Le discours de Milei : une éloquence de carton-pâte

Alors que le président Emmanuel Macron exhorte les Français à se préparer aux orages qui s’amoncellent sur l’Europe, Javier Milei, président argentin et trublion ultralibéral, s’est livré quelques jours plus tôt à un exercice plus narcissique : une allocution emphatique au Congrès, vantant les mérites de sa politique et s’érigeant en héros d’une croisade contre la « caste politique ». L’éloquence ampoulée et la théâtralité du personnage suffiraient à enchanter ses partisans, si ce n’était la mise en scène inhabituelle qui accompagna cette prestation.

Le décor, d’abord. Aucun peuple en liesse pour acclamer le tribun, aucune marée humaine pour saluer le passage du président. Buenos Aires, d’ordinaire prompte à faire vibrer ses avenues sous l’enthousiasme populaire, offrait un visage étonnamment morne se limitant à quelques mécontents tapant sur des casseroles. Une absence criante qui n’échappa à personne, si ce n’est à la télévision publique, qui, par un artifice digne des heures glorieuses de la propagande péroniste, masqua l’indifférence générale en évitant toute image compromettante. Il en fut de même à l’intérieur du Congrès, où nulle caméra n’a filmé l’accueil du président par la vice présidente Victoria Villarruel, jadis adorée, aujourd’hui détestée, où la moitié des bancs désertés aurait pu donner une note dissonante à cette symphonie d’autocélébration. La caméra officielle, savamment placée, ne s’attarda que sur les fidèles, donnant l’illusion d’un assentiment unanime.

Le ton, ensuite. On eut dit un soliloque shakespearien où le protagoniste, conscient de sa grandeur, harangue un public qui n’existe que dans son imagination. Milei ne prononce pas un discours politique, il se raconte une épopée. Son éloge de lui-même est sans nuance : il serait le premier dirigeant argentin à respecter ses engagements, le seul à avoir rompu avec la spirale de décadence, celui qui aurait remis l’Argentine sur les rails de la prospérité. L’homme a le verbe haut, mais la mémoire courte. À aucun moment il ne fut question du scandale des cryptomonnaies qui éclabousse son entourage, pas plus que des conséquences de ses choix économiques, notamment cette politique du « peso fort » qui encourage les importations et décourage la production nationale. La pauvreté qui ronge toujours l’Argentine n’avait pas de place dans ce récit triomphaliste.

La photo que Javier millet ne voulait pas diffuser : celle de sa rencontre avec la vice-présidente Victoria Villarruel et que la télévision publique s’est bien gardé de montrer. Mais la vice-présidente avait anticipé le mauvais coup du président. Il y avait laissé entrer des journalistes qui se sont empressés à photographier la scène

Ce qui frappe, c’est l’absence totale de doute, l’imperméabilité du discours à toute nuance. Les résultats économiques qu’il avance – une baisse fulgurante de l’inflation, une embellie des marchés – sont proclamés comme des triomphes indiscutables, là où les économistes eux-mêmes restent prudents sur leur pérennité. La réalité argentine, bien plus complexe, mérite un examen moins dogmatique. Les coupes budgétaires et la réduction drastique de l’État ont généré des tensions sociales , et si la bureaucratie pléthorique méritait d’être taillée dans le vif, l’idée d’un pays fonctionnant sans l’intervention de l’État relève du fantasme libertarien.

Le président Milei se plaît à se présenter comme l’abatteur de l’État obèse, le liquidateur des privilèges de la « caste ». Ce vocable, devenu son leitmotiv, lui permet d’englober dans une même vindicte aussi bien les responsables politiques traditionnels que les syndicats, les fonctionnaires et les médias critiques comme le groupe Clarin. Une rhétorique efficace, qui trouve un écho dans une population exaspérée par des décennies d’inefficacité et de corruption, mais qui demeure simpliste. Réduire l’histoire argentine à une longue déprédation opérée par une élite parasite, et se poser en unique sauveur, c’est refuser de voir que la crise actuelle est aussi le fruit de dynamiques plus profondes comme l’immigratiuon massive de populations peu intégrables comme les Boliviens ou les Paraguayens.

Derrière l’enflure verbale et la gestuelle théâtrale, le discours de Milei révèle surtout une conception binaire de l’économie et de la politique. Tout ce qui entrave l’initiative privée doit être annihilé : les réglementations, les services publics, les protections sociales. À l’entendre, seule une libération totale du marché permettra à l’Argentine de renaître. Pourtant, l’histoire économique du monde regorge d’exemples prouvant que les dogmes, fussent-ils libéraux, ne produisent pas toujours les effets escomptés. Détricoter l’État sans filet de sécurité peut provoquer des secousses bien plus violentes que celles qu’on entend corriger.

Mais l’essentiel, pour Milei, n’est pas là. Son véritable objectif est la mise en scène d’un combat idéologique, où il joue le rôle du dernier des croisés du capitalisme pur contre l’obscurantisme du dirigisme étatique. L’allocution qu’il a prononcée n’était pas destinée à convaincre, mais à conforter : un sermon adressé à ses fidèles, un manifeste brandi face à ses ennemis. À défaut de redresser l’Argentine, il aura au moins donné à son mandat l’allure d’un opéra baroque où l’éclat des décors tente de dissimuler le vide du récit.

