L’usage du français dans les archives médiévales de Bretagne : un basculement linguistique révélateur

L’histoire linguistique de la Bretagne est un fascinant témoin des évolutions culturelles et politiques de cette région singulière. Dans une étude, l’historien Michael Jones analyse l’usage du français dans les archives médiévales bretonnes et met en lumière le passage progressif du breton et du latin vers le français comme langue administrative et documentaire. Cette transition ne fut ni instantanée ni homogène, mais elle marque une étape décisive dans l’intégration progressive de la Bretagne dans l’ensemble français.

Trois langues en concurrence

Durant le Moyen Âge, trois langues cohabitent en Bretagne : le latin, le breton et le français. Le latin domine dans les actes ecclésiastiques et administratifs jusqu’au XIIe siècle. Le breton, parlé principalement en Basse-Bretagne (ou Bretagne bretonnante), s’impose dans les communications courantes mais peine à trouver une place dans l’écrit officiel. Enfin, le français, d’abord limité aux élites et aux échanges avec le royaume de France, commence progressivement à s’imposer, notamment dans les documents juridiques et administratifs.

Selon Jones, la pénétration du français en Bretagne médiévale suit une dynamique géographique et sociale : elle débute dans les zones orientales (Haute-Bretagne) et au sein de la noblesse avant de s’étendre à l’administration ducale et aux villes. Cette évolution reflète non seulement une influence croissante du royaume de France mais aussi la nécessité pour les ducs et les élites locales de s’inscrire dans un cadre juridique et institutionnel plus large.

Le recul du breton : une lente marginalisation

L’une des grandes contributions de cette étude est de démontrer que le recul du breton comme langue écrite a commencé bien avant la politique d’assimilation linguistique forcée menée par l’État français aux XVIIIe et XIXe siècles. Dès la fin du Moyen Âge, les documents officiels en breton sont pratiquement inexistants. Le français s’impose progressivement dans les actes notariés, les transactions commerciales et les décisions de justice, rendant marginal l’usage du breton dans l’écrit.

Toutefois, ce processus ne s’est pas déroulé de manière uniforme. Certaines zones, notamment la Cornouaille, Léon et le Trégor, résistent plus longtemps à la francisation. En revanche, les villes et les grands centres administratifs adoptent rapidement le français, notamment sous l’influence des élites marchandes et ecclésiastiques.

Le rôle décisif des ducs de Bretagne

Les ducs de Bretagne ont joué un rôle central dans la diffusion du français. Dès le XIIIe siècle, plusieurs actes ducaux sont rédigés en français. Jean Ier de Bretagne (1237-1286) est l’un des premiers souverains bretons à l’utiliser de manière systématique. Au XIVe siècle, sous Jean III et Jean IV, le français devient la langue majoritaire des documents administratifs du duché.

Ce choix linguistique n’est pas anodin. Il reflète une volonté politique d’uniformisation et de centralisation du pouvoir ducal. Le français permet aux ducs de Bretagne de renforcer leur autorité et d’assurer une communication efficace avec leurs alliés et vassaux. De plus, la proximité croissante avec le royaume de France accentue cette tendance.

L’impact sur la société bretonne

L’adoption du français comme langue administrative a des conséquences profondes sur la société bretonne. Les élites nobiliaires et urbaines adoptent le français, tandis que les classes populaires continuent de parler majoritairement le breton en Basse-Bretagne. Cette fracture linguistique contribue à une stratification sociale où la maîtrise du français devient un marqueur de prestige et de pouvoir.

En parallèle, le latin recule également dans les actes courants, bien qu’il conserve un rôle essentiel dans les documents ecclésiastiques et universitaires. Cette transition du latin au français est similaire à ce qui s’est produit dans d’autres régions du royaume de France.

L’étude de Michael Jones rappelle que les enjeux linguistiques ont toujours été au cœur des tensions politiques et culturelles en Bretagne. La question de la langue est un sujet qui résonne encore aujourd’hui, alors que le breton lutte pour sa survie face à une domination écrasante du français. Les débats sur l’enseignement immersif en breton ou sur la reconnaissance officielle de la langue rappellent que cette bataille linguistique, amorcée dès le Moyen Âge, est toujours d’actualité.

