« On ne le dira jamais assez, tous les parlementaires ne sont pas pourris. C’est même une minorité d’entre eux, mais force est de constater qu’ils profitent d’une mansuétude complice de la majorité de leurs collègues. »
Philippe Pascot a côtoyé les élus de tout bord pendant près de 25 ans. Il recense dans cet ouvrage les abus légaux dans lesquels tombe la classe politique française : salaire exorbitant, exonération d’impôts, retraite douillette, cumuls, emplois fictifs, déclarations d’intérêts et d’activités bidons et tant d’autres petits arrangements entre amis.
Derrière une volonté affichée de transparence et de « moralisation » de la sphère politique, nos élus entretiennent leurs propres intérêts au travers de lois de plus en plus incompréhensibles, quand nous, simples citoyens, devons nous serrer la ceinture.
Sans parti pris, l’auteur rend compte de ce pillage d’État et du système qui le permet.
Nous l’avons interrogé pour parler de ce livre, Pilleurs d’Etat, encore et encore, paru aux éditions Max Milo.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Philippe Pascot : Je suis un petit scribouillard et un simple éveilleur de conscience. Marié, six enfants.
Breizh-info.com : Dans votre ouvrage, vous soulignez que tous les parlementaires ne sont pas corrompus, mais que le système protège ceux qui abusent. Pouvez-vous nous expliquer comment ce mécanisme d’impunité fonctionne ?
Philippe Pascot : Tous les parlementaires ne sont pas corrompus, mais il est de plus en plus difficile d’être un élu intègre. La corruption est un système qui perdure et se développe, malheureusement en grande partie à cause de l’inertie.
Le Français a du mal à remettre en cause celui qui détient le pouvoir, il a une fâcheuse tendance à ouvrir son parapluie et à « refiler » la patate chaude à son voisin. Tout le monde veut des élus intègres tout en fermant les yeux sur son propre élu de proximité.
Breizh-info.com : Vous recensez des dizaines de privilèges légaux accordés aux élus, parfois méconnus du grand public. Quel est, selon vous, le plus choquant ?
Philippe Pascot :
- Le paiement sur les deniers publics des frais d’obsèques des anciens parlementaires (députés et sénateurs), y compris lors du décès de leur femme et/ou de l’un de leurs enfants.
Vous n’êtes plus député ou sénateur depuis 20 ans… vous mourrez (ou votre femme et/ou un enfant encore à charge), et un chèque de l’Assemblée nationale arrive (environ 2 500 euros). Pour les ex-sénateurs (leur femme et enfant), la moyenne du chèque « post mortem » est de 18 245 euros par ex-élu décédé.
Pour ma part, et pour l’ensemble des salariés d’une entreprise qu’ils auraient quittée depuis vingt ans, je ne vois aucune entreprise prendre en charge les frais funéraires… - Le fait qu’un élu puisse légalement se présenter à une élection avec un casier judiciaire chargé (B2).
J’ai recensé personnellement 396 métiers en France pour lesquels il faut un casier vierge pour pouvoir travailler (voire le présenter tous les ans…). Aujourd’hui, pour être fonctionnaire dans une mairie, il faut un casier vierge. Si vous êtes condamné, l’administration peut vous licencier sans droit à la retraite. Par contre, vous pouvez diriger une mairie avec un casier chargé. C’est un privilège « légal » inadmissible.
Breizh-info.com : Les citoyens sont soumis à une fiscalité de plus en plus lourde, tandis que certains élus bénéficient d’exonérations et de retraites confortables. Comment expliquez-vous que ces avantages perdurent sans révolte populaire ?
Philippe Pascot : Parce que le peuple ne sait pas, la plupart du temps, ce qui se trame. De plus, le vrai problème n’est pas tant une fiscalité de plus en plus lourde (surtout pour les petits), mais l’usage qu’ils en font. On paie de plus en plus (les petits) et, malgré tout, les services publics, les hôpitaux, la justice, l’école, les routes, etc., sont en déliquescence.
Le libéralisme à outrance et sans aucun frein, mis en place par le gouvernement actuel, ouvre la porte à une société basée uniquement sur le profit. Par définition, le profit est toujours réservé à quelques-uns et non à la masse. Le ruissellement clamé haut et fort ne va que dans la poche des plus forts et des plus voraces. Les autres (nous) restons sur le bord du chemin, dans l’attente des miettes qu’ils veulent bien nous laisser pour nous permettre de survivre.
Breizh-info.com : Certains élus justifient ces avantages par les responsabilités qu’ils assument. N’y a-t-il pas une part de légitimité à ce qu’un homme politique soit mieux rémunéré qu’un citoyen lambda ?
