Le Chœur des sardinières, les Penn Sardin en bande dessinée

Il y a 100 ans, les sardinières de Douarnenez, appelées Penn Sardin (« tête de sardine ») en raison de leur coiffe blanche, entamaient un mouvement de grève. Une passionnante bande dessinée nous fait découvrir ce mouvement social en se focalisant sur une sardinière mariée à un pêcheur.

En 1924, le port sardinier de Douarnenez compte 24 conserveries. Alors que les hommes passent leur vie sur les bateaux de pêche, les femmes s’affairent dans les usines de sardines. La plupart des femmes deviennent en effet des sardinières (Penn Sardin) comme, avant elles, leurs mères et grands-mères. Mona, l’une des ouvrières, vit au rythme de la cloche qui annonce l’arrivée des bateaux de pêche. Elle se dirige alors vers l’une des usines de sardines de Douarnenez et, pendant son dur labeur, interprète des cantiques et des chants de marins. Elle doit couper la tête des sardines, les vider, les nettoyer, les faire frire puis les mettre en boîte. Elle travaille parfois 18 heures d’affilée, pour un salaire de misère. Elle héberge sa mère, ancienne sardinière blessée, qui ne peut plus travailler. Elle a déjà deux filles et attend un troisième enfant. Parce que l’argent manque, son mari, qui va souvent boire sa paye au bistrot, demande à Soazig, leur fille aînée, 10 ans, de travailler à la sardinerie, malgré son très jeune âge. Soazig embauchant à l’usine avant l’âge légal, la contremaître lui montre où se cacher s’il y a un contrôle par l’inspection du travail !

Mais les cantiques bretons des Penn Sardin, qui rythmaient leur travail, sont remplacés par des chants de lutte révolutionnaire. Pour avoir chanté « Saluez, riches heureux », jugé subversif par les patrons d’usine, des femmes sont renvoyées sans salaire. Le 21 novembre, une grève est déclenchée par les ouvrières de l’usine de métallurgie qui fournit les boites où sont rangées les sardines. Celle-ci, dont l’objectif est d’obtenir un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail, s’étend rapidement aux Penn Sardin, aux pêcheurs et même à la biscuiterie. Mona hésite à suivre sa copine Joséphine Pencalet et à se lancer dans cette vague protestataire. Puis la grève bénéficie du soutien de Le Flanchec, maire communiste de Douarnenez, en tête des manifestations, et de l’appui du syndicat communiste CGTU. Contre l’avis de son mari, Mona décide, elle aussi, de manifester, même si elle n’est pas du tout politisée. Après une rencontre avec le ministre du travail à Paris qui tente une médiation, et surtout l’attentat de deux industriels contre Le Flanchec, un accord est finalement signé le 6 janvier 1925. Les Penn Sardin obtiennent la majoration des heures supplémentaires.

La grève des sardinières, initiée par des ouvrières de conserveries de poisson de Douarnenez, eut un retentissement national. Le conflit débuta le vendredi 21 novembre 1924 à l’usine Carnaud, qui fabriquait les boîtes de conserves pour les sardineries. Les grévistes, en majorité des femmes, revendiquaient une augmentation de salaire : « Pemp real a vo ! » (Cinq réaux ce sera!). Le 25 novembre, toutes les sardineries étaient à l’arrêt…

La grève des Penn Sardin avait déjà été décrite dans la série de bandes dessinées Les chasseurs d’écume. Dans le tome 1, se déroulant en 1901, Jos Gloaguen, âgé de seulement 12 ans, embarque sur la chaloupe de son père. Les hommes pêchent sur de frêles barques, tandis que leurs épouses -les Penn Sardin- s’activent à la conserverie contre un salaire de misère. Dans le tome 2, Jos Gloaguen participe à une révolte des pêcheurs réprimée par la gendarmerie à cheval. Le tome 4 décrit la situation difficile des pêcheurs de Douarnenez pendant les années 1920. En 1924, les tensions sociales se crispent. Alors que la sardine se fait attendre, les pêcheurs restés à quai exigent des patrons des conserveries de meilleures conditions de travail. Des parisiens du « Cartel des gauches », venus recruter pour un nouveau syndicat affranchi du bolchévisme, incitent à la grève. En 1925, un accord est signé entre les délégués des femmes travaillant dans les conserveries et les industriels. Ainsi se clôt le premier cycle de cette série. Après l’adaptation de plusieurs textes d’Anatole Le Braz, le scénariste François Debois s’inspire ainsi d’un roman historique du nantais Jean-Claude Boulard (L’épopée de la sardine, un siècle d’histoires de pêche), ancien maire socialiste du Mans, pour livrer un travail rigoureux sur les mouvements sociaux. Par un trait classique et réaliste, le dessinateur Serge Fino reconstitue avec justesse le port de Rosmeur et les ruelles étroites du centre-ville de Douarnenez.

Intitulée Le Chœur des sardinières, cette nouvelle bande dessinée commence par décrire le quotidien de ces familles de Douarnenez, où les hommes sont en mer et les femmes à l’usine. Par souci de réalisme, Léah Touitou et Max Lewko, qui avaient déjà travaillé ensemble, se sont rendus plusieurs fois à Douarnenez.

La scénariste Léah Touitou, née en 1986, d’origine lyonnaise, après un Baccalauréat Littéraire Arts Plastiques, entre à l’école Émile Cohl où elle obtient un diplôme d’Illustratrice Concepteur graphique. Elle est l’auteur de plusieurs albums aux éditions Jarjille : Café Touba et Sunu Gaal, diptyque sur le Sénégal, Julie et les oiseaux (avec Anjale) en jeunesse, Somaliland (avec Max Lewko et Clément Goutelle)… Elle nous fait découvrir les conditions inhumaines dans lesquelles travaillent les femmes : cadences infernales, retenue sur salaire lorsque les contremaîtres trouvent que le travail n’est pas assez bien fait… Puis elle expose le déroulement de ce mouvement de grève qui s’étend vite à toutes les usines avoisinantes. Elle n’est pas tendre avec le patronat et les curés, montrant même que ces derniers promettaient l ‘excommunication en cas de rébellion ! Pour bâtir ce récit, elle a bénéficié de l’appui du Port-Musée et des associations Mémoire de la ville et Emglev Bro Douarnenez.

Max Lewko, dessinateur lyonnais né en 1986, a lui aussi suivi les cours de l’école de dessin Emile Cohl. Il travaille dans l’illustration, la peinture, la bande-dessinée (notamment Somaliland, éditions Jarjille, 2020), et même la vidéo et la musique. Professeur d’arts visuels, il intervient auprès d’Universités, d’associations, de lycées professionnels…

Il s’inspire de nombreuses photos d’époque pour récréer Douarnenez, de sorte que peu de scènes sont inventées. Sa façon de travailler est très particulière. Il n’utilise pas l’outil informatique, mais trois feuilles successivement. Il commence par réaliser un crayonné sur papier. Puis, à une table lumineuse, sur une autre feuille, il encre au pinceau jetable et parfois à l’encre de chine. Il dessine alors les personnages en leur créant des visages arrondis. Enfin, sur une troisième feuille, il passe à la colorisation, à l’aquarelle. Il fait le choix judicieux de couleurs bleues et grises.

Kristol Séhec

Le Choeur des sardinières, 137 pages, 20 euros. Editions Steinkis.