Alors que les rapports de force internationaux connaissent un basculement sans précédent, Breizh-info.com s’est entretenu avec Alain de Benoist pour décrypter les mutations en cours. Le philosophe et penseur de la Nouvelle Droite revient sur les récents événements qui ébranlent l’ordre mondial : le tournant stratégique amorcé par Donald Trump, la rupture entre Washington et Bruxelles, le désengagement américain en Ukraine et la montée en puissance des pôles de civilisation opposés à l’Occident.
Dans cet entretien, Alain de Benoist analyse l’effondrement progressif du « monde d’hier » et les conséquences d’un réalignement géopolitique qui met l’Europe face à ses contradictions. Il évoque également l’impasse idéologique des élites européennes, engluées dans des combats moraux alors que le reste du monde privilégie la puissance et le pragmatisme. Face à un Emmanuel Macron fébrile, plaidant pour un réarmement européen qu’il n’a pas su anticiper, Alain de Benoist dresse un constat lucide sur la dépendance stratégique de l’UE et sur l’incapacité des dirigeants européens à comprendre la logique de puissance qui guide désormais les relations internationales.
De l’influence grandissante de figures comme J.D. Vance aux États-Unis à la guerre économique et politique menée par Trump, en passant par le rôle de la Russie et de la Chine dans ce nouveau jeu mondial, Alain de Benoist pose un regard acéré sur l’accélération de l’histoire et ses implications pour les nations européennes. Une analyse percutante à découvrir sans détour.
Breizh-info.com : Comment interprétez-vous l’évolution des relations internationales après les récentes déclarations de Trump et de Vance sur l’Ukraine et leurs implications pour les relations entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
Alain de Benoist : Je n’ai connu dans ma vie qu’un seul grand événement historique : la chute du Mur de Berlin et l’implosion du système soviétique. Je pense assister maintenant à un deuxième. Les « observateurs », comme d’habitude, ne l’ont pas venu venir. L’histoire s’accélère brusquement. C’est au point que l’actualité quotidienne prend des allures de dystopie.
L’élection de Trump avait déjà représenté une rupture historique majeure. La reprise, le 12 février, des contacts entre la Maison-Blanche et le Kremlin en a constitué une autre. Deux jours plus tard, à Munich, le vice-président J.D. Vance déclarait une véritable guerre idéologique à une Europe submergée par l’immigration et en proie à l’amnésie collective, dont il n’a pas dissimulé qu’elle constitue à ses yeux un contre-modèle de décadence et de suicide civilisationnel. Il y a eu ensuite l’annonce que l’Ukraine ne rentrera jamais dans l’OTAN, et qu’elle ne retrouvera pas les territoires qu’elle a perdus dans le Donbass ou en Crimée. Le 3 mars, Donald Trump décidait l’arrêt de toute aide à l’Ukraine. Finalement, c’est à la désagrégation de l’Alliance atlantique que nous assistons en direct. Oui, même si l’on manque encore de recul, c’est un moment historique.
Breizh-info.com : Que nous dit l’hallucinante altercation du 28 février dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky ?
Alain de Benoist : S’en tenir aux éclats de voix, c’est comme s’en tenir à regarder le doigt qui vous montre la Lune. Ce qui compte, c’est ce qui s’est dit. Face à un Zelensky proclamant son refus d’arrêter une guerre qu’il ne peut pas gagner, et réclamant des « garanties de sécurité » que les Américains ne sont pas disposés à lui accorder, Trump lui a rappelé qu’il n’est pas en position de dicter ses conditions car il n’a aucune carte ou atout de négociation à faire valoir. Il lui a dit aussi que s’il n’acceptait pas ce qu’on lui propose, il sera obligé de signer un accord encore plus défavorable à son pays, sinon d’aller vers une capitulation totale.
