Dans le Limbourg néerlandais, on ne pédale pas pour gagner du temps, mais pour le suspendre. Entre les verres d’Amstel et les vertiges du Cauberg, Mattias Skjelmose a tranché ce dimanche le fil d’une Amstel Gold Race cousue à la main par les dieux du cyclisme, filant vers sa gloire comme on file au comptoir après la messe dominicale.
Mais commençons par le commencement. Quelques jours plus tôt, sur les pentes veloutées de la Flèche Brabançonne, Remco Evenepoel, tout juste de retour d’un hiver de douleurs et de silence, avait lancé son manifeste cycliste. Une victoire au panache, trempée dans les larmes d’une rééducation sans gloire, où chaque coup de pédale était un coup porté à la fatalité.
L’Amstel, ou la bière des braves
Dimanche, la fête a changé de ton, mais non de solfège. L’Amstel Gold Race, c’est ce genre de classique qui, à force de virages, finit par vous faire tourner la tête avant même la ligne d’arrivée. On y parle plus de montées que de montagnes, plus de rythme que de violence. Mais ce dimanche-là, sur les terres brassées du cyclisme, le duel annoncé Pogacar-Evenepoel s’est mué en un trialogue inattendu avec le jeune Skjelmose, poète danois du muscle discret.
Julian Alaphilippe, un instant ressuscité dans les lacets du Gulperberg, fut le premier à allumer la mèche. Mais le Tricolore, tel un feu follet dans un soir humide, s’éteignit aussi vite qu’il s’était embrasé. Tadej Pogacar, fidèle à lui-même, lança l’aventure solitaire à 40 bornes du but, comme on pose un pion sur un échiquier sans se soucier des règles. Mais à force de jouer les Houdini des pelotons, même le Slovène finit par manquer d’oxygène dans la boîte à malices.
Et c’est là que la course s’écrivit en trio : Pogacar, Evenepoel et Skjelmose, ce dernier avançant tel un étudiant assis entre deux génies en duel, carnet de notes en main. La photo finish départagea les trois corps noués par l’effort. Le Danois leva les bras, les deux autres baissèrent les yeux. À 24 ans, Skjelmose venait d’inscrire son nom dans la grande fable des classiques ardennaises.
Des larmes à la lumière : Evenepoel renaît à la Brabançonne
Mais comment ne pas revenir sur la résurrection d’Evenepoel, trois jours plus tôt ? Ce garçon est fait du même alliage que les anciens champions : celui qui tremble mais jamais ne rompt. À Overijse, il avait remis son dossard après 136 jours d’absence, comme un soldat qui, ayant enterré ses doutes, revient sur le front avec un sourire aux lèvres.
Dans un sprint où Van Aert, pourtant taillé pour l’envol, restait cloué à la piste comme un avion sans piste, le Belge de la Soudal-Quick Step signait un retour digne d’un roman de cape et de braquets. Entre deux monts et quelques mots, le cyclisme redevenait une affaire d’honneur, de vengeance douce et de jambes bien faites.
On quitte l’Amstel comme on quitte une auberge au petit matin : éreinté, mais repu. Skjelmose, Evenepoel, Pogacar… les noms claquent comme des vers de Verlaine sur les pavés. Mais le temps presse : la Flèche Wallonne se profile déjà, et dans l’ombre du Mur de Huy, les ambitions s’aiguisent comme des lames.
Remco a soif. Pogacar a faim. Et Skjelmose ? Il a goûté.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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