Notre-Dame-de-Lorette : quand le silence des morts accuse la folie des vivants [Reportage]

Au sommet d’une colline balayée par les vents du Nord, surplombant les plaines d’Artois, un silence pesant plane. Ici, à Notre-Dame-de-Lorette, ce ne sont pas les discours des chefs de guerre qu’on entend, mais l’écho sourd des vies brisées. Le plus grand cimetière militaire de France, devenu en 2023 patrimoine mondial de l’UNESCO, nous rappelle une vérité brutale : des générations entières de jeunes hommes ont été envoyées à l’abattoir. Et pour quoi ?

Une colline sanctuaire aux morts d’un carnage industriel

Ils sont plus de 42 000 à reposer ici. Des jeunes Français, mais aussi des soldats venus des quatre coins de l’Europe. Morts lors des batailles d’Artois, entre 1914 et 1915, à quelques mètres près pour un piton calcaire de 165 mètres d’altitude. Une colline qui, du haut de sa modestie géographique, fut l’un des points les plus disputés du front occidental. Une colline désormais sacrée, à défaut d’avoir été victorieuse.

Entre octobre 1914 et octobre 1915, plus de 188 000 hommes sont tombés dans cette guerre de positions, dont 100 000 Français. Leur sang a coulé pour un ordre venu d’en haut, pour des familles de dirigeants consanguins, pour des financiers avides de faire de l’argent, pour des généraux aveuglés par l’honneur national, pour des états-majors incapables de sortir d’une guerre pensée avec les concepts du XIXe siècle, alors que l’on mourait sous les mitrailleuses et les obus du XXe.

Morts pour la France ? Non. Morts pour rien

En contemplant les milliers de croix blanches, les huit ossuaires et les noms gravés à jamais sur l’Anneau de la Mémoire qui comprennent des nationalités du monde entier, comment ne pas être frappé par l’absurdité de ces morts ? Ils ne sont pas « morts pour la France », ni « pour la République », ni même « pour la liberté ». Ils ne sont pas non plus « morts pour l’Allemagne » ou « Pour l’Angleterre ». Car vingt ans plus tard, le monde sombrait à nouveau dans un conflit encore plus meurtrier, preuve irréfutable que leurs sacrifices n’avaient rien réglé. À l’heure où certains en Europe veulent ranimer le feu du militarisme, évoquent l’enrôlement, les emprunts de guerre, l’armement massif et les alliances belliqueuses… il est impératif de venir ici, à Lorette, et de se taire. Et de songer à ce que peuvent faire les dirigeants de nombreux pays lorsque la folie de la guerre s’empare d’eux.

Car sur cette colline, la vérité jaillit des tombes : la guerre n’est pas un jeu géopolitique, ni un tableau Excel de dépenses militaires. C’est un gouffre, un cri, une clameur de douleur qu’aucun discours ne pourra jamais apaiser.

Un lieu de recueillement, mais aussi de résistance à la folie des temps présents

La tour lanterne de Notre-Dame-de-Lorette, visible à des dizaines de kilomètres à la ronde, n’éclaire pas seulement les morts. Elle éclaire les vivants qui veulent encore voir. Elle éclaire la mémoire de ceux qui refusent de sombrer dans l’oubli organisé, dans le roman national lisse et sans aspérités.

À quelques mètres de là, l’Anneau de la Mémoire, inauguré en 2014, liste les noms de 600 000 soldats morts en Artois et en Flandres. Français, Allemands, Anglais, Belges… tous confondus, sans distinction de drapeau. Le geste n’est pas anodin : il rappelle que la Première Guerre mondiale fut un suicide collectif européen. Un effondrement civilisationnel maquillé en épopée.

À une époque où les va-t-en-guerre récidivent, où l’on évoque sans frémir l’envoi de troupes en Ukraine, le réarmement massif de l’Union européenne, les milliards d’euros d’emprunts pour l’effort de défense, Notre-Dame-de-Lorette sonne comme un avertissement. La voix des morts y est muette, mais leur message est limpide : ceux qui ont provoqué leur chute sont les mêmes que ceux qui aujourd’hui, au nom de valeurs creuses et d’ennemis désignés, se tiennent prêts à remettre la machine en marche.

La guerre n’est pas un destin. Elle est une décision. Et il appartient aux peuples, aux citoyens, aux pères de famille, aux mères, aux anciens, de rappeler que le prix de la guerre se paie toujours en sang jeune, jamais en ambitions politiques.

Notre-Dame-de-Lorette, 2 Place de Notre Dame de Lorette, 62153 Ablain-Saint-Nazaire. Entrée libre. Musée vivant 14-18 à visiter absolument (voir ci-dessous)

À voir : la basilique, la tour lanterne, l’Anneau de la Mémoire, les tranchées reconstituées

Ablain-Saint-Nazaire. Le musée vivant 14-18 : une immersion poignante dans l’enfer des tranchées

À deux pas de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette, le Musée Vivant 14-18 d’Ablain-Saint-Nazaire incarne une mémoire qui ne se contente pas de commémorer : elle parle, elle vibre, elle touche au cœur. Porté par la passion d’un homme, ce lieu unique raconte la Grande Guerre comme on la vivait, comme on l’endurait.

