Depuis la publication des résultats de la nouvelle enquête sociolinguistique commandée par le Conseil Régional de Bretagne (concernant les quatre départements bretons administratifs, et sans la Loire-Atlantique donc) et réalisée fin 2024, certains membres du mouvement breton crient au « génocide culturel » et dénoncent « l’inaction » de la région. Cependant, la réalité semble plus complexe.
Revenons d’abord sur la genèse de cette enquête (à lire en intégralité ici) : le Conseil Régional a mandaté l’institut de sondage TMO pour interroger, par téléphone, 8 336 personnes résidant dans les cinq départements de la Bretagne historique (29, 44, 22, 56, 35). Ces participants, sélectionnés au hasard, ont répondu à des questions sur leur connaissance, leur usage et leurs souhaits concernant les deux langues régionales de Bretagne : le breton (brezhoneg), d’origine celtique et traditionnellement parlé à l’ouest de la péninsule, et le gallo (galo), une langue romane souvent appelée « patois » par ses locuteurs, utilisée historiquement à l’est de l’Armorique.
En Bretagne, on distingue généralement deux grandes zones historiques : la « Basse-Bretagne » à l’ouest, où l’on parle le breton, et la « Haute-Bretagne » à l’est, où le gallo est plus répandu. Bien entendu, en 2025, la langue dominante reste le français, les langues régionales étant reléguées, pour la plupart, à des usages privés ou occasionnels, mais pas uniquement.
1/ Une chute vertigineuse du nombre de locuteurs de breton et de gallo
Premier enseignement : Le nombre de locuteurs de breton s’est effondré. Par rapport à 2018, date à laquelle une première enquête de ce genre avait été menée, il y aurait aujourd’hui deux fois moins de bretonnants ! (107 000). Rien d’étonnant à cela : l’immense majorité des personnes maîtrisant le breton recensées sont des « locuteurs natifs traditionnels » dont l’ultime génération est née dans les années 50. Ces sexagénaires, octogénaires, nonagénaires et centenaires sont appelés à s’éteindre massivement cette prochaine décennie.
D’ici 2031 et la prochaine enquête sociolinguistique, il ne restera donc plus que les néo-locuteurs (ayant appris à l’école ou en cours du soir) et de néo-natifs (élevés dans les rares familles de couples ayant appris la langue et décidé de faire du breton la langue de la famille et donc de la transmettre à leurs enfants).
Ces locuteurs plus ou moins « néos » ayant appris le breton sur les bancs de Diwan ou en stage de 6 mois (les « néo-natifs » sont aujourd’hui très peu nombreux mais ils existent) sont tout aussi honorables qu’un grand-père à casquette ayant appris le français sur les bancs de l’école publique, mais le wokisme est passé par là et beaucoup d’entre eux ne seront que des fruits secs ne désirant pas faire d’enfants pour transmettre la langue.
Malthusianisme « climatique », « féministe » (« la maternité est une aliénation pour la femme ») ou « carriériste », le mouvement de renouveau du breton n’est pas animé par un esprit familial semblable à certaines communautés extra européennes par exemple, ce qui est fortement inquiétant pour l’avenir de la langue. En effet, à quoi cela peut-il bien servir d’apprendre et de parler le breton si le néo-locuteur en question ne transmet sa langue à personne ou juste à un seul enfant ?
En deux générations, cet investissement dans l’apprentissage est donc totalement annulé.
Mais cette question fondamentale est, aujourd’hui, totalement inaudible dans le milieu bretonnant pénétré de wokisme. Seule bonne nouvelle : les gauchistes n’auront pas (ou peu) de descendance, c’est déjà ça !
Concernant le gallo, la chute de ses locuteurs est beaucoup moins importante (132 000 locuteurs contre 191 000 il y a dix ans) mais il s’agirait de s’interroger sur la qualité du gallo des personnes interrogées. Quelques mots saupoudrés dans un discours en français ou quelque chose de plus consistant ? Quoi qu’il en soit, ces dernières années ont vu un surprenant réveil de cette langue romane, marginalisée jusqu’alors dans le narratif bretonniste, avec des nouveaux militants plutôt motivés.
A voir sur le long terme.