Notons d’abord qu’il n’y a rien d’anormal à ce que le sort de l’Ukraine soit réglé entre la Russie et les Etats-Unis, puisque la Russie et l’OTAN étaient les vrais belligérants. La guerre en Ukraine a été, dès le départ, une guerre par procuration. On comprend du même coup que ce n’est pas seulement l’Ukraine qui a perdu. Emmanuel Todd l’avait très justement annoncé : « Le job de Trump va être de gérer la défaite américaine face aux Russes ». C’est en effet de cela qu’il s’agit. Ce qui amène à regarder d’un autre œil cette horrible guerre fratricide qui dure maintenant depuis trois ans. Une guerre que je trouve personnellement insupportable parce que j’ai des amis ukrainiens et des amis russes, et que je n’éprouve que de la tristesse à les voir se massacrer mutuellement.
Tous les experts sérieux savent que la cause première de la guerre a été la volonté des Américains d’installer des troupes de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Poutine a réagi comme le ferait n’importe quel président américain qui se verrait menacé de voir des fusées russes déployées à sa frontière avec le Mexique ou le Canada. La guerre a donc commencé bien avant 2022. Et elle aurait pu être évitée. On aurait parfaitement pu, par exemple, régler les problèmes intérieurs de l’Ukraine en y installant un système fédéral dans lequel sa partie russophone aurait joui d’une certaine autonomie. Mais c’est l’inverse qui s’est passé. Montesquieu distinguait ceux qui débutent la guerre et ceux qui la rendent inévitable. Ce ne sont pas forcément les mêmes. François Fillon déclarait récemment : « J’ai toujours dit que cette guerre aurait pu être évitée si les dirigeants occidentaux avaient cherché à en comprendre les causes plutôt que de se draper dans le camp du bien ». Traduisons : s’ils avaient analysé la situation en termes politiques, pas en termes de morale.
Rien en effet n’obligeait les Européens à soutenir un camp, que ce soit celui de l’Ukraine ou celui de la Russie, ni à réagir tous de la même façon (en tant qu’« Occident collectif »). La moindre des choses aurait été qu’ils déterminent leur position en fonction de leurs intérêts. Pour des raisons purement idéologiques, ils ont préféré voir dans ce conflit une « guerre juste » où l’ennemi doit être criminalisé et tenu pour un coupable. En prenant position d’entrée de jeu, ils se sont mis en position de ne plus pouvoir proposer leur médiation, renonçant du même coup à se poser en « puissance d’équilibre ».
Trump est un grand réaliste. Après trois années durant lesquelles on a annoncé toutes les semaines, sur les plateaux de télévision, que la Russie allait s’effondrer, il constate que l’Ukraine a perdu cette guerre, en dépit du matériel militaire et des centaines de milliards qu’elle a reçus, et que les Européens n’ont jamais été capables, durant ces mêmes trois années, de fixer un but à la guerre. Or, la guerre n’est jamais qu’un moyen au service d’un but. Clausewitz : « Le dessein politique est le but, la guerre le moyen ; un moyen sans but ne se conçoit pas ». Les Européens ne savent même plus ce qu’est une guerre, à savoir un acte de violence dont le but est une paix. Dans cette affaire, ils n’ont jamais eu aucun but politique, diplomatique ou stratégique, préférant pousser Zelensky à se précipiter dans le piège qu’il s’était lui-même tendu.