Philippe Pascot : Il y a une marge entre être mieux rémunéré et abuser des divers avantages et rémunérations qu’ils s’octroient eux-mêmes, souvent en catimini. Certains élus franchissent allègrement le Rubicon de l’indécence en se faisant rembourser trois fois leurs frais de restaurant. Il n’y a, pour rappel, qu’à se remémorer l’augmentation de leur AMFM (avance mensuelle sur les frais de mandat) en janvier 2024, d’un montant de 300 euros pour les députés (soit un total de 5 900 euros par mois en sus de leur indemnité) et de 700 euros pour les sénateurs (soit 6 600 euros par mois), alors que, dans le même temps, l’ensemble des Français ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts.
La vieille formule selon laquelle il faudrait mieux payer les élus pour qu’ils soient moins corrompus est un leurre. J’affirme, preuves à l’appui dans mes livres, que la majorité des élus qui touchent le plus sont ceux qui truandent le plus.
Les élus, dans leur ensemble, sont déjà très bien rémunérés, et beaucoup mieux qu’un citoyen lambda. On oublie souvent qu’un conseiller régional, un député, un sénateur, un maire, ou un adjoint de moyenne et grande ville bénéficie, la plupart du temps, d’avantages annexes comme le téléphone et Internet, les frais de bouche, les taxis, les voitures, les chauffeurs, etc., payés en sus de leur indemnité. Il n’y a aucune légitimité à continuer de croire que leurs « responsabilités » leur donnent droit à encore plus.
Il y a certes un réajustement à effectuer pour les conseillers municipaux (souvent bénévoles) et les maires des petites communes rurales, mais ce sont vraiment les seuls à mériter qu’on se penche sur une valorisation pécuniaire de leurs responsabilités.
Breizh-info.com : Depuis plusieurs années, des lois sur la transparence et la moralisation de la vie publique ont été adoptées. Ces mesures ont-elles changé quoi que ce soit en profondeur, ou s’agit-il d’un écran de fumée ?
Ce ne sont que des écrans de fumée sortis du chapeau pour calmer une colère populaire naissante et/ou étouffer (la plupart du temps) un scandale politico-financier découvert par des citoyens ou une presse encore libre.
Les lois « confiance et moralisation de la vie politique », mises en place depuis 2017 (et avant), sont des arnaques complètes et éhontées. La corruption de nos dirigeants politiques (et économiques) est de plus en plus importante, et les sanctions sont de moins en moins lourdes. Je pointe dans l’ouvrage quelques exemples de « pseudo » condamnations d’élus importants, comme des anciens Premiers ministres et des chefs d’entreprise sans scrupule.
Je compare, quelques pages plus loin, les condamnations de citoyens lambda pour des vols de nourriture ou des erreurs de caisse d’un centime.
Breizh-info.com : Dans votre ouvrage, vous évoquez des déclarations d’intérêts et d’activités bidons, qui permettent aux élus de cacher des conflits d’intérêts. Comment peut-on réellement contrôler ces déclarations ?
Philippe Pascot : Il faudrait des organismes indépendants qui aient les moyens de leurs contrôles et, surtout, que les sanctions soient conséquentes et appliquées. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Breizh-info.com : La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) est censée surveiller les déclarations des élus. Pensez-vous que cet organisme joue réellement son rôle, ou est-il une simple façade ?
Simple façade de pseudo-contrôle de la moralité des élus, qui n’a pas les moyens de son action.
Breizh-info.com : Pourquoi aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a réellement mis fin à ces abus ? Quelles sont les forces qui bloquent tout changement ?
Les abus sont dénoncés par tous… quand ils sont dans l’opposition. Ils en profitent dès qu’ils sont au pouvoir. Il n’y a qu’à voir les déclarations successives de tous les partis politiques, de tous les présidents de la République depuis Nicolas Sarkozy, de tous les Premiers ministres depuis Laurent Fabius sur la suppression de la Haute Cour de Justice… qui est toujours là pour « innocenter » des ministres délictueux.
Breizh-info.com : Vous avez été élu local pendant de nombreuses années. Si vous aviez eu le pouvoir de changer les règles, quelles seraient vos premières mesures pour mettre fin à ces dérives ?
- Casier judiciaire vierge pour être élu.
- Limitation des mandats et de leur cumul.
- Mise en place d’un RIC raisonnable et accessible.
- Circonstances aggravantes pour les délits d’élus.
- Inéligibilité systématique pour les délits les plus graves.