Pour ne pas désespérer Landerneau, le Conseil Régional de Bretagne argue que l’âge moyen des locuteurs de breton rajeunit. Effectivement, avec autant d’argent mis dans les écoles Diwan ou les classes bilingues privé/public depuis bientôt 50 ans, ce serait un comble si les effets ne s’en faisait pas sentir aujourd’hui ! Mais nous reverrons cette question plus loin.
Bien évidemment, sur les réseaux sociaux, les acteurs habituels du mouvement breton hurlent contre « l’Etat », « le Conseil Régional », « le manque de moyens », la « dictature linguistique », « le jacobinisme ». Le point cocasse de l’histoire est que l’immense majorité d’entre eux le font en français, les messages en breton commentant cette étude sur les groupes habituels d’Instagram, de Telegram ou de Facebook sont une toute petite minorité, ne parlons pas du gallo qui semble inexistant. En clair, si la totalité des habituels braillards contre « l’Etat jacobin » apprenaient le breton, la perte de milliers de locuteurs serait peut-être moins marquée.
Mais là où le bas blesse c’est que, wokisme oblige et terreur idéologique habituelle du mouvement breton oblige, aucun chagriné ne mentionne la page 6 de l’étude consacrée aux départements d’origine des personnes interrogées.
35% des personnes interrogées sont nées hors de Bretagne ! 5 points de plus qu’il y a 6 ans. Une règle de trois et les mathématiques nous enseignent qu’à ce rythme-là, en 2103, il n’y aura plus aucune personne habitant la Bretagne natif de Bretagne ! Alors bien sûr, ce calcul est caricatural mais la tendance est là. Il serait donc temps que le mouvement breton cesse son déni sur le sujet : combien reste-t-il de Bretons, dont les grands-parents étaient bretons, qui sont susceptibles d’avoir un rapport affectif avec le breton ou le gallo en Bretagne en 2025 ? De moins en moins…
Bien entendu, la Bretagne fabrique des Bretons, des individualités qui s’attachent à la culture bretonne, aux langues de Bretagne mais ce ne sont que des individualités, le moteur principal de ceux qui apprennent le breton ou le gallo et qui mettent leurs enfants dans des classes bilingues reste ultra-majoritairement lié à l’héritage familial, une « grand-mère qui parlait breton », un « grand-père paysan de Fougères qui « kawzait »« .
Les retraités français installés sur nos côtes, les bobos télétravail rennais ou nantais qui ont fui la région parisienne et prennent le train une fois par semaine pour travailler dans la Tech n’apprendront jamais nos langues car elles ne leur servent à rien. Cela, le mouvement breton l’a plus ou moins compris.
Parce contre, ce qu’il refuse de voir c’est que les extra-européens s’installant massivement en Bretagne et ce jusque dans les plus petites villes ne viennent pas, dans leur esprit, en « Bretagne » mais bien en « France ». Et la langue de la France, la langue utilitaire pour le travail et comprendre comment notre système fonctionne, c’est le français, pas le breton et encore moins le gallo.
Le breton qui ne sert, au jour d’aujourd’hui, qu’à travailler dans la petite enfance ou l’enseignement ne les intéresse pas. Et ne les intéressera jamais.
2/ Des nouveaux locuteurs de breton ayant appris à l’école
Le deuxième enseignement majeur a tirer de cette enquête est que la moyenne des locuteurs de breton rajeunit : 58,5 ans (contre 70 ans en 2018).
Là encore, on voit l’effet positif de la scolarisation en breton. Le seul bémol à ce « rajeunissement » est que ce sondage est déclaratif. Certaines familles peuvent avoir déclaré que leur enfant parlait breton parce qu’il était scolarisé, de fait, en bilingue mais, eux-mêmes n’étant souvent pas bretonnants, ils sont bien incapables d’évaluer le niveau réel de leur enfant. Car en écoles privées ou publiques bilingues, beaucoup d’enfants ne parlent pas réellement breton et l’oublient très vite s’ils ne poursuivent pas au collège et au lycée. La seule garantie qu’un enfant soit réellement brittophone est qu’il ait été scolarisé entièrement en breton (Diwan) jusqu’au collège, voir au lycée. Le tabou de la qualité de la langue des néo-bretonnants reste encore très fort au sein du mouvement breton.
En clair, mécaniquement, il y a un réel rajeunissement des bretonnants grâce aux écoles mais la qualité de breton de ces derniers et leur capacité à exprimer tous les champs de la pensée en breton est largement à discuter.
On peut comparer cela aux anglophones en France : théoriquement, 100% des Français ayant été au moins au collège sont « anglophones » grâce aux cours systématiques dans le cursus scolaire, dans les faits, combien de Français sont réellement capables de discuter normalement en « queen’s english », qui de plus est avec un anglophone natif ?
Le « motif de satisfaction » du rajeunissement diffusé à l’envie par le Conseil Régional depuis le 20 janvier est donc largement à prendre avec des pincettes.
3/ Des langues encore très territorialisées
Depuis de nombreuses années, on entend une petite musique au sein du mouvement breton : « la Basse-Bretagne et la Haute-Bretagne n’existent plus, aujourd’hui le breton doit être présent et enseigné partout, de Brest à Clisson ». Tout d’abord, cette pensée magique fait fie du gallo qui n’a, de toute façon, jamais été aimé dans un « Emsav » largement à gauche mais très sourcilleux sur la pureté celtique de la Bretagne. Paradoxe habituel de la Gauche qui, fait étrange, ne dédaigne pas, par ailleurs, de réclamer des droits pour « les langues de l’immigration » même dans le domaine de l’Education. De l’arabe, oui mais du gallo, surtout pas ! Comprenne qui pourra…
Malheureusement pour tout ce « monde comme si », l’enquête socio-linguistique ramène un peu de raison dans le débat :
Le breton est donc encore très largement l’affaire de la Basse-Bretagne et de ses bastions du Léon, du Kreiz Breizh et du Trégor et non de Rennes ou de Nantes où l’on compte à peine 1% de locuteurs.
L’origine sociologique des responsables actuels de la politique linguistique explique peut-être ce mot d’ordre : alors que dans les années 70 la mode dans le milieu breton était de se laisser pousser les cheveux, de reprendre les sabots du grand-père et de prôner le retour à la terre, tel Alan Stivell emménageant à Langonnet, la mode des années 2000 est plutôt de s’habiller en avocat d’affaire ou en bobo urbain et de vivre à Rennes et Nantes ou alentours.
Illustration : Loin de ses aventures morbihannaises et rurales, Stivell le chantre du celtisme vit depuis plusieurs années dans une banlieue chic et mondialisée de Rennes. Ces « néos » n’ont, bien souvent, aucun rapport avec les bretonnants traditionnels des villages de Basse-Bretagne et s’en fichent comme de leur première carte d’emprunt de livres à la médiathèque des Champs Libres. Leur environnement est urbain et ils comptent bien « bretonniser » cet environnement. En vain puisque presque 30 ou 40 ans après cette tendance, on compte toujours à peine 1% de bretonnants à Rennes et autant à Nantes même si, dans ce cas de figure, le chiffre peut prêter à sourire.
Une illustration de cette étrangeté bretonne est la polémique née en 2024 sur la traduction de la BD « les Algues Vertes » en breton ou « Troidigate. La traduction originelle avait été faite par un jeune journaliste bretonnant très impliqué dans son terroir et pratiquant un excellent breton trégorrois (c’est un voisin de surcroît !) mais cette version n’avait pas plu à l’éditeur, en ajoutant à cela quelques questions de retard et de bouclage du travail. Par conséquent celui-ci avait fini par confier la retraduction de l’ouvrage à des brittophones nantais (le locuteur de breton de Basse-Bretagne est un « bretonnant », celui de Haute-Bretagne est bizarrement un « brittophone ») ne côtoyant pas plus que ça des locuteurs natifs et, surtout, employant un breton « déterritorialisé » un peu mâtiné de charabia parfois. Mais c’est ce breton, sans plus aucune attache avec les terroirs de Basse-Bretagne qui plaît aux éditeurs et aux responsables actuels de la politique linguistique.
Au regard des discussions actuelles sur les réseaux sociaux, le mythe de la conquête des villes de Haute-Bretagne pour le breton a encore de beaux jours devant lui alors que des cantons entiers de Basse-Bretagne où les derniers bretonnants de naissance ont un héritage à transmettre n’ont pas d’école bilingue ou monolingue. Comme une sorte d’expérience sociale à ciel ouvert de type soviétique (la création du « brittophone nouveau »). Tout cela avec de l’argent public, hélas !