Contrairement à ce qui se dit ici ou là, Trump n’est pas un isolationniste, pas plus qu’il n’est un « défenseur de la paix ». Comme nombre de ses prédécesseurs, il pense au contraire que la défense des intérêts américains exige un interventionnisme constant. La grande différence est qu’il ne masque pas cet interventionnisme derrière de sublimes idéaux tels que la défense de la démocratie libérale et de l’Etat de droit, (« democracy and freedom »), et qu’au lieu de se lancer dans des aventures guerrières, il veut privilégier le commerce. C’est un va-t-en guerre, mais un va-t-en guerre commercial. Voyez la façon dont il parle du Groënland, du Canada ou du canal de Panama, en adoptant de façon martiale une posture impérialiste fondée sur le vieux mythe américain de la « frontière ». Pour lui, tout est transaction, tout peut être acheté ou vendu, tout se négocie, tout repose sur les démonstrations de force commerciale, sans états d’âme. Il sait très bien que le « doux commerce » n’exclut ni les agressions, ni les chantages, ni les conquêtes. Son « pacifisme » est de même nature : il repose sur le simple constat que la guerre militaire coûte beaucoup plus qu’elle ne rapporte, et que les Etats-Unis sont mieux placés pour gagner les guerres commerciales que pour l’emporter sur le champ de bataille. Pour servir ses intérêts de puissance, il entend s’abriter derrière le chantage aux tarifs douaniers, tout en prônant la dérégulation et le libre-échange quand cela l’arrange.
Breizh-info.com : A en croire les médias, Trump parle désormais de la même voix que Vladimir Poutine. On parle d’un nouveau condominium américano-russe, voire d’une triple alliance Washington-Moscou-Pékin. Cela vous paraît-il vraisemblable ?
Alain de Benoist : C’est de l’enfumage. Les deux hommes sont d’abord trop différents : Poutine est un joueur d’échecs, Donald Trump se borne au golf et au Monopoly. Et surtout leurs intérêts géopolitiques sont opposés. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que Trump veut prendre un nouveau départ dans ses relations avec Moscou, car il pense apparemment qu’une normalisation avec la Russie de Poutine sera plus profitable à l’Amérique que ne l’est l’Alliance atlantique. Cela peut se traduire par une levée des sanctions contre la Russie, par des projets énergétiques communs, notamment dans les territoires arctiques, voire par la mise sur pied d’un plan qui éviterait la guerre avec l’Iran. Peut-être espère-t-il aussi desserrer, non l’alliance (le mot « alliance » n’existe pas en chinois), mais les liens d’« amitié sans limite » entre Poutine et Xi Jingping proclamés en février 2022. Mais il ne ralliera pas la Russie à l’« hégémonisme occidental ». Et je ne crois pas non plus à un « triumvirat illibéral » américano-sino-russe, car un tel attelage serait miné par les contradictions.
Trump est de toute évidence un grand caractériel à tendances paranoïaques (ce n’est pas rare en politique). Il se moque des idées, de la morale ou du droit international (pas plus que Néthanyahou toutefois). Il aime les winners, les gagnants, il préfère le charisme au légalisme. Il n’admire que la force et pense qu’on peut tout gagner par des menaces à l’emporte-pièces. Avec lui, le rapport de forces remplace le droit, ce qui a au moins le mérite d’éclaircir les choses.
Trump et Poutine ont en commun de voir l’Europe comme une vieille chose fatiguée, incapable de régler politiquement les problèmes internationaux, incapable de s’imposer, une vieille chose divisée, ruinée, submergée, oublieuse de son passé et de ses traditions, battant sa coulpe tout en pratiquant une censure morale permanente, et de façon générale incapable d’affronter les situations d’exception. Dans une telle perspective, le reste du monde se répartit entre des partenaires qui n’ont jamais été des égaux mais des vassaux, des protégés ou des dominés, jamais des alliés. Ce qui ne veut pas dire que les Etats-Unis sont en position de force face à la Chine, à la multipolarité, aux menaces de dédollarisation. N’oublions pas que si Trump veut faire l’Amérique « great again », c’est avant tout parce qu’elle ne l’est plus.
Breizh-info.com : Que pensez-vous de l’activité fébrile déployée par les Européens, Emmanuel Macron en tête, en vue d’un réarmement de l’Europe ?
