Il est rare de voir les journalistes de L’Équipe, d’ordinaire très vigilants à traquer toute trace d’essentialisme ou de différentialisme racial, invoquer la biologie et la génétique pour expliquer une agression violente. Pourtant, c’est bien ce qui s’est produit dans l’affaire de la morsure sauvage de Pierre Pagès par son coéquipier fidjien Masivesi Dakuwaqa, une affaire qui secoue le Biarritz Olympique depuis le 30 janvier dernier.
Un joueur agressé, un autre qui prétend ne se souvenir de rien, un club contraint de trancher par un licenciement, et surtout un traitement médiatique troublant qui pose question sur les indulgences sélectives du journal sportif de référence.
Dans la nuit du jeudi 30 janvier, « Masi » s’est transformé en démon lors d’un repas de cohésion de Biarritz. Une soirée open bar durant laquelle les bières sont tombées.
Depuis, tout le monde est sous le choc au sein du club basque ➡️ https://t.co/3jRV4YjmW8 pic.twitter.com/R4aHdSeCq9— L’ÉQUIPE (@lequipe) February 11, 2025
Une agression violente… que l’Equipe tente maladroitement d’expliquer
Rappelons brièvement les faits : au cours d’une soirée d’équipe dans un restaurant d’Anglet, l’alcool coule à flots. En fin de soirée, Dakuwaqa, troisième ligne fidjien du BO, devient agressif. Il s’énerve, explose la vitre d’une voiture stationnée, et, dans un accès de rage, mord violemment Pierre Pagès à la joue, alors que ce dernier voulait le calmer, lui infligeant une blessure nécessitant une vingtaine de points de suture. Un témoin évoque une scène digne d’un film d’horreur, avec l’agresseur « du sang plein la bouche ».
Que fait L’Équipe dans cette affaire ? Elle rend d’abord compte des faits. Puis quelques jours plus tard, Elle offre à Dakuwaqa une tribune en pleine page, où l’ancien international fidjien, dans une mise en scène pleine de pathos, joue la carte du repentir (sans aucun doute vrai) et de l’amnésie alcoolisée. Jusque-là, rien d’inhabituel : les portraits de sportifs déchus en quête de rédemption sont un classique journalistique.
Mais ce qui surprend, c’est l’argument avancé pour expliquer la brutalité du geste : une supposée prédisposition génétique des populations océaniennes à ne pas supporter l’alcool. L’Équipe cite en effet des études scientifiques (sans les nommer) qui suggèrent que certaines populations du Pacifique auraient des gènes les rendant plus vulnérables aux effets de l’alcool, car leur foie ne détoxifierait pas correctement l’éthanol. « Une piste, peut-être, pourrait permettre d’éclairer ce sordide fait divers : des études universitaires dans l’hémisphère Sud évoquent deux gènes présents dans certains groupes ethniques du Pacifique (Polynésiens et Mélanésiens) qui empêcheraient leur foie de détoxifier les effets nocifs de l’alcool ingéré » indique le quotidien sportif de gauche.
Un raisonnement qui, dans d’autres circonstances, aurait valu à son auteur d’être immédiatement cloué au pilori médiatique. Car depuis quand L’Équipe, habituellement si soucieuse de déconstruire tout lien entre origine ethnique et comportement, verse-t-elle dans le déterminisme biologique ?
Deux poids, deux mesures : et si un hooligan avait mordu un joueur ?
Ce qui choque encore plus dans ce traitement médiatique, c’est la comparaison avec d’autres affaires de violences dans le sport. On imagine mal L’Équipe tendre ainsi le micro à un hooligan ayant tabassé un supporter adverse pour lui permettre d’expliquer son geste, encore moins si celui-ci était lié à une supposée prédisposition génétique. Les ultras et hooligans lyonnais, hormis des articles à charge, n’ont jamais eu le droit à la parole, par exemple. Ni même les ultras de Boulogne, à une autre époque.
On sait aussi que le journal est d’habitude le chantre de « l’inclusivité » et le relais à chaque occasion contre « l’extrême droite ».
Ici, pourtant, le journal de référence du sport français relaie sans ciller une explication ethno-génétique pour un acte d’une extrême violence, le tout dans un registre compassionnel où l’agresseur est quasiment présenté comme une victime de ses propres pulsions incontrôlables. Ce deux poids, deux mesures est d’autant plus frappant que si Dakuwaqa avait été un ultra, ou un hooligan, on doute d’une telle interview.
Une affaire révélatrice de l’indulgence médiatique à géométrie variable
Ce traitement journalistique met en lumière une constante dans les médias sportifs français : une indulgence accordée selon des critères flous, où certains ont le droit à des circonstances atténuantes (Jégou, Auradou, pas Jaminet, par exemple), quand d’autres sont immédiatement condamnés au bannissement. La violence n’est excusable qu’en fonction de celui qui la commet. Certains auront droit à une mise en scène de leur repentir, avec interviews et photos mises en scène. D’autres seront broyés par la machine médiatique, exclus sans procès.
Reste que l’affaire pose une autre question : pourquoi un joueur professionnel n’a-t-il pas été éduqué sur les risques de l’alcool ? Si cette supposée vulnérabilité génétique était avérée, ne serait-il pas de la responsabilité du club d’en tenir compte dans la prévention et le suivi des joueurs ?
Au final, l’agression de Pierre Pagès restera une tâche indélébile sur la carrière de Dakuwaqa. Mais L’Équipe, elle, en sort fragilisée, révélant quelques contradictions idéologiques qui feront sourire certains lecteurs. A quand des explications génétiques et ethniques sur les performances des coureurs de type africain sur le 100m, ou une explication sur l’exclusivité des athlètes de type Européen dans le biathlon ? Il doit bien y avoir là aussi quelques études scientifiques sur la question…
YV
Crédit photo : wikipedia
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