Les archives gouvernementales déclassifiées en Irlande et au Royaume-Uni offrent souvent une plongée fascinante dans les coulisses du pouvoir et les perceptions des dirigeants de l’époque. C’est précisément le cas des récents documents publiés, qui révèlent la vision qu’avaient les gouvernements britannique et irlandais d’Ian Paisley au début des Troubles. Ces révélations montrent un profond mépris pour celui qui allait devenir l’une des figures les plus influentes de l’Unionisme nord-irlandais, comparé tour à tour à Hitler, qualifié de « plus sinistre des hommes » ou encore de « monstruosité politique ». Mais au-delà du rejet par les autorités ces documents mettent en lumière la difficulté des autorités à appréhender la réalité du terrain et l’évolution de Paisley au fil des années.
Un homme honni par Londres et Dublin
Au tournant des années 1970, Ian Paisley était perçu comme l’ennemi commun des gouvernements britannique et irlandais. Fondateur du Parti Unioniste Démocrate (DUP) et prêcheur intransigeant, il symbolisait une Union sacrée de l’Ulster avec la Couronne britannique, mêlée à une opposition viscérale au catholicisme et à toute tentative de rapprochement avec Dublin.
Les archives montrent que cette posture lui valut d’être comparé à Hitler par Sir Edward Peck, un haut responsable du Foreign and Commonwealth Office britannique en 1970. Un diplomate irlandais, Donal O’Sullivan, confirmait que Paisley représentait un danger réel du fait de son influence sur une frange radicalisée des unionistes.
Cette peur s’expliquait aussi par la capacité de Paisley à mobiliser, parfois avec des conséquences explosives. Un rapport de 1970 mentionne que des loyalistes avaient tenté de faire sauter des infrastructures publiques, persuadés qu’ils agissaient sous ses ordres. Une idée de l’incarcérer pour ces faits fut brièvement discutée, mais Londres redoutait d’en faire un martyr.
La méfiance n’était pas qu’irlandaise. Mitchell Sharp, ministre canadien des Affaires étrangères, se demandait pourquoi Paisley ne comprenait pas qu’il « creusait la tombe de l’Irlande du Nord », attisant la colère des républicains et forçant Dublin à agir en faveur des catholiques du Nord.
D’autres responsables, comme Ted Heath, chef de l’opposition britannique en 1970, partageaient ce rejet. Lors d’une rencontre avec un diplomate irlandais, Heath avait été catégorique : « Je n’aime pas Paisley plus que vous ». Toutefois, il ne voyait pas d’unification irlandaise à court terme, affirmant que « le Nord ne serait remis à Dublin que si une majorité le souhaitait ».
Une menace exagérée ?
L’analyse des gouvernements britannique et irlandais semble avoir été biaisée par un rejet instinctif de Paisley. Certains responsables, comme Ronnie Burroughs du Foreign Office, minimisaient son influence et celle des radicaux unionistes. Selon lui, même si Paisley gagnait des sièges à Stormont, cela ne signifiait pas une dérive extrémiste du Parti Unioniste.
D’autres estimaient que l’impact de Paisley était surestimé. En 1969, le ministre irlandais des Affaires étrangères, Patrick Hillery, relativisait la menace en affirmant que son mouvement, bien que bruyant et armé, pouvait être exagéré par les médias et les politiciens.
Mais cette vision optimiste s’avéra erronée : Paisley allait s’imposer comme l’un des acteurs clés de la politique nord-irlandaise pour les décennies à venir, jouant un rôle déterminant dans le maintien de l’Union et dans les négociations de paix.
Un tournant intéressant est observé dans les archives au fil des années. Si en 1970, Paisley était encore vu comme un incendiaire incontrôlable, en 1972, Sir Stewart Crawford du Foreign Office commençait à le voir sous un autre jour. Il notait qu’il semblait vouloir profiter du contexte troublé pour se forger une carrière politique, bien que « ne méritant pas encore la confiance ».
Trois mois plus tard, un ministre britannique, Anthony Royle, reconnaissait que Paisley devenait « plus modéré à la Chambre des Communes », ce qui lui faisait perdre une partie de son électorat le plus extrême. Pour le gouvernement britannique, qui tentait alors d’éviter un embrasement total entre l’IRA et les loyalistes, Paisley devenait un moindre mal, à surveiller mais plus aussi diabolisé qu’auparavant.
Un portrait à nuancer
Les archives déclassifiées offrent un regard précieux sur l’Irlande du Nord en plein basculement vers les Troubles. Elles montrent des gouvernements britannique et irlandais désorientés, cherchant à contenir une guerre civile larvée et à identifier les acteurs à craindre ou à courtiser. Paisley, d’abord perçu comme un extrémiste incontrôlable, finit par être vu comme un politicien structurant, bien que toujours redouté.
L’histoire retiendra que Paisley, longtemps un adversaire du dialogue, finira par participer activement au processus de paix en 2007, devenant Premier ministre d’Irlande du Nord et formant un gouvernement avec Martin McGuinness, ancien chef de l’IRA. Un destin ironique pour celui que Londres et Dublin voyaient, au début des Troubles, comme un incendiaire voué à la marginalité.
Ces documents rappellent une leçon essentielle en politique : les figures les plus controversées d’une époque peuvent, par pragmatisme ou par opportunisme, devenir des piliers du système qu’elles dénonçaient autrefois.
Illustration : DR
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2 réponses à “Irlande du Nord. Que disent les archives déclassifiées sur le révérend et leader unioniste Ian Paisley ?”
Intéressant. Breizh Info est vraiment la source de référence sur l’Irlande du Nord. Quant aux « récents documents publiés » : par qui, pourquoi, de quoi s’agit-il, qui peut les consulter ?
La chute est vraiment bienvenue : « les figures les plus controversées d’une époque peuvent, par pragmatisme ou par opportunisme, devenir des piliers du système qu’elles dénonçaient autrefois ». Allez, braves gens, n’ayez plus peur de voter pour le R.N., ses élus finiront – comme jadis les élus poujadistes – par devenir les gentils chiens de garde du régime techno-radical-social-démocrate bruxellois !