En choisissant de citer le Désert français de Jean-François Gravier comme unique référence pour évoquer les enjeux territoriaux, François Bayrou s’est attiré la critique de Thibaut Sardier dans Libération. Si cet article pointe avec justesse les limites de cette référence datée, il n’en demeure pas moins que la critique de Sardier révèle des angles morts tout aussi significatifs. Voici quelques réflexions à ce sujet.
Beaucoup a été fait depuis 1947
Il est vrai que la situation de la France en 2025 ne peut être comparée à celle de 1947. Depuis la publication du livre de Gravier, des avancées significatives ont permis de rééquilibrer les relations entre Paris et les régions et sortir d’un schéma centralisateur hérité de la Révolution française et dont la Bretagne a été une des principales victimes.
L’instauration des régions par François Mitterrand, bien que partielle, a représenté un pas important vers une meilleure prise en compte des spécificités territoriales. Mon père, Olier Mordrel, avait soutenu cette initiative, voyant en elle un premier pas pour redonner vie aux nations périphériques tout comme aux régions françaises, trop longtemps dominées par le centralisme parisien.
Des projets comme les villes nouvelles de l’ère gaulliste, le développement des métropoles régionales (Lyon, Bordeaux, Marseille, Rennes, Nantes) et la montée en puissance de la décentralisation ont contribué à corriger en partie les déséquilibres dénoncés par Gravier. Ces avancées doivent être reconnues, même si elles sont loin d’avoir résolu toutes les disparités car les esprits restent encore foncièrement centralisateurs et francocentrés.
Le défi démographique, un tabou persistant
L’un des grands absents de l’analyse de Thibaut Sardier, tout comme du discours de François Bayrou, est la transformation démographique et culturelle de la France. À l’époque de Gravier, les «barbares» mentionnés étaient des Polonais, Italiens et Espagnols, venus compenser un déficit de natalité dans les campagnes françaises. Ces populations se sont intégrées avec succès et font aujourd’hui partie intégrante du tissu social hexagonal. La Bretagne, par soin dynamisme démographique d’alors a échappé en grande partie à cette immigration européenne.
Cependant, leur place a été prise par des flux migratoires afro-musulmans, arrivés en quantité bien supérieure. Contrairement aux vagues d’immigration européenne du début du XXe siècle, ces nouvelles populations posent des défis bien plus complexes, liés à des différences culturelles et religieuses marquées mais aussi à l’effet de masse de leur présence.
Ni Bayrou ni Sardier ne font mention de cet enjeu majeur, pourtant central dans les tensions actuelles entre campagnes, périphéries et métropoles. La fracture entre ces territoires ne se résume plus à des disparités économiques ou administratives ; elle est aussi ethno-culturelle. Ignorer cet aspect revient à esquiver une partie essentielle du problème.
Les critiques ad hominem, une impasse intellectuelle
Thibaut Sardier reproche à Jean-François Gravier ses sympathies maurrassiennes et pétainistes, tout en minimisant l’impact réel de son œuvre sur les politiques publiques. Si les convictions personnelles de Gravier peuvent éclairer son travail, les réduire à des attaques sur l’homme plutôt qu’à une analyse de ses idées est une approche contre-productive.
Ce type de critique reflète une tendance bien ancrée dans la gauche : disqualifier l’adversaire en le plaçant dans une catégorie morale disqualifiante plutôt que de débattre sur le fond. Cela ne fait que nourrir la méfiance envers les élites intellectuelles et leur incapacité supposée à répondre aux préoccupations des citoyens.
L’oubli du Grand Remplacement
Enfin, ni François Bayrou ni Thibaut Sardier n’évoquent la mutation démographique désormais popularisée sous le terme de Grand Remplacement qui reflète une réalité perçue par une partie croissante de la population.
La détestation des métropoles par une partie des habitants des campagnes ou des périphéries repose aujourd’hui bien davantage sur des questions identitaires que sur des griefs purement économiques ou administratifs. La montée d’un ressentiment ethno-culturel est un phénomène trop visible pour être ignoré.
Thibaut Sardier en focalisant le débat sur des références historiques ou des caricatures idéologiques, passe à côté de l’essentiel : comprendre comment les transformations démographiques et culturelles redéfinissent les relations entre territoires, notamment les nations périphériques comme la Bretagne ou la Corse. Grâce au mouvement Palatin, cette dernière donne les premières signes d’une révolte ethnique contre la perte d’identité face à l’ennemi traditionnel.
Conclusion : un débat incomplet
Si l’on peut critiquer François Bayrou pour avoir invoqué Le Désert français sans tenir compte des changements profonds survenus depuis 1947, on peut tout autant reprocher à Thibaut Sardier et à Libération de ne pas aller au-delà d’une lecture idéologique et de taire comme d’habitude les véritables fractures qui traversent la France contemporaine.
Les enjeux territoriaux ne peuvent être correctement abordés sans considérer l’impact de l’immigration de masse, des tensions identitaires et des transformations culturelles. Continuer d’ignorer ces questions, ou se réfugier derrière des accusations simplistes, ne fait que prolonger l’aveuglement collectif des élites françaises face à une réalité de plus en plus difficile à masquer. Les Bretons doivent sortir de ce piège pour survivre en tant que nation, mais leurs choix politiques ne les y aident pas.
Trystan Mordrel
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