Alain de Benoist : Les Européens sont incorrigibles. Ils n’ont pas vu venir la déferlante populiste, ils ont parié sur l’élection de Kamala Harris, ils se sont reposés pendant des décennies sur le « parapluie américain » au lieu de prendre leurs responsabilités. Ils constatent maintenant que, conformément à leurs habitudes, les Américains lâchent les Ukrainiens comme ils ont lâché les Sud-Vietnamiens et les Afghans. (On connaît l’adage : être l’ennemi des Américains est dangereux, être leur ami est fatal). Ils n’ont pas vu non plus le tropisme qui conduit depuis des années les Etats-Unis à s’éloigner de l’Europe. Ils constatent maintenant que les Américains, qui se réservent pour une confrontation avec la Chine, sont en train de se désengager de la sécurité européenne, ce qui les laisse tout nus. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Devant l’ampleur du gouffre qui s’est creusé entre les deux bords de l’Atlantique, ils ne parviennent pas à y croire. Tétanisés comme des lapins pris dans les phares, ils pleurent le démantèlement de l’Otan, une organisation dont Macron avait en 2019 affirmé qu’elle était en état de « mort cérébrale ».
Mais rien ne leur sert de leçon. Ils auraient pu profiter de ce basculement pour réfléchir à ce que la guerre en Ukraine leur a coûté. Ils ont englouti 150 milliards d’euros en pure perte, perdu l’accès au gaz et au pétrole russe, perdu aussi des dizaines de milliards d’investissements en Russie, ils ont accepté sans mot dire le sabotage du gazoduc Nordstream, mais ils s’imaginent être en mesure de donner à l’Ukraine des garanties de sécurité et de faire en sorte qu’on puisse continuer le massacre. Leur seule réaction, en d’autres termes, c’est de remettre une pièce dans la machine.
Après nous avoir répété durant plus d’un demi-siècle que « l’Europe, c’est la paix », ils veulent continuer la guerre, au risque d’être considérés comme des belligérants à part entière. Comme ils ne tirent jamais la leçon de leurs erreurs, ils sont prêts à remettre le doigt dans un nouvel engrenage, dont on ignore jusqu’où cela nous entraînera. Les écologistes eux-mêmes prêchent le militarisme. Une fuite en avant dans une surenchère belliciste totalement délirante qui montre que les Européens n’ont toujours rien compris au nouvel Ordre Mondial, au nouveau Nomos de la Terre, qui se met en place sous leurs yeux. Ils étaient montés à bord d’un bateau ivre, ils veulent maintenant embarquer sur une comète morte.
Ceux-là mêmes qui ont, depuis trente ans, détruit toutes les capacités de production industrielle et militaire des nations européennes, se proposent maintenant, sous la conduite de l’agent d’influence Ursula von der Leyen (la Hyène), de mettre en place une « économie de guerre » européenne en vue d’un « réarmement ». Macron, à la tête d’un pays qui est de plus en plus isolé sur la scène internationale, politiquement paralysé et endetté au point que le paiement des intérêts de la dette (plus de 50 milliards d’euros par an) représente maintenant le second poste des dépenses de l’Etat, rêve visiblement de prendre la tête de ce parti de la guerre (« nous sommes en guerre, quoi qu’il en coûte », air connu). L’armée française, dont les arsenaux sont presque vides et dont le budget a été réduit jusqu’à l’os, est incapable de participer plus de huit jours à une guerre de haute intensité, mais il n’en assure pas moins qu’on va voir ce qu’on va voir. Ah que la guerre est jolie quand on ne l’a jamais faite ! Lui qui recommandait en juin 2022 à ses partenaires de « ne pas humilier la Russie » appelle aujourd’hui à faire exactement l’inverse. Il est incapable de dire son fait au président algérien ou d’affronter celui des Comores, mais il roule des mécaniques en assurant qu’il va faire face à la « menace russe » qui, selon lui, pèse sur la France et l’Europe occidentale. Une menace qui n’est qu’un fantasme grotesque dont le seul objectif est de créer la peur. Une menace brandie comme un épouvantail. C’est le moment de se souvenir d’un excellent proverbe géorgien : le mouton passe sa vie dans la peur du loup, mais à la fin c’est le berger qui le mange !
