Peines alternatives à l’incarcération : la Cour des comptes dresse un bilan mitigé, le gouvernement se défend

La Cour des comptes a publié un rapport accablant sur l’efficacité des peines alternatives à l’incarcération, notamment le travail d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Malgré des objectifs ambitieux affichés par le gouvernement pour désengorger les prisons, l’évaluation met en lumière de nombreuses failles dans la mise en œuvre de ces sanctions. Face à ces critiques, le ministère de la Justice s’efforce de justifier ses choix et de défendre l’utilité de ces dispositifs.

Des délais d’exécution encore trop longs

L’un des points les plus préoccupants soulevés par la Cour concerne la lenteur de la mise en application des peines alternatives. En effet, un travail d’intérêt général (TIG) met en moyenne 6,9 mois à être mis en œuvre après la condamnation. Ce délai, bien que réduit par rapport à l’an dernier (7,9 mois), reste trop long pour garantir l’efficacité de la peine et son effet dissuasif.

Le ministère de la Justice assure que des efforts sont en cours pour améliorer cette situation. La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 prévoit désormais que les condamnés à un TIG soient convoqués dès leur sortie d’audience devant les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Une circulaire du 27 janvier 2025 rappelle également aux parquets l’importance d’une exécution rapide des peines. Mais en pratique, la lourdeur administrative et le manque de moyens humains ralentissent encore le processus.

Une gestion des placements sous bracelet électronique à revoir

Autre sujet de préoccupation : la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), qui repose sur un contrôle par bracelet électronique. La Cour souligne une gestion inefficace des alarmes, entraînant des retards dans les interventions et un suivi insuffisant des probationnaires.

Face à ces critiques, le ministère annonce la diffusion prochaine d’un guide et d’un protocole pour améliorer la gestion locale des incidents. Toutefois, le manque de personnel et de moyens techniques risque de limiter l’impact de ces mesures.

Un contrôle des probationnaires jugé insuffisant

La Cour recommande également un renforcement du contrôle des probationnaires. Aujourd’hui, les SPIP ont peu de latitude pour surveiller effectivement les condamnés. La Cour appelle à plus de visites au domicile des personnes sous DDSE et sur les lieux de travail des probationnaires en TIG.

Le ministère de la Justice assure être favorable à cette mesure, mais précise que des moyens supplémentaires devront être mobilisés pour la mettre en place. La question des effectifs des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) demeure un problème majeur.

L’insertion : un enjeu sous-estimé ?

Un des constats les plus sévères du rapport concerne le manque d’efficacité des dispositifs d’insertion pour les personnes condamnées à ces peines alternatives. La Cour pointe un manque de coordination entre les SPIP et les acteurs sociaux et économiques.

En réponse, le ministère annonce des « états généraux de l’insertion et de la probation » en avril 2025. L’objectif est de mobiliser davantage les structures associatives et les entreprises pour faciliter la réinsertion des condamnés. Des partenariats existent déjà avec la Croix-Rouge, le Secours catholique ou Emmaüs, mais leur impact reste limité et manque d’évaluation objective.

La Cour des comptes remet en question l’impact réel des peines alternatives sur la récidive. Le rapport juge que les TIG n’ont qu’un faible effet dissuasif et que leur efficacité est difficile à mesurer, faute de données fiables.

Extrait :

Le travail d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) sont deux mesures clés visant à proposer des alternatives à l’incarcération en France. En avril 2024, elles concernaient respectivement plus de 22 000 et 18 000 personnes, soit près de la moitié de la population carcérale. Malgré leur promotion depuis 2019 pour réduire la centralité de la détention dans le système pénal, le nombre de personnes incarcérées a atteint un record de 80 792 détenus en décembre 2024.​

Efficacité limitée en tant que sanctions

  • Diminution des TIG : Depuis un pic en 2015, le recours aux TIG a diminué au profit des DDSE, souvent utilisées comme aménagements de peines pour gérer la surpopulation carcérale.​
  • Freins au développement : Cette tendance s’explique par la réduction du public traditionnel des TIG, notamment les primo-délinquants orientés vers des alternatives aux poursuites, et par le manque d’outils d’évaluation sociale et pénale des mis en cause.​
  • Délais d’exécution : Les délais d’exécution des TIG sont en moyenne de 16 mois, tandis que les DDSE sont mises en place plus rapidement, avec une durée moyenne de 4,5 mois.​
  • Suivi et contrôle insuffisants : Le suivi et le contrôle de ces mesures restent insuffisants pour assurer leur efficacité en tant que sanctions.​

Contribution limitée à l’insertion

  • Difficultés sociales des condamnés : Les personnes concernées par les TIG et les DDSE font souvent face à des difficultés sociales importantes, notamment en matière de logement, de santé et d’emploi.​
  • Accès restreint aux dispositifs d’insertion : L’accès aux dispositifs d’insertion de droit commun est restreint en raison de leur saturation ou de financements insuffisants.​
  • Parcours de réinsertion inefficaces : Ainsi, la période passée sous ces mesures ne permet que rarement d’initier un parcours d’insertion ou de réinsertion efficace.​

