Les villes petites et moyennes veulent copier les métropoles. D’où ce spectacle désolant qui défigure les quatre voies (Nantes-Rennes, Rennes-Brest, Nantes-Quimper). Les élus sont rendus malades par le béton et le goudron. Comme si leurs indemnités étaient indexées sur le montant des travaux.
Depuis la loi Maptam (Loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles) de 2024, œuvre de François Hollande, la Bretagne est “riche“ de trois métropoles : Brest, Nantes et Rennes. La première compte 213 403 habitants (8 communes), la deuxième 683 981 habitants (24 communes) et la troisième 473 973 habitants (43 communes). Dans son ouvrage L’impasse de la métropolisation (Le Débat, Gallimard), Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, analyse cette tendance lourde de nos sociétés. « Par étapes, depuis les années 1970, le territoire français a été gagné par le phénomène mondial de la métropolisation, né aux Etats-Unis. Il s’agit de la concentration des richesses, des classes aisées et des activités tertiaires au cœur de très grandes agglomérations, un phénomène qui recompose la société postindustrielle (…) La métropolisation est une modalité du capitalisme néolibéral, présentée en idéal politique et de civilisation. L’idéologie dominante la pare de vertus morales imposées par les gagnants de la mondialisation. »
Quelques rappels sont utiles. Ainsi, de 1968 à 2020, l’agglomération nantaise a cru de 240 000 habitants et celle de Rennes de 210 000 habitants. On peut noter également que ce modèle sert de référence aux élus et aux exécutifs locaux. Heureuse initiative, Pierre Vermeren consacre un chapitre à la Bretagne. « Le cas de la Bretagne est emblématique d’une région grignotée méthodiquement par la métropolisation. Certes, il existe des facteurs de résistances et de rejet, comme l’ont prouvé la révolte des bonnets rouges et la crise de Notre-Dame-des-Landes. Mais les élus locaux semblent fascinés par ce modèle d’organisation, et ils tentent d’en capter les externalités positives. Plusieurs raisons pour cela. La Bretagne, depuis le XIX° siècle, est connectée à Paris par de nombreux flux migratoires et humains. Des millions de Bretons ont vécu ou séjourné à Paris. Certains y ont fait fortune et sont au faîte des élites économiques françaises. Nombreux sont ceux qui sont rentrés au pays lors de la désindustrialisation, mais restent marqués par leur expérience. Enfin, plusieurs milliers de Bretons d’Ile-de-France rentrent en Bretagne lors des vacances ; parmi eux, les catégories aisées veulent y trouver le confort et les loisirs auxquelles elles sont habituées. Or la Bretagne est la seule région de France dont deux villes, Nantes et Rennes, relativement proches, sont d’authentiques métropoles, dont elles ont à la fois toutes les caractéristiques et les symptômes.
Les migrations « internationales » favorisent les métropoles
A partir et autour de ces métropoles, le phénomène semble contaminer par cercles concentriques une grande partie de la Bretagne. S’agit-il d’une simple modernisation ? Le mimétisme et la contamination physique du modèle vont au-delà. Une partie croissante du territoire breton vit sous commandement de ses deux métropoles. Cela concerne les infrastructures et le bâti, qu’il soit économique, touristique, industriel ou de loisirs. La Bretagne est assez densément peuplée et en forte croissance démographique – à cinq départements, elle s’approche des cinq millions d’habitants. Cela tient, notamment, au rattrapage migratoire de la Bretagne. Peu touchée par l’immigration internationale jusqu’à la fin du XXe siècle, sauf peut-être à Nantes, les élus et l’Etat ont œuvré à rattraper cette “anomalie“ nationale, ce qui a intensifié la croissance de Nantes, Rennes et Brest ; depuis les années 2010, les villes moyennes du littoral breton sont à leur tour affectées, recevant les familles modestes chassées de ces villes et des immigrants. Migration de cadres, d’étudiants, tourisme de masse et désormais migrations internationales (essentiellement africaines), la Bretagne s’est offerte à la métropolisation.