Pour les Européens, la guerre n’oppose pas des ennemis, au sens traditionnel du terme, mais un « agresseur » et un « agressé ». Dans un conflit il faut toujours donner tort à l’« agresseur », car c’est lui le coupable – alors que cet « agresseur » peut très bien avoir agi parce qu’il était en situation de légitime défense. Ce changement de vocabulaire confirme le grand retour de la « guerre juste ». Ramener la guerre à un duo de l’« agresseur » et de la « victime » (comme dans les attaques au couteau ou les agressions sexuelles) fait nager en pleine moraline. Cela nous ramène au beau temps de la Société des Nations, dont on connaît l’histoire, et plus encore du Pacte Briand-Kellogg de 1928, à l’époque où l’irénisme consistait à penser qu’on pouvait mettre la guerre hors-la-loi. Aujourd’hui, c’est le bellicisme qui donne le ton. Mais c’est tout aussi impolitique.
Il n’est certes pas mauvais pour les différents Etats européens de se doter d’une puissante industrie de défense, mais à condition qu’elle soit indépendante, c’est-à-dire à condition d’oublier les Etats-Unis. Ce n’est pas cela en tout cas qui sauvera Zelensky : si l’Ukraine ne peut plus bénéficier de l’aide américaine, ce ne sont pas les maigres moyens dont dispose l’Union européenne qui vont le faire gagner. Il y a en outre trop de divergences entre les Etats-membres pour qu’on puisse définir entre eux des intérêts ou des buts communs, et donc des politiques opérationnelles communes. Il ne peut y avoir d’armée européenne aussi longtemps que l’Europe n’est pas unie politiquement, ce qui revient à dire que c’est aujourd’hui une chimère. Quant à un « parapluie européen » qui naîtrait de la décision de la France d’étendre à ses voisins le périmètre de sa dissuasion, il serait moins crédible encore que ne l’a jamais été le « parapluie américain ». Comme l’a souligné Jacques Sapir, qui peut penser que la France accepterait de « risquer de voir Paris vitrifié pour sauver Bucarest, Prague ou Varsovie » ? Bref, dans l’immédiat, on va multiplier les palabres sur des moyens militaires et financiers que nous n’avons pas et continuer à brasser du vent.
Breizh-info.com : J.D. Vance, figure montante du trumpisme, semble incarner une nouvelle droite américaine antilibérale et conservatrice, mais en même temps totalement décomplexée face au gauchisme. Voyez-vous en lui une réorientation durable du conservatisme américain ?
Le trumpisme est un mélange improbable de plouto-populisme, de césarisme technologique, d’anarcho-capitalisme, de souverainisme anti-étatique et d’idéologie libertarienne. Donald Trump y forme avec Elon Musk un duumvirat césarien qui évoque irrésistiblement la fin de la République romaine. J.D. Vance a des côtés très sympathiques, mais il est difficile de savoir ce qu’il représente exactement dans cette constellation, où l’on retrouve aussi bien des mythes américains : : la « destinée manifeste » et la nouvelle Terre promise, l’analyse de la société à partir de l’individu, l’autosuffisance du marché, le primat de l’économie et du commerce, la dévotion envers la technique et l’optimisme messianique. N’oublions pas, surtout, que ce n’est pas la grandeur de l’Europe que Donald veut restaurer, mais celle de l’Amérique, qu’il sait menacée.
Breizh-info.com : Comment percevez-vous la division profonde (irréparable) entre l’Amérique conservatrice anti-woke et l’Amérique progressiste ou gauchiste ? N’est-ce pas le même chemin que prennent les nations et les peuples européens ?
Il n’est pas impossible que les Etats-Unis soient au bord d’une guerre civile, ou d’une nouvelle guerre de Sécession. Mais je ne pense pas que ce scénario vaille pour les Européens. Ce qui menace le plus l’Europe, ce n’est pas la guerre civile. C’est pire encore : c’est le chaos.