- Condamnation pécuniaire systématique à la hauteur des détournements.
- Confiscation systématique des biens mal acquis par les élus (et ceux de leur entourage).
Breizh-info.com : Certains citoyens réclament une démocratie plus directe, avec des référendums réguliers et la possibilité de révoquer les élus en cas de faute grave. Pensez-vous que cela pourrait être une solution pour assainir la vie politique ?
Philippe Pascot : Oui, à condition que cela ne devienne pas une démocratie directe pour tout et pour rien. Il ne faut pas non plus entrer dans une société de méfiance à outrance de nos élus.
Par contre, il faut renforcer les conditions de transparence dans le fonctionnement de nos élus, les actions entreprises et les dépenses de nos deniers. Un élu devrait rendre compte de ce qu’il fait entre deux élections.
Breizh-info.com : En France, on parle beaucoup d’abstention et de désintérêt croissant pour la politique. Pensez-vous que cette défiance vient en partie du sentiment d’injustice face aux privilèges des élus ?
Injustice, ras-le-bol et surtout pensée inconsciente massive que les élections ne servent à rien, car ce sont tous les mêmes… C’est exactement ce que veut la classe dirigeante et/ou dominante politique.
Ne pas voter arrange et favorise l’extension des corruptions par l’élection de plus en plus facile d’élus ripoux. La démocratie ne s’use que lorsque l’on ne s’en sert pas.
Si, depuis 1958, l’abstention hors urne servait à quelque chose, cela se saurait. En mai 2017, il y a eu le plus haut taux jamais vu de bulletins blancs et nuls dans l’urne : 12 % des électeurs. Tout le monde (médias aux ordres compris) s’est empressé de ne pas le souligner.
Le seul vote valable d’expression d’un mécontentement général du panel politique que l’on nous propose, c’est le vote blanc. L’argument suremployé, redondant et manipulatoire, est qu’il ne sert à rien. La réalité est qu’il ne sert à rien uniquement car il n’y en a pas assez.
Le jour où les bulletins blancs et nuls sur un vote dépasseront les exprimés, ils seront obligés de changer et d’en tenir compte pour les élections suivantes.
Breizh-info.com : Votre ouvrage dénonce un système profondément enraciné. Pensez-vous qu’il soit encore possible de changer les choses de l’intérieur, ou seule une révolte populaire pourrait inverser la tendance ?
Philippe Pascot : Une révolution se fait toujours dans la violence, qui se veut légitime au début et devient vite incohérente et aveugle par la suite.
Le meilleur moyen, aujourd’hui, c’est encore d’aller voter en éliminant systématiquement les élus corrompus et/ou en votant blanc et/ou en entrant dans les conseils municipaux.
Le citoyen doit redevenir acteur et non simple consommateur passif de la démocratie.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : Gérard Larcher, président du Sénat, qui a acheté un siège pour 34 000 euros de fonds publics. (Wikipedia)
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4 réponses à “Philippe Pascot ( PILLEURS D’ETAT, ENCORE ET ENCORE) : « Tous les parlementaires ne sont pas corrompus mais il est de plus en plus difficile d’être un élu intègre » [Interview]”
Les heureux élus sont à vomir !
Le fait de profiter d’avantages légaux « abusifs » n’est pas réservé aux élus. Ma carrière dans la fonction publique d’état m’a permis de constater, qu’une bonne majorité des collèges qui dénoncent à longueur de journée les avantages des élus décrits ci-dessus n’ont plus aucun scrupule quand il s’agit de participer aux cérémonies de vœux, galette des rois, inaugurations, événements divers et variés avec buffets gracieusement offerts avec les derniers de la France ou quand on leur propose de changer leur mobilier de bureau encore en excellent état. Je passe donc pour en pisse-vinaigre ou pire, un traître, quand je refuse cela et ai droit à la phrase : « ben pour une fois qu’on en profite » et à l’argumentation de que cela ne représente pas de grosses sommes. Sauf que de petites sommes multipliées par des millions de fonctionnaires risquent de représenter plus que de grosses multipliées par des dizaines de milliers de grands élus.
Et je ne me fais pas d’illusions, la majorité de ceux du privé qui vont approuver mon propos ferait la même chose si elle passait au public.
Le français n’est pas soucieux des finances de la France, il est juste jaloux de ne pas en récolter une plus grosse part.
Bonjour ,il est grand temps de dégraisser l’état comme Javier Milei et aussi comme Trump sinon la rue va finir par être la seule solution.
18.245 € de frais d’obsèques ? Les poignées et clous du cercueil sont en plaqué or ?