30/09/2015 – 07H00 France (Breizh-info.com) – Nous avons chroniqué dimanche dernier le film Patries, film coup de poing dont la sortie est prévue pour le mois d’octobre dans les rares salles françaises qui ont pour le moment accepté de le diffuser. Sa réalisatrice, Cheyenne-Marie Carron, a bien voulu répondre à nos questions.
Breizh-info.com : Tout d’abord, qu’est ce qui amène à se lancer dans le cinéma ? Avec le recul de votre petite dizaine de films, est-ce que vous le referiez aujourd’hui ?
Cheyenne Carron : J’ai découvert le cinéma à 16 ans. La DDASS m’avait mis dans un foyer, puis un studio. je n’allais jamais en cours, mais je louais 5 à 6 VHS par jour. A ma majorité la DDASS m’a dit que je devais entrer dans la « vie active » et me choisir un métier. Ma seule passion était le cinéma.
Et bien sûr que je le referai !
Breizh-info.com : Vous sortez au mois d’Octobre le film « Patries » qui traite du racisme anti-blanc mais aussi de la remigration souhaitée par une partie de la jeunesse africaine en France. Qu’est ce qui vous a amené à traiter un sujet particulièrement tabou ?
Cheyenne Carron : Aucun film ne parle du racisme dont souffre parfois les jeunes Blancs, en banlieue. Alors j’ai eu envie de corriger ça. Puis, au cours de mon écriture, j’ai essayé de creuser, et de comprendre ce qui pouvait pousser un jeune issu de l’immigration à rejeter celui qui l’a « accueilli », et il me semblait juste que la cause en soit un mal être lié au déracinement, et donc à un trouble identitaire.
Pour moi, le premier sujet ne va pas sans l’autre.
Breizh-info.com : A ce jour, le film n’est pas annoncé en salle pour des questions d’autorisation. Pouvez-vous nous expliquer les problèmes que vous rencontrez ? Est-ce une punition par rapport à l’Apôtre, votre film précédent, qui là encore abordait un thème politiquement incorrect, celui de la conversion de l’islam au catholicisme ?
Cheyenne Carron : D’abord, il faut qu’on cesse de me dire que j’aborde des sujets politiquement « incorrects », car à la vérité, je n’aborde que des sujets de mon temps. Un cinéaste doit s’emparer des sujets de son époque, sinon à quoi sert-il ? Effectivement, pour le moment je n’ai qu’une seule salle de cinéma, le Balzac près des champs Élysées. Mais on pourra trouver mon film en DVD à la Fnac, sur Amazon, etc… dès le 21 octobre.
Toutes les autres salles de cinéma que j’ai contactées m’ont refusé le film, et toutes ces mêmes salles me recontacteront si la « critique » est bonne.. c’est ainsi.
Breizh-info.com : Vous avez réalisé ce film en auto-production. Concrètement, combien cela vous a coûté ? Quel temps cela vous a pris ? Comment met on en scène un tel film, comment paie-t-on les acteurs sans publicité , etc ?
Cheyenne Carron : J’ai fait ce film avec moins de 70 000 euros. Personne n’a été payé. Ni moi, ni les acteurs, ni les techniciens. L’argent a servi à payer le matériel caméra, lumière, machinerie, louer les décors, payer la bouffe, les défraiements, les disques durs, la salle de montage, etc… pour fédérer une équipe d’une cinquantaine de personnes, sans fric, il faut que le sujet traité plaise, et que le réalisateur sache où il va. Les gens m’ont suivie ! Ça prouve que dans le cinéma, il reste encore des puristes.
j’ai mis deux ans, entre l’écriture et la réalisation.
Breizh-info.com : Si je vous dis que votre film m’a fait penser à un mélange entre l’anti « la Haine » et un clip du groupe « justice », que me répondez-vous ?
Cheyenne Carron : Je connais le premier, mais pas le second.. Dans Patries, j’ai fait un clin d’œil à La haine, avec l’affiche « le monde est à vous / le monde est à vendre ». Les gens qui connaissent bien le film, s’en rendront compte. La haine décrivait magnifiquement une époque, mais c’était il y a 20 ans… Le monde a changé.
Breizh-info.com : Votre film, qui contient finalement peu de violences physiques , est par contre terriblement violent psychologiquement. Le choix du noir et blanc est-il fait justement pour en rajouter à cette violence psychologique ?
Cheyenne Carron : Non, le noir et blanc, c’est c… à dire, mais lorsqu’il y a peu de moyens pour louer de beaux décors, si vous basculez tout en noir et blanc, même le pire papier peint, devient esthétiquement intéressant.
Breizh-info.com : Ce film montre notamment le décalage entre les générations, avec cette génération de parents blancs élevés à la SOS Racisme et au « vivre ensemble » qui ne comprennent plus leurs enfants devenus des agneaux dans la jungle urbaine, tout comme cette génération d’Africains qui veut s’intégrer tandis que leurs enfants ne rêvent que de retour au pays, faute d’avoir trouver leur place ici.
Cette réalité est-elle majoritaire en France selon vous ? Y a-t-il vraiment beaucoup d’Africains désireux de repartir , et beaucoup de Blancs désormais étrangers dans leurs propres quartiers ?
Cheyenne Carron : Je ne sais pas si c’est la majorité des jeunes… Pour ma part, il me semble que lorsqu’on n’aime pas le pays où on vit, il est difficile de bien le servir, en étant un citoyen exemplaire.
Dans Patries, j’ai voulu montrer deux héros ; le petit Blanc, qui par la force impose un certain respect, et le Noir qui décide d’aller servir la patrie de son cœur, c’est à dire le Cameroun.
Les deux sont des parcours magnifiques qui nécessite du courage.
Breizh-info.com : Ce film dénonce également une forme de cohabitation raciale impossible. Ainsi, si les Noirs de nationalité diverses s’entendent, le Blanc est moqué puis rejeté pour ses origines ethniques, son seul moyen d’être accepté étant de montrer qu’il n’a pas peur d’eux y compris physiquement. Vous ne croyez donc pas au vivre-ensemble et à la réconciliation possible ?
Cheyenne Carron : Ma meilleure amie est Gabonaise, mes parents sont français de souche, mon petit frère adoré a été adopté du Guatemala, mes géniteurs étaient Kabyles, et l’homme que j’aime est de nationalité allemande !
Et pourtant, j’aime passionnément la France, et je veux la servir du mieux que je le pourrais.. Cet exemple est pour vous montrer que l’harmonie des origines diverses peut vraiment fonctionner !
Mais parfois cette harmonie ne fonctionne pas, alors pour ces jeunes qui ne se sentent pas heureux d’être en France, ou plutôt qui se sentent mal et souffrent d’avoir quitté leur pays, il faut se pencher sur ce problème, et les aider avec intelligence, et bienveillance à un retour dans le pays de leur cœur.
Il vaut mieux qu’ils soient des bâtisseurs là-bas que des destructeurs ici.
Breizh-info.com : Les deux mères ont un rôle fondamental dans le film, ainsi que dans l’éducation de leurs deux enfants. Avez-vous voulu faire aussi un film sur l’absence des pères et sur l’émergence d’une société finalement assez femelle tout en étant tribale ?
Cheyenne Carron : « Une société assez femelle », c’est assez joli comme expression.. pour être honnête, je n’avais pas pensé à ça. C’est vrai que dans un cas, le père est aveugle, donc un peu diminué, et dans l’autre cas, il est mort.
C’est vrai aussi que les mères de PATRIES font preuve d’un grand courage.
Dans notre société, les mères jouent un rôle fondamental pour l’éducation des fils. Aussi, bon nombre de mes comédiens issus de l’immigration africaine, m’ont parlé de leurs mères, qui tenaient la place du père et de la mère en même temps, car souvent les pères étaient absents.
J’ai reçu des témoignage magnifiques et bouleversants de ces fils qui me parlaient avec amour et respect de leurs mères. Seulement voilà, la mère ne remplacera jamais réellement le père, et vice versa.
Breizh-info.com : Avez vous d’autres projets en prévision. Comment allez vous diffuser votre film ? Que peuvent faire vos fans pour vous aider à en faire la promotion ?
Cheyenne Carron : Si Patries plait aux spectateurs, alors qu’ils en parlent autour d’eux, le bouche à oreille est la meilleure chose qui soit. Et si le film se vend bien en DVD, alors ça me permettra de financer le prochain, et de faire une fois de plus un joli pied de nez au système.
Crédit photo : DR
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