C’est l’histoire d’un petit garçon de six ans, un jour de fouille hasardeuse, qui tombe sur une baïonnette rouillée dans un jardin. Ce n’est pas un jeu, c’est une révélation. Pour Monsieur Bardiaux, cette découverte est le point de départ d’un engagement de toute une vie : faire vivre la mémoire des Poilus, ces anonymes de la boue et du feu, que l’Histoire a souvent enfermés dans des dates sans visages.

Le grand-père de Monsieur Bardiaux fut soldat. De leurs échanges est née une fascination, puis une vocation : reconstituer, rassembler, raconter. Pendant des années, il parcourt les fermes, interroge les anciens, déterre le passé avec patience. Ce qui n’était qu’une collection privée devient aujourd’hui un véritable centre d’interprétation historique, adossé aux hauteurs sacrées de Notre-Dame-de-Lorette, sur le théâtre même de l’une des batailles les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale.

Le Musée Vivant 14-18, ce n’est pas un musée poussiéreux où l’on regarde des objets derrière une vitre. Ici, on entend les bombardementson sent la terre retournée des tranchéeson marche dans les pas des soldats, à travers des scènes reconstituées d’un réalisme troublant. Casques cabossés, canons, mitrailleuses, barbelés, abris souterrains… tout y est, à échelle humaine, pour ressentir l’angoisse, la fatigue, mais aussi le courage de ces hommes embarqués dans une guerre qu’ils n’avaient pas choisie.

La collection est soutenue par plus de 400 vues stéréoscopiques, ces images d’époque en relief qui plongent littéralement le visiteur dans le quotidien du front. Ce sens du détail et de la fidélité a même conduit Albert Dupontel à solliciter le musée pour les décors de son film Au revoir là-haut.

Le musée ne s’adresse pas qu’aux passionnés ou aux historiens. Il est parfaitement adapté aux familles et aux enfants, soucieux de transmettre une mémoire trop souvent désincarnée dans les manuels scolaires. Il rappelle, dans une époque troublée où la rhétorique martiale revient sur toutes les lèvres, que la guerre n’est jamais abstraite, qu’elle a des visages, des odeurs, des cris, et qu’elle commence toujours par l’oubli des précédentes.

À l’heure où certains appellent à « l’effort de guerre » ou évoquent avec légèreté l’envoi de troupes et les tambours du conflit, ce musée rappelle avec pudeur et vérité ce que fut la guerre de 14-18 : une boucherie méthodique, industrielle, impitoyable.

Le Musée Vivant 14-18 est ouvert tous les jours de 9h à 19h.

  • Entrée musée : 5 € (adulte), 3 € (enfant)
  • Visite du champ de bataille : 1 € par personne
  • Accès au diorama 1914-1918 : 0,40 € par visionneuse

📍 Adresse : Colline Notre-Dame-de-Lorette, 62153 Ablain-Saint-Nazaire
📞 Téléphone : 03 21 45 15 80

Crédit photo : Breizh-info.com (TDR)
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6 réponses à “Notre-Dame-de-Lorette : quand le silence des morts accuse la folie des vivants [Reportage]”

  1. pepers dit :

    Quand jugera-t- les généraux qui ont envoyé à la mort des millions de jeunes! Nivelle, le Chemin des dames… Aujourd’hui si tu veux la paix prépare la guerre. Il n’y a pas d’alternative face aux dirigeants des empires qui ne pensent l’avenir qu’en termes de puissance et de domination.

  2. yeti59 dit :

    Au Puy du Fou il y a également une reconstitution d’une tranchée de la première guerre.

  3. Éric Gautier dit :

    En 1914 on a stoppé une invasion armée. Mon grand-père avait devancé l’appel à 18 ans après avoir eu 3 frères aînés tués au combat. Relisez les lettres des poilus, le poème de Jean-Perre Calloch  » Je suis le grand veilleur debout sur la tranchée…). Nos aînés défendaient leur patrie. Rien à voir avec nos va-t-en-guerre qui voudraient interdire une paix en Ukraine.

  4. Aristote dit :

    C’est toujours avec le cœur brisé que l’on visite les champs de bataille et les ossuaires,que l’on s’incline devant chaque monument aux morts.Pourquoi ces massacres,ces veuves inconsolées ?Honte à tous ceux qui ont instillé ce poison belliqueux.Politiciens « patrouillottes »,marchands d’armes à l’abri de leurs coffres,généraux insouciants du »sang impur qui abreuve leur gloriole.Seul,ou presque,Pétain a sauvé l’honneur.On lui a fait payer cher.Tout cela n’a servi à rien.
    Pauvre France,pauvre Europe à jamais mutilées

  5. nicole dit :

    A Lorette, il y a 4 soldats inconnus : Première guerre mondiale, Deuxième guerre mondiale, Guerre d’Algérie, Guerre d’Indochine.
    Et une « garde d’honneur » en permanence sur les lieux.

  6. Soazig dit :

    Je me joins à l’excellent commentaire d’Aristote et comme je suis vieille, me reviennent les paroles du Christ dans les béatitudes : bienheureux les artisans de paix….puisse Trump réussir dans son entreprise de paix, finalement, si difficile à obtenir….

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