En 1629, le naufrage du Batavia constitue sans doute la page la plus terrifiante de l’histoire maritime. Une somptueuse bande dessinée nous dévoile un récit effroyable où se sont mêlés mutinerie, naufrage, massacre et instinct de survie.
En 1628. A Amsterdam, la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales choisit Francesco Pelsaert, explorateur et commerçant, pour établir une relation de confiance avec le grand Moghol de Java. L’objectif est de créer un comptoir lucratif pour le commerce d’épice. A cette fin, le navire Batavia (rebaptisé Jakarta dans l’album), fleuron de l’immense flotte de la Compagnie néerlandaise, trois-mâts de 45 mètres de long, va transporter vers l’Océan Indien des coffres remplis de 300 000 florins en pièces d’or et d’argent. Mais Pelsaert doit composer avec le rustre capitaine Arian Jakob et son second, Jeronimus Cornelisz. Cornelisz, apothicaire ayant fait faillite, compte bien profiter de cette expédition pour mettre la main sur l’or qui se trouve dans les cales. Le navire embarque également le belle Lucrétia Hans, une noble, le matelot Wiebbe Hayes, ainsi que 320 personnes, dont 20 femmes. Les deux tiers sont des marins et des soldats, les autres des colons dont certains sont issus de la misère et de la criminalité d’Amsterdam. Dans ce voyage long et périlleux, les conditions de vie sont déplorables. Privations, maladies, coups de fouet sont le lot des marins. C’est alors que Cornelisz organise une mutinerie pour prendre possession du navire…
Le 4 juin 1629, en pleine tempête, le navire s’échoue sur un récif des îles Abrolhos, au large de l’Australie. Pour les 200 survivants, la vie s’organise, avec la recherche de nourriture et d’eau. Pelsaert part avec un équipage, dans une grande chaloupe, pour chercher des secours. Mais sur l’île, Cornelisz, en tant que plus haut gradé, prend le commandement. Il rassemble armes, nourriture et eau sous sa seule garde Son plan ? Massacrer la majeure partie des naufragés, ne garder avec lui que quelques fidèles, et enfin attaquer le navire de secours. A cette fin, il envoie une partie des survivants sur des îlots où il n’y a rien à manger ni à boire ! Tenaillés par la faim et la soif, ceux qui restent hésitent entre combattre ou rallier les disciples du tyrannique Cornelisz. Seule Lucrétia mène la résistance…
Ce drame historique est bien connu grâce au témoignage de survivants, notamment de Pelsaert, aux rapports d’enquêtes de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et aux études réalisées sur l’épave. Il a déjà fait l’objet de romans (L’archipel des hérétiques de Mike Dash et Les naufragés du Batavia de Simon Leys) et d’une bande dessinée. En effet, de 2008 à 2010, Christophe Dabitch et Jean-Denis Pendanx racontaient déjà dans la superbe trilogie Jeronimus le drame du Batavia, dont une intégrale vient de sortir aux éditions Futuropolis. Chaque case de Pendanx ressemblait à un petit tableau.
Le drame du Batavia fait ainsi l’objet d’une nouvelle bande dessinée : 1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta.
Le scénariste Xavier Dorison, né à Paris en 1972, est diplômé d’une école de commerce (l’ESLSCA). Pendant ses études de commerce, il réalise le festival BD des grandes Ecoles. Puis il travaille à la Banque Barclays Corp. En 1997, il scénarise Le Troisième Testament, avec le dessinateur Alex Alice et connaît le succès. Ceci lui permet d’enchaîner Sanctuaire (en 2001) avec Christophe Bec, Long John Silver (en 2007) avec Mathieu Lauffray, W.E.S.T. (en 2003) avec Christian Rossi, Undertaker (en 2007) avec Ralph Meyer, Le Château des animaux (inspirée de La Ferme des animaux de George Orwell) avec Félix Delep en 2019, et même Goldorak en 2021.
Xavier Dorison a voulu mettre en évidence le thème de la soumission, les soumis du tome 1 devenant les terrifiants maîtres du tome 2. Il se dit passionné par ce sujet qui permet de réfléchir sur notre société. Il considère que « le voyage en mer est une métaphore incroyable d’un libéralisme et d’un capitalisme totalement aveugle quand le récit de survie – qui sera le second tome – est un parfait exemple de la sauvagerie à laquelle peut conduire un effondrement soudain des règles et des normes. L’idéal rousseauiste de l’homme libre et l’apologie de la Société régulatrice de Hobbes s’y retrouvent renvoyées dos à dos » (dossier de presse du tome 1). Il romance quelque peu l’Histoire pour mieux servir son intrigue, et révéler la noirceur de l’âme humaine. Il se dit « fasciné de voir comment un petit groupe de gens déterminés et violents réussit à prendre le contrôle d’un grand groupe de gens qui auraient pu leur tenir tête » (Casemate novembre 2024, p. 83). La dureté du capitaine du batavia n’est rien par rapport à la folie meurtrière de Cornélius lorsque celui-ci prend le pouvoir.
Le dessinateur Timothée Montaigne, né à Roubaix à 1982, a étudié le dessin à l’Institut Saint-Luc de Tournai, puis à l’école Pivaut de Nantes. Il commence par assister Mathieu Lauffray pour la colorisation du tome 1 de Long John Silver. Puis il publie ses premiers albums (Le Cinquième Évangile avec Jean-Luc Istin) et poursuit les séries Julius (le préquel du Troisième Testament) et Le Prince de la nuit.
Dans le premier tome, Timothée Montaigne, même s’il n’a jamais navigué à la voile, alterne scènes en pleine mer et huis clos très angoissants dans les entreponts du Jakarta. Après avoir visité une réplique de ce navire près d’Amsterdam, il en a construit une maquette pour créer un grand récit maritime. Son découpage dynamique, parfois composé de pleines pages et de doubles planches, donne du rythme au récit.
Dans le second tome, il crée une ambiance de terreur sous le soleil de ces îles désertes. Seul le décor est paradisiaque. La vie des rescapés est un enfer. En plus du manque d’eau et de nourriture, ils vont subir la folie meurtrière du nouveau chef : Cornelisz. Le dessinateur parvient à révéler la bonté des uns et la folie des autres en se concentrant sur les yeux de ses personnages.
La superbe colorisation de Clara Tessier, dont c’est le premier album, crée une atmosphère correspondant parfaitement au ton du récit.
Pour ce chef d’œuvre de la bande dessinée, les éditions Glénat ont soigné la présentation : deux albums de 130 planches en très grand format, une couverture texturée en bichromie noir et dorée et un épais papier glacé.
1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, t. 1 L’Apothicaire du diable, 136 pages, 35 euros, t. 2, L’Île rouge, 144 pages, 35 euros. Editions Glénat.
Kristol Séhec.
Crédit photo : DR
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