Breizh-info.com : L’Union européenne (ou plutôt ses dirigeants) semble s’enfermer dans des combats idéologiques alors que le reste du monde redevient pragmatique et brutal. Faut-il voir cela comme une marque de décadence ou comme une tentative désespérée de maintenir une domination morale sur les peuples ?
Ni l’un ni l’autre – d’autant que la domination morale n’est pas incompatible avec la décadence ! L’Union européenne ne s’enferme pas non plus dans des « combats idéologiques », elle s’enferme dans une idéologie bien particulière dont les trois piliers essentiels sont la société des individus, le capitalisme libéral et les droits de l’homme. La démocratie libérale, l’Etat de droit et le règne des seules valeurs marchandes en sont les conséquences.
Breizh-info.com : Quid du rôle de l’Europe dans le nouvel ordre mondial qui se dessine sous nos yeux. Quelles stratégies devrait-elle adopter pour maintenir son influence ?
Il est inutile de parler de stratégies quand les hommes ne sont pas là pour les concevoir ou les appliquer. Les Européens sont aujourd’hui les hommes malades de la planète. Ils n’ont pas la moindre idée de ce que pourrait être le destin de l’Europe, parce que le mot « destin » n’a pas de sens pour eux. Dirigée par des ectoplasmes ou des somnambules, qui n’ont jamais eu l’occasion de se battre mais sont aujourd’hui prêts à engager leurs peuples dans une guerre nucléaire, l’Europe est en état d’épuisement civilisationnel, conformément aux prédictions de Spengler. Viennent à l’esprit ces mots terribles de Cioran : « C’est en vain que l’Occident se cherche une forme d’agonie digne de son passé ».
Breizh-info.com : Vous avez souvent mis en garde contre l’uniformisation du monde. Voyez-vous dans ce basculement global une chance pour les peuples d’Europe de retrouver une souveraineté culturelle et civilisationnelle ?
La lutte finale est maintenant engagée : soit une planète régie par une seule puissance hégémonique (ou une seule idéologie universaliste), soit un monde articulé entre plusieurs pôles de puissance et de civilisation, des « grands espaces » correspondant aux grandes régions du monde, dirigés pour chacun d’eux par le pays qui est le plus à même d’exercer son influence dans l’aire civilisationnelle à laquelle il appartient. Mais rien ne sera possible aussi longtemps qu’on s’obstinera à croire que le monde est d’abord peuplé par des individus, alors qu’il est d’abord partagé entre des peuples, des langues, des nations, des aires civilisationnelles différentes, ayant leurs ambitions et leurs principes propres. Le nouveau Nomos de la Terre exige que ces grandes aires civilisationnelles tiennent compte en priorité de leur identité, c’est-à-dire de leur histoire, et s’abstiennent d’intervenir dans les autres aires pour y appliquer des valeurs pseudo-universelles qui en réalité leur sont propres. Les « Etats civilisationnels » ou le chaos !
Breizh-info.com : L’accélération formidable de l’histoire à laquelle nous assistons aujourd’hui est-elle pour vous une source d’inquiétude… ou bien d’optimisme ?
Je ne suis ni optimiste ni inquiet. J’essaie seulement de comprendre ce qui va se passer.
Propos recueillis par YV
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10 réponses à “Alain de Benoist : « Si Trump veut faire l’Amérique « great again », c’est avant tout parce qu’elle ne l’est plus » [Interview]”
De loin, tout au moins pour moi, le meilleur article/interview -et de loin, je le répète- que j’ai eu l’occasion de lire au sein de Breizh-Info que je remercie ici pour l’avoir partagé.
A cela s’ajoute une grande clarté et une vision/jugement politique rare d’Alain de Besnoist, qui rejoint mes sentiments personnels sur le marasme actuel Russo-Ukrainien, le rapprochement inévitable Americano-Russe, et l’issue de cette confrontation Ukrainienne qui n’aurait jamais due être, si ce n’est par l’immense connerie (Et c’est le mot !) d’un imbecile notoire qui s’imaginait placer ses fusees aux portes du Kremlin, appelé Biden !!!