Résultats mitigés sur la récidive

  • Taux de récidive élevé pour les TIG : Les études disponibles montrent que le taux de récidive cinq ans après un TIG est proche de 60 %, comparable à celui des peines de prison ferme.​
  • Résultats plus favorables pour les DDSE : La DDSE présente des résultats plus favorables, avec un taux de récidive après trois ans inférieur de 13,5 points de pourcentage pour les personnes ayant bénéficié d’une DDSE en lieu et place de la prison, et de 8 points pour celles dont la peine a été aménagée en DDSE en cours de détention.​
  • Prudence dans l’interprétation : Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence, car ils se basent sur des données antérieures à la généralisation de la DDSE, ce qui pourrait influencer le profil des condamnés et leur suivi.​

Nécessité d’une efficacité accrue pour lutter contre la surpopulation carcérale

  • Surpopulation carcérale : Face à une surpopulation carcérale record de 130 % en décembre 2024, les établissements pénitentiaires subissent une dégradation majeure des conditions de détention, affectant la sécurité des détenus et du personnel.​
  • Limites de la construction de nouvelles prisons : La construction de nouvelles prisons n’apporte pas de solution à court terme en raison des délais et des coûts impliqués.​
  • Renforcement nécessaire des TIG et DDSE : Il est donc essentiel de renforcer l’efficacité des TIG et des DDSE en réduisant les délais d’exécution, en améliorant les contrôles et en intensifiant le suivi des condamnés, tout en tenant compte de leurs difficultés sociales pour favoriser leur réinsertion.​

Le ministère de la Justice conteste cette analyse et critique la méthodologie du rapport, notamment le choix d’une cohorte de 2010, qui ne reflète pas les évolutions récentes. Il regrette également l’absence d’une comparaison entre les TIG exécutés et les TIG seulement prononcés, ce qui aurait permis une meilleure évaluation de leur impact.

Des recommandations qui peinent à convaincre

Pour améliorer l’articulation entre les SPIP et l’autorité judiciaire, la Cour propose l’expérimentation de la présence des SPIP dans les tribunaux au moment des audiences correctionnelles. Une mesure que le ministère soutient, mais avec des réserves sur sa faisabilité en raison du manque d’effectifs.

La Cour suggère aussi une présence plus régulière des magistrats aux commissions d’exécution des peines. Là encore, la Chancellerie est d’accord sur le principe, mais met en avant des contraintes organisationnelles qui compliquent cette réforme.

En toile de fond de ce débat, la surpopulation carcérale reste une problématique centrale. En l’absence de places suffisantes en prison, le gouvernement mise sur l’augmentation des peines alternatives pour désengorger les établissements pénitentiaires.

Si la Cour des comptes reconnaît la nécessité de ces alternatives, elle met en garde contre les risques d’impunité si leur application reste trop lente et peu contrôlée. Le ministère, de son côté, insiste sur les efforts réalisés, mais reconnaît que des progrès restent à faire pour garantir l’efficacité et la crédibilité de ces sanctions.

En définitive, ce rapport souligne une fois de plus les limites du système judiciaire français, pris entre le manque de moyens, la nécessité d’alternatives à l’incarcération et la crainte d’une justice perçue comme trop laxiste.

Crédit photo : DR
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3 réponses à “Peines alternatives à l’incarcération : la Cour des comptes dresse un bilan mitigé, le gouvernement se défend”

  1. Pschitt dit :

    Les peines de substitution ne devraient pas exister ! Les peines appliquées devraient être celles prononcées par le juge (et éventuellement annoncées au public). Cependant, la loi pourrait élargir le catalogue des peines possibles. Un jugement pourrait condamner un délinquant à une assignation à résidence sous bracelet électronique, par exemple. En revanche, une peine de prison devrait être une peine de prison, point. Ce qui simplifierait le travail des JAP, bien sûr.

  2. Gaï ROPRAZ (de) dit :

    L’inefficacité de notre système judiciaire est patent, et tous les jours prouvé de diverses manières.
    Quant à édifier de nouvelles structures carcerales, sur nos terres au sein de l’hexagone, c’est un voeu pieu voué à l’echec pour moultes raisons. La principale étant le refus de la population Française d’accepter toute proximité avec le monde carcéral.

    C’est pourquoi, une fois de plus m’est donné l’occasion de proposer l’idée d’un bagne.
    Mais pas un bagne en terre française car les problemes ne seront jamais resolus pour les raisons citees plus haut. En revanche, mon idée est celle d’un bagne loin de nos frontieres. Plus exactement au Pole Sud, en Terre Adelie, où la France dispose d’un immense territoire voué à des travaux scientifiques. Là au moins, loin de nos frontières, et fans le froid antartique, toute evasion est impossible. De ce fait, la protection du territoire national et de ses habitants est garantie. Qui plus est, dans ces territoires glacés et desertiques, toute échappatoire physique est impossible. De ce fait, tout en repondant au problème de surpopulation carcérale au sein de l’hexagone, s’ajoute l’immense bienfait rassurant qui interdit toute échappatoire/invasion humaine non désirée.

  3. Pschitt dit :

    L’idée est bonne mais l’île Europa pourrait être plus indiquée. Cette île du canal du Mozambique, propriété française, rapprocherait de chez eux les condamnés d’origine africaine. Elle bénéficie d’un climat tropical. Son inconvénient est qu’elle n’a pas d’eau douce, mais la production d’eau pourrait justement être le thème du travail d’un bagne…

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