4/ Un usage plus fréquent et plus normalisé du breton
Malgré ces critiques sur les néo-brittophones urbains souvent hors-sol, on peut leur reconnaître une qualité : celle de pratiquer la langue ! Illustration avec la page 26 de l’enquête sociolinguistique :
En effet, selon la terminologie « socio » choisie, les « dynamiques d’usage » montrent une hausse de 2 points de l’utilisation normalisée (« tous les jours ou presque + au moins une fois par semaine ») de la langue. Et là, on ne peut attribuer cette performance qu’aux néo-bretonnants qui élèvent leurs enfants en breton, parlent breton (très fort pour se faire remarquer) dans les lieux publics, notamment urbains, et « consomment » du breton (films, dessins animés pour les enfants, livres).
Cette petite hausse de 2% est une très bonne nouvelle pour le futur du breton qui, ainsi, reste une langue vivante même s’il faut relativiser tout cela car le « tous les jours ou presque » de cette étude ne concerne, dans ce sondage, que 14% de 307 locuteurs actifs, c’est à dire… 43 personnes ! (sur un panel total de 8336 personnes interrogées). Ramené à 4 850 000 habitants en Bretagne, cela donnerait 25 000 locuteurs actifs et quotidiens de breton en Bretagne. Si on enlève les 70 ans et plus cela montre donc à quoi ont servi presque 50 ans de Diwan, Div Yezh et Dihun/Divaskell. Où sont passés les centaines de milliers d’enfants formés depuis 50 ans ? Ont-ils fondés des familles brittophones ? Ont-ils continué à employer le breton après leur scolarité ?
La question mérite tout de même d’être posée ! Aujourd’hui, il y a 20 000 enfants qui apprennent le breton dès la maternelle. En sachant que chaque année, il y en a des nouveaux et ce depuis 1977, on est en droit de se demander quelle langue parlent quotidiennement ces milliers d’ex-élèves aujourd’hui, sachant que, « néos ou tradis » confondus, il n’y a que 25 000 locuteurs de breton quotidien ?
Dépenser autant d’argent et d’énergie pour former des « brittophones » qui n’utilisent pas la langue, cela pose tout de même question ! Malheureusement, tout cela ne semble absolument pas préoccuper le mouvement breton qui continue sur sa lancée comme si de rien n’était. Le problème c’est « l’Etat jacobin », « la mauvaise volonté de Loïg Chesnais-Girard » ou « le manque de moyens » pas les choix du mouvement breton dont certains sont pourtant fort discutables.
5/ Une « envie de breton » qui ne décolle pas
Humiliation pour le monde du breton : en page 40, « l’envie de breton » ne décolle pas ! Au contraire, il baisse même dans plusieurs domaines. Peut-être faut-il voir là-dedans l’absence de perspective d’un « mieux social » si l’on apprend le breton (contrairement à ceux qui apprenaient le français dans la première moitié du XXè siècle) et d’un désintérêt de la part des populations allogènes s’installant en Bretagne. Là encore, il y a une réflexion à mener. Pourquoi ne pas étudier « l’envie de plus de breton » aux Dervallières à Nantes ou à Pontanézen à Brest ou dans les bronzodrome de la côte sud morbihannaise où les Bretons ne peuvent plus acheter de biens ?
Etrangement, le gallo s’en tire mieux (résultat de la politique volontariste menée ces dernières années ?) même si les résultats sont à pondérer car beaucoup d’habitants de Bretagne ne savent même pas que le gallo existe. Là encore, les militants du gallo devraient s’interroger sur les motivations langagières de ces nouvelles populations s’installant dans les deux grandes villes de « Hawte-Bertaigne ».
Ce sondage n’appelle malheureusement pas à l’optimisme concernant les langues de Bretagne. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue que chaque breton en Bretagne peut (doit ?) apprendre sa langue, et la transmettre à ses enfants, pour, demain, un renouveau.
Crédit photo : Cartes et données TMO/Conseil régional de Bretagne
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Une réponse à “Langues de Bretagne : les tabous de la nouvelle enquête socio-linguistique explosive”
Le problème étant que si une langue est dispensable, elle s’éteindra inévitablement. Pour que les bretons reviennent à leurs langues, il faut avant tout que la province de Bretagne, tous services publics de Bretagne soit uniquement en breton et peut-être aussi en gallo. Vous n’apprendrez pas l’anglais en restant en France, vous l’apprenez dans un pays anglophone car cela vous force à le comprendre.