BRAVO y Bolchoïa Spociba ! (Un Grand Merci en Russe)
Alain de Benoist semble ignorer (volontairement ?) que Poutine a varié dans les explications qu’il a données de son attaque contre l’Ukraine. Il se réfère uniquement à l’explication par le refus de l’OTAN, qui est la plus souvent reprise à l’Ouest (où pourtant on aurait des raisons de ne pas la prendre au sérieux puisqu’on y connaît la situation réelle de l’OTAN). Mais en Russie, l’explication la plus répandue est que les Russes et les Ukrainiens forment un seul peuple, thème d’un livre signé par Poutine voici quelques années. Cette thèse-là, Alain de Benoist aurait sans doute encore plus de mal à la soutenir.
Deuxièmement, Alain de Benoist relaie un thème nouveau de la propagande poutinienne : la Russie a gagné la guerre. C’est faux, bien entendu. D’abord, la guerre n’est pas finie. Ensuite, quelle qu’en soit l’issue sur le terrain, elle aura eu des conséquences catastrophiques pour la Russie. Quant au discours à propos de l’OTAN : elle a réactivé une institution qui était « en état de mort cérébrale » et y a fait adhérer la Suède et la Finlande (plus de 1.000 km de frontière directe avec la Russie, à 130 km de Saint-Pétersbourg). Quant au discours à propos de la russité des Ukrainiens : les haines nées des événements du 20e s. ont été réactivées pour un siècle au moins. Quant aux effets internes : un bilan humain effroyable dans un pays en déclin démographique et des centaines de milliers de jeunes Russes, souvent diplômés, partis à l’étranger. Quant aux relations internationales : vassalisation de la Russie envers la Chine, affaiblissement envers la Turquie. Poutine aura fait plus de mal à la Russie que Staline.
Enfin, considérer l’élection de Donald Trump comme une rupture historique majeure est trop précipité (dire que voici quelques mois certains, les mêmes parfois, croyaient le wokisme installé pour toujours !). C’est un soubresaut qui n’est pas sans précédent dans l’histoire des Etats-Unis et qui s’inscrit dans une évolution engagée de longue date. Il est trop tôt pour apprécier ses conséquences : Trump, élu par 32% des électeurs inscrits aux Etats-Unis, est en fonction depuis deux mois seulement et son taux d’approbation dans l’opinion publique est, à ce stade, inférieur à celui de tous ses prédécesseurs. Gardons-nous donc de prédictions hâtives !
Elon Musk a lâché une bombe au cours d’une réunion en disant que les USA pouvaient très bien tomber en faillite…..pour nous, c’est presque fait !
La coalition trumpienne est absolument hétéroclite. Ainsi Musk est libertarien tandis que Vance est inspiré par la philosophie de Patrick Deneen qui est républicaine (au sens philosophique du terme) et communautarienne; la philosophie de Deneen est une philosophie de la communauté qui s’oppose radicalement à la philosophe individualiste des libertariens. Ainsi, Vance pense qu’il faut taxer davantage les profits du capital tandis que les libertariens veulent supprimer toute forme de redistribution et d’assistance sociale. De nombreux analystes pensent que c’est Vance qui pourrait succéder à Trump mais, à ce jour, il est difficile de faire un pronostic.
Alain de Benoist n’est pas un partisan, il expose et nous ouvre à la réflexion. Vous vous décapsuler votre bouteille et il n’y a rien à boire
« Trump est un grand caractériel à tendance paranoïaque »
Je préfèrerais ce genre de psychopathe qui veut redresser son pays que le schizophrène élyséen entouré d’aussi malades que lui et qui coulent la France.
Le païen de Benoist ne devrait pas oublier que les différents courants du « trumpisme » ont comme lien le christianisme (sous ses différentes formes: Evangélique pour Trump, catholique pour Vance, protestant ou anglican pour d’autres) qui est un lien avec le chrétien orthodoxe Poutine.