Balbino Katz

Envoyé spécial de Breizh info à Buenos Aires

Illustration : DR
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9 réponses à “Le discours de Milei : une éloquence de carton-pâte”

  1. Pschitt dit :

    Comme les temps changent ! Après tant de compliments sur Javier Milei ces derniers mois, Breiz Info le vouerait donc aux gémonies ? Le 24 janvier dernier, par exemple, je lisais dans vos colonnes : « le président argentin Javier Milei a une fois de plus secoué l’audience du Forum économique mondial à Davos. Face à un parterre d’élites politiques, économiques et médiatiques, il a livré un discours tranchant, érigeant la liberté en étendard contre le « wokisme » et les dérives collectivistes qu’il accuse d’affaiblir l’Occident. Retour sur une intervention qui marquera l’Histoire. » Tout le monde peut se tromper…

  2. Mainsant dit :

    M. Balbino Katz est un connaisseur du baratin en carton pâte, on le voit dans les lacunes de son déroulé: parler des risques à supprimer la gabegie, sans préciser ni leur nature ni les éventuels moyens de les éviter. jalousie ? aveuglement ? idéologie ?

  3. Gaï ROPRAZ (de) dit :

    Je suis profondement étonné par un tel commentaire anti-Milei.

    Et dire -ou souligner- « qu’heureusement la redaction de Breizh-Info ne soit pas unanime sur tout », personnellement, je trouve dans cette phrase (qui m’étonne) un relent d’excuse…

    Ceci dit, personnellement je me suis déplacé en Argentine récemment, et sincèrement je dément de la manière la plus honnête l’esprit qui prévaut dans le déboulé verbal del Amigo Balbino. Tout au moins en ce qui me concerne. Mais il est vrai que probablement Mes Amis Argentins, ne sont pas ceux que côtoie votre « Envoyé Special » …

  4. Ben dit :

    1. J’ai regardé l’intervention de Milei. Il ne me semble pas que ce discours ait été narcissique. Milei se félicite, lui et ses collaborateurs, des résultats économiques qui sont objectivement encourageants. Ensuite, ce n’est pas la faute de Milei si l’opposition n’était pas dans l’assemblée et que seuls les fidèles de Milei y participaient. La caméra ne va filmer des chaises vides !
    2. Ensuite, vous parlez de la pauvreté qui ronge toujours l’Argentine. En omettant (sciemment ?) de dire que le taux de pauvreté est plus faible que le niveau de décembre 2023, date d’arrivée au pouvoir de Milei.
    3. Les tensions sociales que vous évoquez sont toutes relatives, Milei a un taux de popularité fort et qui grandit au sein de la population. Son parti est favori pour les mid-terms de 2025.
    4. La crise actuelle serait, selon vous, le fruit de l’immigration massive. !!! Idée déjà contestable mais vu que Milei est ferme sur l’immigration illégale (arrêt des soins pour les étrangers illégaux) je ne vois pas où il est critiquable.
    5. Vous dites que l’histoire économique du monde regorge d’exemples libéraux ne produisent pas les effets escomptés. C’est prouvé et factuel que ce sont les pays les plus libéraux qui fonctionnent le mieux au monde (Irlande, Suisse, Singapour…). La corrélation est évidente, il faut être aveugle pour ne pas le voir.
    6. Combat idéologique de Milei. Oui et alors ? Quand c’est les démocrates et la gauche woke au pouvoir, on ne parle bizarrement pas de combat idéologique.

    Bref, que d’approximations, aucune mise en perspective. Article vraiment à charge.
    Seul point d’accord avec cet article, Milei aurait pu certes faire un commentaire sur l’affaire des cryptos.

  5. Mec Sans DE dit :

    JE, JE, JE, personnellement, en ce qui me concerne, MES… Un peu de modestie Monsieur (de) ! Surtout quand on s’exprime dans un tel charabia…

  6. GLEPO423177 dit :

    Bien sur Mr Katz , c était beaucoup mieux avant !!!
    Tout ce qui est excessif est sans importance !!!

  7. gautier dit :

    à la place de blablater sur des gens qui essayent de faire bouger les choses ! faut pas ecrire cher monsieur ! faire c’est mieux !

  8. Raymond Neveu dit :

    Bon donc l’Argentine retourne à ses petits problèmes de toujours…? Après une lueur d’espoir, des espérances… Mais nous aussi nous avons notre général Tapioca qui n’a jamais revêtu que des uniformes tout neufs fleurant bon le magasin d’accessoires du quartier-maître fourrier de l’Elysée et le bouton atomique ce doit être son nombril! Lui aussi est entouré d’affairistes comme Kohler…et nous nous inquiétons pour la santé d’Hanouna, des précédents nous en avons comme Coluche. N’oubliez pas Villiers à 19 h sur CNews.

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