Conversions catholiques : le retour du religieux ou la peur du vide ?

Le Figaro publiait récemment une tribune de Jean-Pierre Denis, ancien directeur de l’hebdomadaire La Vie, consacrée à la spectaculaire augmentation des baptêmes d’adultes célébrés durant la nuit de Pâques. Plus de 10 000 catéchumènes, chiffre jamais atteint dans l’histoire contemporaine de l’Église de France, ont reçu le baptême dans le mystère pascal. Phénomène marginal ? Tendance passagère ? L’auteur y voit, au contraire, une véritable effervescence spirituelle, un frémissement inattendu de l’âme française.

Denis, en plume agile, n’hésite pas à parler d’une « transfusion sanguine » pour le corps anémié de l’Église, et décrit ces conversions comme le surgissement d’un « catholicisme contre-culturel », renouant, dit-il, avec les ressorts de la transformation sociale, comme aux plus belles heures de mai 68. Un catholicisme minoritaire mais tonique, enraciné dans la liberté personnelle, et libéré, selon lui, des pesanteurs identitaires. On voit là poindre une sorte d’enthousiasme à contre-temps, où le renouveau serait d’autant plus authentique qu’il naît sans fanfare ni tambour, sans mot d’ordre ni mot d’Église.

Mais à force de vouloir neutraliser toute coloration politique, l’auteur en vient à gommer un pan essentiel du paysage. Car si l’Église attire à nouveau des jeunes, si des adolescents franchissent les portes des catéchuménats, ce n’est pas seulement par attrait pour le sacré, les rites ou les chants grégoriens. C’est aussi, et peut-être d’abord, par réflexe identitaire. Une inquiétude sourde travaille les consciences, celle de voir leur pays changer d’âme. Et dans cette angoisse, l’islam joue le rôle du miroir inquiétant.

Jean-Pierre Denis évoque bien l’islam, mais sur un mode quasi psychanalytique : il le décrit comme un « aiguillon revitalisant », dont le prosélytisme conquérant réveillerait les consciences assoupies. « Un nouveau catholique sur dix vient d’une famille musulmane », écrit-il. Il reconnaît l’effet mimétique de la pratique islamique sur les jeunes Français : ramadan d’un côté, carême de l’autre. Mais ce qu’il omet d’analyser, c’est la peur qui sous-tend ce mimétisme. Ce n’est pas l’exemple de l’islam qui attire, mais sa pression, sa visibilité, son avance. Ce n’est pas un islam de vitrail, mais un islam de trottoir, qui interroge et inquiète. Devant ce rouleau identitaire, certains jeunes, notamment dans les milieux populaires, redécouvrent le catholicisme non comme une spiritualité douce, mais comme un socle, un abri, une appartenance.

L’auteur passe également sous silence la responsabilité d’une certaine élite catholique dans l’effondrement initial. La revueLa Vie, dont il fut longtemps le capitaine, fit partie de ces officines de l’enfouissement, qui prônaient un christianisme dilué, sécularisé, accommodé aux humeurs du siècle. Le catholicisme qu’il célèbre aujourd’hui – fervent, exigeant, enraciné – est précisément celui qu’on brocardait hier sous les ors de l’institution. Ce catholicisme-là, que l’on voit renaître dans les sanctuaires bondés, les veillées de prière et les pèlerinages à pied, est largement porté par les mouvances dites « traditionnelles » ou « identitaires », que la hiérarchie continue de regarder avec méfiance, voire hostilité.

La récente interdiction faite aux pèlerins de Chartres de célébrer la messe à la cathédrale est un symptôme cruel de cette fracture. Une jeunesse nombreuse, priante, paisible, et joyeuse, se voit refusée l’accueil liturgique en sa propre maison. Quelle parabole plus éloquente du divorce entre une hiérarchie vieillissante et des fidèles en plein essor ? Jean-Pierre Denis semble ignorer que ce sont précisément ces expressions traditionnelles, avec leur goût pour le silence, l’encens, la beauté liturgique, qui séduisent aujourd’hui les âmes en quête d’absolu.

Quant à minimiser la part identitaire du phénomène, c’est méconnaître l’époque. Bien sûr, nul ne se convertit uniquement par peur. Il faut un appel, un frémissement de l’âme. Mais dans une société où l’on vous somme chaque jour de déconstruire ce que vous êtes, se tourner vers le catholicisme, c’est aussi reconquérir un sol, une mémoire, une lignée. Dire « Je crois » aujourd’hui, c’est moins épouser une doctrine que choisir une appartenance, une forme de vie, une manière d’être au monde. C’est refuser l’indistinction, le zapping existentiel, et revendiquer une verticalité dans un monde liquide.

La religion n’est plus une affaire de transmission silencieuse. Elle revient par effraction, par désir et par crainte mêlés, dans une société en perte de repères. Les baptêmes d’adultes en sont les indices visibles. Et si les évêques veulent comprendre ce qui les motive, ils feraient bien de descendre dans la rue, de marcher à Chartres ou de s’asseoir au fond d’un catéchuménat. Ils y verraient que ce christianisme naissant n’est ni tiède ni tiédasson. Il n’attend pas des synthèses pastorales, mais des gestes forts. Il réclame du pain, non des miettes.

Jean-Pierre Denis a raison d’annoncer le retour du religieux. Mais il oublie que ce retour, souvent, se fait en rupture. Non contre le monde, mais contre son vide. Non contre les autres, mais pour ne pas disparaître. Voilà le catholicisme nouveau : pas seulement une foi retrouvée, mais une forme de survie.

Balbino Katz

Crédit photo : DR
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Une réponse à “Conversions catholiques : le retour du religieux ou la peur du vide ?”

  1. Isabelle TOULGOAT dit :

    Une analyse très juste comme tout ce que vous écrivez depuis que je vous suis sur telegram. Bravo à vous journalistes de breizh info. A galon.

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