Ainsi, l’évolution de l’usage du français dans les archives médiévales bretonnes ne se limite pas à un simple changement de langue. Elle reflète une transformation profonde du pouvoir, de l’identité et des rapports entre la Bretagne et la France, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

4 réponses à “L’usage du français dans les archives médiévales de Bretagne : un basculement linguistique révélateur”

  1. gérard fresser dit :

    Pourquoi n’avoir rien dit sur l’ordonnance de François 1Er ?
    Dans une volonté de justice, Guillaume Poyet (1473-1548), angevin, chancelier de France de 1538 à 1542 et grand instigateur de l’Ordonnance 188 de Villers-Cotterêts en 192 articles, aussi connue comme l’ordonnance Guillemine ou Guilelmine, en référence à son mentor (avant qu’il ne soit embastillé pour malversation dans des intrigues de cour) proposa son texte à François 1er qui le signa le 25 août 1539 à Villers Cotterêts. Son titre exact « Ordonnan du Roy sur le fait de justice, police, finances et Etat Civil» avec ses articles 110 et 111 concernant l’usage de la langue française et « pas autrement », (langue un temps appelée Guillemine) enregistrée au Parlement de Paris le 6 septembre 1539 que les textes officiels qui, jusqu’alors rédigés en latin, langue que plus personne ne comprenait, le seraient dorénavant en « langage commun ». Et le langage choisi pour être la langue française fut le patois de l’île de France, la « langue du roi » et des gens cultivés en Ile de France, le francien ou français de Paris. Vous imaginez les conséquences si le Roi, qui était Saintongeais puisque né à Cognac, avait choisi le patois saintongeais comme langue « officielle » ?
    Un langage commun
    François, par La grâce de dieu, Roy de France : « Nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes les autres procédures que ce soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, ou que ce soit dans les registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et dans tous les actes de justice qui en dépendent, soient prononcés publics et notifiés aux parties en langue maternelle francoise et pas autrement ! »
    L’écho fut considérable pour ce monument du droit français encore actif! Au vieux droit coutumier, succède la modernité des écritures publiques. En s’attaquant au latin (langue de l’Eglise), le roi réduisait le pouvoir de l’Église catholique et s’alliait ainsi les protestants qui rejetaient massivement le latin et encourageaient plutôt l’usage des parlers locaux, un savant calcul politique.

  2. LysHermine dit :

    Si vous mentionnez Villers-Cotterêts, reprenez le texte original. Celui-ci ne parle pas de langage commun mais « langage maternel francoys et non aultrement ». Or dans son contexte historique, le français n’est parlé qu’en île-de-France et alentours. Ainsi, l’ordonnance s’entend en tant que langue maternelle de France : le gascon, le breton, le provençal, l’occitan…

    D’ailleurs, ce édit ne concerne que les actes de justice notariés et n’a jamais eu vocation a forcer le français dans l’ensemble du Royaume.

  3. Travis dit :

    L’arrivée imminente de l’arabe va envoyer tout ça aux oubliettes

  4. Raymond Neveu dit :

    Du passé faisons table rase il ne restera que le Coran, l’obscurantisme existait depuis toujours eh bien ce sera la Règle sous peine de Charia…qui s’imposera dans un pays de Veaux biberonné aux droits, aux allocs, à la fainéantise…mais le trafic de drogues diverses trouvera une fin car les têtes seront tranchées.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Sociétal

Délinquance en Bretagne. Retour sur les chiffres de l’année 2024 par département – La Loire-Atlantique département le plus dangereux ?

Découvrir l'article

Politique, Tribune libre

PNBgate : quand le Mouvement Breton se roule dans le ridicule [L’Agora]

Découvrir l'article

LANNION, LORIENT, ST-MALO

Narcotrafic en Bretagne : De Morlaix à Saint-Malo en passant par Lorient ou Lannion…l’immigration et les consommateurs en cause ?

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine, Politique

La revue War Raok fête ses 25 années de combat pour la Bretagne  !

Découvrir l'article

Politique

La démocratie de proximité. Le journal « L’Avenir de la Bretagne » est de retour dans un nouveau format

Découvrir l'article

Tourisme

Surtourisme : Barcelone et Venise régulent leur fréquentation touristique, un exemple à suivre en Bretagne ?

Découvrir l'article

Environnement

Éoliennes offshore en Bretagne : des risques pour la sécurité nationale et la viabilité financière en question ?

Découvrir l'article

Culture & Patrimoine, Patrimoine

Ar milinoù / Les moulins en Bretagne 🌾 – 13 munud e Breizh

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine, MORLAIX, Patrimoine

Conférences sur la littérature et l’histoire bretonne à Morlaix les 28-29 mars : un programme riche et varié

Découvrir l'article

A La Une, Politique

Hervé Archier, porte-parole du PNB : « Tout ce qui contribue à rendre la Bretagne aux Bretons est patriotique » [Interview]

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky