Paris-Roubaix 2025. Des pavés pour les dieux, des doutes pour les hommes [Reportage]

Roubaix, avril. Ce n’est plus vraiment un mois, c’est un état d’esprit. Un effondrement de l’asphalte sous les crampons, une fièvre humide sur les plaines du Nord, une procession de géants à bicyclette lancée à tombeau ouvert vers ce qu’on appelle encore, par pudeur ou par foi, l’Enfer. Celui des pavés. Celui des hommes. Celui, désormais, aussi, des femmes, la Trouée d’Aremnberg et une centaine de kilomètres en moins.

Car ce week-end, il y a eu deux Paris-Roubaix. L’un, celui des dames, a vu triompher Pauline Ferrand-Prévot, en cavalière seule, surgie de la terre battue comme une Amazone de Champagne, les yeux cernés par la boue et la fièvre. Et puis celui des hommes, au rythme d’un duel de titans entre Mathieu van der Poel, qui empile les pavés comme d’autres les pierres tombales, et Tadej Pogacar, l’enfant-sorcier, le mutant venu des Alpes juliennes, et qui même dans l’Enfer n’a pas peur des flammes.

Mais voilà : cette année, quelque chose clochait. Roubaix est allé trop vite. Trop fort. Trop propre. Trop lisse dans sa brutalité. Même les pavés semblaient avoir été passés au Kärcher, et les forçats, devenus funambules, flottaient au-dessus du chaos sans jamais vraiment le subir.

Le triomphe de Van der Poel, le tombeau de la dramaturgie

Mathieu van der Poel est un champion hors norme, mais un champion sans résistance ne fait pas une légende. Lorsqu’il s’est envolé, après une chute malheureuse de Pogacar dans le secteur entre Pont-Thibaut et Ennevelin, on savait déjà. Il n’y aurait pas de remontée héroïque, pas de retournement, pas même un peu de peur. Le Néerlandais allait avaler les derniers kilomètres comme un TGV lancé sans contrôle.

Le Paris-Roubaix 2025 est un exploit sportif. Mais c’est un roman dont on a lu la fin trop tôt.

Derrière, Gannat ne parvenait à rien depuis le début de course, Philipsen craquait, Pedersen crevait, Van Aert sombrait dans une neutralité tactique presque esthétique. Pogacar, lui, digne dans sa défaite, entrait dans l’histoire pour avoir ramené le maillot jaune sur le podium de Roubaix — comme Merckx en 1975. Les autres, tous les autres eux, ramassaient les miettes (ou plutôt la poussière, loin derrière) Mais cela ne faisait pas un feu d’artifice. Cela faisait un historique, un fait, une ligne dans un palmarès. Pas une page froissée de sueur et de folie, comme Roubaix sait en écrire.

Les femmes, elles, ont tout renversé

C’est pourtant une Française, vingt-sept ans après Guesdon, qui a sauvé la flamme. Dans un Nord balayé par les grains, Pauline Ferrand-Prévot, dite «PFP» par les intimes, a livré une de ces chevauchées qui dépassent l’athlétisme pour rejoindre l’épopée. Une chute, un retour, une attaque, une solitude. Et puis la Danoise Norsgaard mangée toute crue dans Camphin-en-Pévèle. Enfin, la délivrance dans le vélodrome, sous les hourras d’un public qui n’y croyait plus.

« C’était ma première fois, ce sera peut-être la dernière », disait-elle après coup. C’est souvent le cas des grandes histoires d’amour. Mais celle-ci aura laissé un pavé à la maison — aux côtés de celui de son compagnon Dylan van Baarle. Deux trophées, deux générations, et un foyer qui a des allures de musée du cyclisme.

Le peuple du bord de route y croit encore

Ah, les Flamands en caravane, posant leur chaise pliante entre deux fossés comme d’autres dressent un autel. Ils sont arrivés avec leurs bières, leurs drapeaux, leurs tentes, leur musique, leurs enfants et leurs chiens. Ils savent encore lire une course. Ils savent reconnaître un champion, une trahison, un combat. Ils n’ont pas été dupes, mais ils ont applaudi. Et c’est sans doute le plus bouleversant.

Car le peloton sent le laboratoire. Il y a trop de mutants, trop de puissances inconnues, trop de visages sans âge. Même Philippe Gilbert, le dernier des classiques-men romantiques, ne pourrait pas dire mieux : Avec son temps de 2019; il aurait terminé hors délai cette année. À force d’aller vite, les coureurs ne donnent plus le temps au spectateur d’espérer, ni à la course de mûrir.

Roubaix, c’est une vendange, pas un shot d’adrénaline. Mais en 2025, on nous a servi la cuvée à la va vite, bouchon sauté, sans carafe. Et cela rend ivre sans ivresse.

Et maintenant ?

Le public veut encore croire. Il en a besoin. Dans ce monde déboussolé, il lui faut des mythes, des rites, du courage tangible et du souffle. Paris-Roubaix, malgré tout, reste cela. Un rite païen entre poussière et pavés. Une liturgie profane où les saints sont à pédales et les miracles faits de crevaisons.

Mais que ceux qui nous racontent des histoires ou qui inventent des belles séries Netflix comme jadis, on s’enthousiasmait sur les Superstars du Catch, fassent attention : le peuple pardonne à ceux qui tombent, pas à ceux qui trichent. Il acclame encore Van der Poel, Pogacar, Ferrand-Prévot. Mais il a de la mémoire. Et dans ses yeux, brillent encore les reflets d’US Postal, de Puerto, et de tant d’autres promesses éventrées.

Roubaix s’est peut-être ennobli cette année. Il a perdu un peu de sa crasse, de ses échappés inutiles mais magnifiques, de son chaos magnifique. Mais il reste, comme toujours, le miroir déformant de notre époque : plus rapide, plus forte, plus lisse, plus suspecte aussi.

Et pourtant, chaque printemps, on y retourne. Comme les pèlerins de Chartres. Pour s’y salir, pour y croire, et pour vibrer. Tant que les pavés tiendront, la foi roulera encore.

YV

Crédit photo : breizh-info.com (DR)

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2 réponses à “Paris-Roubaix 2025. Des pavés pour les dieux, des doutes pour les hommes [Reportage]”

  1. Brounahans l'Alsaco dit :

    Que l’on se dope n’est pas le, problème du chaland assis au bord des pavés, lui il veut qu’il y ait su spectacle quel que soit le prix payé par l’athlète et le devenir sanitaire de celui-ci il s’en tape plus encore que le nombre de cannettes qu’il ingurgite dans l’attente ! L’ironie d’ l’histoire c’est que la plupart de ceux qui suent par le sport des autres, sont tout aussi dopés ! Par les médicaments qu’avale le citoyen de base pour se maintenir dans une espèce de santé parallèle qui est à la vraie santé ce qu’est un vélo haut-de gamme d’une trottinette ! Le peuple pardonne même à ceux qui trichent car il triche lui-même !

  2. Ronan dit :

    Demat, faire du vélo est enthousiasmant, libre et cordial sans être dopé, je vous l’assure et je salue tous ceux que je croise car nous avons du courage d’affronter toutes ces difficultés : Paris Roubaix sans les pavés mais côtes à 10 pour cent , pluies vent de face, véhicules qui nous rasent… et en plus on peut aller où on veut mais attention de respecter le code de la route. Pour la détente, une chanson bien à propos «  A bicyclette » d’Yves Montand. Salud

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