Poutine est un joueur d’échec ce qui demande des réflexions poussées, Trump joue au golf mais c’est aussi un redoutable commercial ; un de leurs grands présidents est celui qui avait été baptisé par nos « gens qui savent » cow-boy de second rôle, Ronald Reagan ; nous, nous avons une élite « qui sait » et coule le pays depuis 50 ans et sommes dirigés par un immature qui joue à l’échec tous azimuts !
Tant qu’à choisir ! Je préfère le paranoïaque, ça se guérit !
Alain de Benoist fait la une analyse magistrale de la situation à un instant T. Dire, comme Pschitt que Poutine risque fort de finalement perdre la guerre, que Trump n’est pas très solide à la tête des USA, c’est possible, mais c’est de la prospective. Seul l’avenir le dira… Pour l’instant Trump mène la danse, Zelensky a dû se plier à la négociation, et l’Europe qui s’agite beaucoup, est absente des négociations, et pour tout dire au fond du trou.
@ Kermadec : Alain de Benoist parle dès sa première phrase d’un « moment historique » !!! C’est autre chose qu’un instant T… Par ailleurs, je ne dis pas que Poutine risque de finalement perdre la guerre, je dis qu’il l’a DEJA perdue sur presque tous les plans. Le seul plan sur lequel il peut encore gagner est celui de la conquête territoriale. Ce n’est pas rien, mais il l’aura payée d’un affaiblissement politique et humain considérable.
A l’Ami Pschitt : Vous me faites marrer !
Ces contre-vérités, toujours si bien étalées (Bravo, et c’est sincère !) à la sauce socialisante (Je n’ai pas dit nauséabonde car j’aime bien vos reflexions bien qu’elles ne me rejoignent pratiquement jamais dans mes vérités) n’atteignent pas grand monde au sein de Breizh Info. Ceci dit, et je le redis car je suis sincère, l’article en question de B.I sous la dictee d’Alain de Besnoit m’a époustouflé. Pour moi c’est l’une des meilleures, sinon la meilleure ecriture politique que j’ai eu l’occasion -sinon le plaisir- de parcourir, d’autant plus dans ses vérités.
Et quant à traiter Poutine, et la Russie de mes parents avec, comme étant un gouffre humain effroyable, il y a chez vous, une exagération très politique voulue. J’ai la prétention de connaitre la Russie bien mieux que vous (Le Russe est ma langue maternelle), et je vous rappelerais simplement que l’Ukraine « a toujours été Russe » dans le sens qu’elle a toujours fait partie de la Grande Russie des Tsars, qui l’ont protégé, formée, instruite.
@ Gaï de Ropraz : notez que vous parlez par allusions (« ces contre-vérités »…) sans citer de faits, alors que je me réfère, moi, à ce que dit Alain de Benoist. Je n’ai pas traité la Russie de « gouffre humain effroyable », j’aime la Russie et je la connais pour y avoir des attaches personnelles et y avoir séjourné plusieurs fois (pouvez-vous même en dire autant, au-delà de votre arbre généalogique ?). Je sais bien, vous l’avez dit plusieurs fois, que selon vous l’Ukraine « a toujours été russe ». Je ne discuterai pas le concept tsariste de Grande Russie, pas plus que celui de Grossdeutschland : ce sont des concepts historiques. Mais ce qui compte n’est pas ce que vous en pensez, c’est ce que pensent les Ukrainiens d’aujourd’hui !!! Pensez-vous qu’ils se considèrent russes ? Non ! Ils ont eu l’occasion de le dire lors du référendum sur l’indépendance de l’Ukraine de décembre 1991 : 84% de participation, 92% de oui, avec une majorité écrasante dans tous les oblasts, même dans celui de Sébastopol (59%). Ils ont l’occasion de le redire tous les jours en se battant contre l’armée russe. Vous pouvez fantasmer le passé, c’est le présent qui compte, et cette guerre aura réactivé le sentiment anti-russe en Ukraine pour au moins trois générations.