvements populistes apparaissent et se développent quand les attentes du peuple ne sont plus relayées par les partis politiques en place. Nous y sommes !
Pour couper court à toute accusation de marxisme, il faut préciser que l’analyse machiavélienne ne préfigure en rien celle de Marx concernant la lutte des classes dont il pensait qu’elle aboutirait à la création d’une société sans classes et sans Etat. Le Florentin était un réaliste et la lutte entre dominants et dominés n’avait pas, à son avis, d’autre but que de rétablir un équilibre au sein de la société en réduisant les dominations ; comme nous l’avons dit, cette lutte est sans fin et ne débouchera jamais, selon lui, sur une société parfaite, idéale et exempte de toute forme de pouvoir. Machiavel, comme tous les républicanistes, et à la différence de Marx et des libéraux, pensait que l’État était le seul garant possible des libertés acquises par les citoyens. Le rôle de l’État est aujourd’hui dévoyé parce que l’oligarchie en a fait un de ses principaux moyens de domination. La restauration du rôle de l’État comme garant des libertés est un objectif essentiel des républicanistes dignes de ce nom.
B. Guillard
Photo de Michel Onfray : Frémeaux & Associés, Commons Wikimedia, licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported
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3 réponses à “On a retrouvé le peuple !”
Une caricature de Michel Onfray : http://www.caricature.fr/wp-content/uploads/2015/08/onfray-sebrieu.jpg
[…] ni le rictus fatal de Yann Moix, ou la mâchoire pendante de Léa Salamé, comme dit B. Guillard dans un éditorial bien senti. Il avait celle de Pinochet, leur grand-papa à […]
[…] ni le rictus fatal de Yann Moix, ou la mâchoire pendante de Léa Salamé, comme dit B. Guillard dans un éditorial bien senti. Il avait celle de Pinochet, leur grand-papa à […]