Chaque municipalité a de grandes ambitions
Alors que toute la France se pare de vertus écologiques, on assiste en Bretagne depuis 1990 à une seconde modernisation – la première datant des années 1960. La métropolisation de Rennes et Nantes a entraîné un impressionnant mitage urbain qui a contaminé les zones rurales périphériques, bourgs et petites villes sur de longues distances. Une ceinture touristique et résidentielle dense a conquis le littoral de Loire-Atlantique et du Morbihan, au moins jusqu’à Carnac. Puis toutes les villes moyennes se sont dotées de zones d’activités considérables au regard de leur taille et de leur économie. Saint-Malo, avec 46 000 habitants, a une superficie égale au tiers de Paris. Saint-Brieuc, avec une aire urbaine de 94 000 habitants, est plus étendue que Paris (17 km2 de plus). Brest, pour 110 000 habitants, a une aire urbaine équivalente au double de Paris. Or pour d’étranges raisons – faire comme les métropoles et en imposer -, ces territoires font l’objet d’une incroyable compétition : infrastructures, activités artisanales, résidentielles, industrielles, agricoles, touristiques, logistiques, administratives, commerciales, etc, elles se sont lancées dans l’occupation extensive de l’espace De petites villes comme Saint-Malo ou Saint-Brieuc sont devenues de véritables agglomérations Potemkine, ou du moins distordues, ceinturées de zones commerciales et d’activités. En 2020, Saint-Brieuc vient de se doter d’une deuxième rocade autoroutière, comme Paris ! Le surinvestissement et la bétonisation, loin de régresser depuis Notre-Dame-des-Landes et l’Accord de Paris sur le climat (2016), s’accélèrent.
Pire, sur les deux rocades bretonnes, la nord et la sud, qui vont de Rennes à Brest, les communes traversées font un concours d’exposition de leurs activités : chacune, même les petits bourgs, rivalise de zones d’activités le long des voies, où elle expose des hangars, commerces et entrepôts pour montrer sa vitalité économique, même en trompe-l’œil. Le spectacle est saisissant, parfois pendant des kilomètres entiers. En 2020, la petite ville de Lamballe dans les Côtes-d’Armor, qui grossit en absorbant les bourgs voisins vient de créer une vaste zone d’activité le long de la RN 12, au mépris des injonctions gouvernementales à la lutte contre l’artificialisation des sols. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Les petites communes s’y mettent
Même dans les plus petits bourgs, le long des routes départementales, dans les villages côtiers de Plurien et Fréhel ou à l’entrée de la station balnéaire d’Erquy, les municipalités construisent, à population constante ou presque, ronds-points, zones commerciales, parkings démesurés, zones d’activités ou pavillonnaires. En 2020, on y bétonne tant que possible. L’idée du béton et du macadam salvateurs, même sans croissance, s’est emparée de toute la Bretagne à la suite de ses métropoles. Celles-ci sont devenues le modèle du développement : les autres communes s’en inspirent pour accueillir (ou non) les populations chassées par la spéculation et l’immigration qui pèsent sur les métropoles, et démultiplier à l’infini des activités autrefois contenues ou cachées. Or cette croissance extensive repose sur le gaspillage des espaces plus que sur des progrès humains et techniques, entamant de manière irrémédiable le patrimoine hérité. »
Depuis la sortie de L’impasse de la métropolisation en mars 2021, les maires ont continué allègrement à pratiquer la religion du béton-goudron – c’est plus fort qu’eux… Actuellement, le conseil départemental du Morbihan envisage de goudronner la voie verte Guer-Questembert… Pierre Vermeren pourrait donc entreprendre la rédaction d’une version actualisée de son ouvrage.
Bernard Morvan
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Une réponse à “La métropolisation ne rend pas service à la Bretagne”
Bonjour,
Et chez nous, le reste des routes n’est même pas entretenu. Il faut construire pour construire.
Sur les effets de la métropolisation à nantes, mais qui est instructif pour tout le monde en france, voir le très bon documentaire de Dominique Marchais « la ligne de partage des eaux » : https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/40834_1
Cdt .
M.D