L’on eût pu croire, par le passé, que les accords passés entre les nations en mal de devises et les institutions financières internationales étaient tout droit sortis d’un manuel de rigueur technocratique, destiné à contenter le statisticien plus que le citoyen. Mais c’est dans une tout autre veine que se déploie aujourd’hui le pacte conclu entre le gouvernement argentin de Javier Milei et le Fonds monétaire international. Loin d’un simple aide-mémoire pour comptables internationaux, ces dix engagements ont valeur de programme, voire de dogme. Ils fixent, non sans une certaine solennité, les jalons d’un projet de refonte intégrale de l’économie argentine dans l’esprit d’un capitalisme sans fards ni faux-semblants. En voici, fidèlement rapportés, les grandes lignes.
Au premier rang trône une réforme fiscale d’envergure, véritable réforme agraire du code des impôts. Il ne s’agit plus de tondre les classes productives, mais d’épurer l’enchevêtrement de taxes et prélèvements qui, depuis des décennies, corsètent l’activité et découragent l’initiative. Le programme prévoit l’élimination des « impôts distorsifs » — expression pudique pour désigner cette mosaïque de contributions absurdes nées du génie fiscaliste de la bureaucratie péroniste. Il faudra aussi revisiter le monotributo, ce régime hybride à mi-chemin de l’informel, et remettre à plat les rapports fiscaux entre l’État fédéral et les provinces, dont certaines vivent encore comme des fiefs féodaux.
Dans la foulée, vient la réforme du droit du travail, ardemment souhaitée par le gouvernement, timidement attendue par le FMI. Ici, on ne parle pas de sabrer dans les protections, mais d’introduire une souplesse bienveillante, permettant aux employeurs comme aux employés de se délester des carcans anciens. Finis, peut-être, les interminables procès prud’homaux ; place à une relation contractuelle assumée et équilibrée, telle qu’en rêvait Le Play.
Le système des retraites, quant à lui, n’échappera pas à la refonte. Prévue pour 2026, la réforme entend mettre un terme à la fragmentation actuelle du régime et rétablir un rapport raisonnable entre cotisations et prestations. La logique actuarielle y retrouvera ses droits, au détriment, sans doute, de certaines niches acquises à la faveur d’arrangements sectoriels. À rebours des pensions octroyées par compassion ou clientélisme, la nouvelle architecture se voudra soutenable, universelle, méritocratique.
Vient ensuite la question délicate des subventions énergétiques. Finie la segmentation fondée sur le revenu des ménages : le nouveau régime se concentrera exclusivement sur les plus démunis. Cette réforme, dont la mise en œuvre sera progressive, vise à supprimer les distorsions du marché tout en préservant l’équité sociale. Elle suppose aussi une libéralisation partielle du secteur électrique, où l’État, jusqu’ici, agissait en acheteur unique. Une page se tourne, celle de l’État planificateur, pour revenir à l’idée, plus classique, d’un État arbitre.
En matière de protection sociale, l’État ne se retire pas, il se recompose. La création d’un système unifié d’indicateurs sociaux (SIS) vise à rationaliser la dépense, non à l’abolir. Il ne s’agira plus de distribuer à l’aveugle, mais de cibler précisément, d’agir chirurgicalement. De 2025 à 2030, la dépense sociale se maintiendra autour de 3,2 % du PIB, preuve que rigueur ne rime pas avec cruauté.
Le cœur symbolique du programme réside toutefois dans la fin du cepo cambiario, ce carcan monétaire qui interdisait aux Argentins d’accéder librement aux devises. Ce n’était pas tant une mesure économique qu’un stigmate de défiance généralisée. Le président Milei l’a fait tomber comme on brise des chaînes. À partir de maintenant, les Argentins pourront acheter des dollars comme les Hauts-Bretons achètent des galettes au beurre : librement, légalement, et sans suspicion d’évasion.
L’accumulation des réserves constitue le socle monétaire de cette stratégie. Le plan prévoit d’atteindre, en 2029, un niveau de réserves nettes supérieur à 19 milliards de dollars — un renversement total, quand on sait que ces réserves étaient encore négatives en 2024. Ce trésor de guerre assurera la stabilité du peso, renforcera la crédibilité extérieure et préparera le terrain à un éventuel adossement à une monnaie plus solide.
Le chapitre des privatisations, longtemps tabou, retrouve ses lettres de noblesse. Une feuille de route détaillée est attendue avant novembre. Certaines entreprises publiques seront vendues, d’autres transformées, mais toutes feront l’objet d’un examen rigoureux de leur efficacité et de leur gouvernance. Cammesa, l’ogre étatique du marché de l’électricité, pourrait perdre son monopole d’achat. L’ère du tout-État touche à sa fin.
Dans un registre plus institutionnel, le gouvernement a également promis de moderniser la loi d’éthique publique, en sommeil depuis 1999. Il s’agit de restaurer la confiance dans la chose publique, d’encadrer les conflits d’intérêts, de renforcer la probité administrative. Ce chantier, bien que moins médiatique, est indispensable au bon usage des réformes économiques.
Enfin, ce décathlon de réformes n’aurait pas été possible sans l’accord scellé avec le FMI, lequel apporte à l’Argentine quelque 32 milliards de dollars, répartis entre le Fonds, la Banque mondiale, la BID et des prêts bilatéraux. Cette manne constitue une assurance contre les tempêtes à venir. Elle confère au gouvernement une assise qui dépasse la simple survie et permet d’envisager, peut-être, une reconstruction.
Ainsi se dessine le nouveau visage de l’Argentine : un pays en transition, qui renonce à ses chimères étatistes pour embrasser les rigueurs et les promesses de l’économie de marché. On peut contester les méthodes, s’inquiéter des douleurs de l’ajustement, mais force est de reconnaître une chose : pour la première fois depuis longtemps, le cap est clair, les moyens sont définis, et la parole est tenue. Ce n’est déjà pas si mal, en ces temps de bavardages et de renoncements.
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