Que veut Vladimir Poutine ? par J.L. Basle

Les enjeux du conflit

Pour comprendre la guerre russo-américaine par Ukraine interposée, il faut en connaître les antécédents et les enjeux. La guerre en Ukraine ne commence pas en février 2022, mais en octobre 1853 avec la Guerre de Crimée quand une coalition dirigée par la Grande-Bretagne s’oppose à l’expansionnisme russe. Cette rivalité entre un empire maritime et un empire continental s’exacerbe lorsque le géographique britannique, Halford Mackinder, postule en 1904 que le chemin fer renforce la puissance russe au détriment de l’empire britannique. Les Etats-Unis qui supplantent l’empire britannique en 1945, reprennent à leur compte la vision britannique. Elle implique de facto l’asservissement de l’Union soviétique. Cette rivalité n’a pas lieu d’être. Ce chemin de fer qui inquiétait tant Halford Mackinder, peut être un lien entre Etats-Unis et Russie, comme l’explique William Gilpin dans son livre publié en 1890 : « The cosmopolitan Railway ».[1] Un tel chemin de fer serait profitable aux deux nations. Il ne fut pas écouté. Henry Wallace, vice-président des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, adhérait à cette vision à laquelle Franklin Roosevelt n’était pas insensible. Le sort voulu que Roosevelt mourut trop tôt et que la convention démocrate préféra Harry Truman à Henry Wallace.

Que veut Vladimir Poutine ?

Le 22 février 2022, jour du lancement de l’opération militaire spécial, Vladimir Poutine a pris soin d’en donner les objectifs : démilitarisation, dénazification et neutralité de l’Ukraine. Il les précise le 14 juin 2024 : retrait des troupes ukrainiennes des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des régions de Zaporojié et de Kherson, neutralité, dénucléarisation, démilitarisation et dénazification de l’Ukraine. Les objectifs stratégiques qui sous-tendent ces propositions sont au cœur du différend russo-américain. Ils sont présents dans le projet de traité d’architecture européenne de sécurité que Poutine a envoyé à Washington le 17 décembre 2021. Les Américains lui ont opposé une fin de non-recevoir le 26 janvier.

Ce projet de traité d’architecture s’appuie sur le principe de l’indivisibilité de la sécurité qui stipule que la sécurité d’une nation ne peut se faire au détriment d’une autre – principe inscrit dans les déclarations d’Istamboul de 1999 et d’Astana de 2010 signées par les membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dont les Etats-Unis, la Russie, l’Ukraine, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, etc.[2] A ce principe, les Etats-Unis en opposent un autre, celui de la « porte ouverte »[3] qui donne à toute nation le droit de s’allier à toute autre nation sans égard à l’impact d’une telle alliance sur une ou plusieurs autres nations – principe inscrit dans l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe. Ces positions antinomiques augurent mal d’une résolution pacifique du conflit.

L’objectif de Poutine est d’avoir une aire géographique de sécurité autour de la Russie dépourvue de missiles – une aire semblable à celle dont jouissent les Etats-Unis avec le Canada au nord, le Mexique au sud, l’océan atlantique à l’est et l’océan pacifique à l’ouest. Les médias ont déformé ses propos en laissant entendre que son objectif était la domination de l’Europe. C’est faux. Son objectif de sécurité est légitime. Le chef de la Marine allemande, l’amiral Kay-Achim Schönbach, l’a reconnu. Son franc-parler a provoqué sa démission.[4] C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la remarque de Poutine au sujet de la chute de l’Union soviétique qu’il qualifia de plus grande catastrophe du 20ème siècle parce qu’elle rompit l’équilibre des forces en présence qui assurait la paix. Sa remarque n’avait rien d’un quelconque regret idéologique ou puéril, comme le laissèrent entendre les médias occidentaux – sentiment au demeurant étranger à ce dirigeant rationnel, peu sujet aux états d’âme – mais rappelait une vérité connue des géopoliticiens.

Une cote mal taillée qui ne satisferait personne

A défaut d’architecture de sécurité, Poutine pourrait se contenter d’un accord bâclé pour mettre fin à une guerre qui lui coûte cher, en se satisfaisant de l’annexation du Donbass et de la neutralité de l’Ukraine. Ce serait une erreur. Cette neutralité serait une façade. Les Etats-Unis poursuivraient leur objectif de démantèlement de la Russie au travers d’une guérilla larvée en Ukraine, voire en Russie – la CIA a une grande expérience en la matière – ce qui forcerait tôt ou tard Poutine à envahir l’Ukraine. De son côté, Donald Trump pourrait choisir de faire la paix à des conditions non pas optimum mais satisfaisantes pour la Russie pour mener à bien son programme MAGA, mais l’appareil de sécurité américain (ministère des affaires étrangères, complexe militaro-industriel, et agences de renseignement, etc.) n’accepterait pas cette paix.[5]

Cet accord, si jamais il existe, devra régler les questions épineuses que sont les réserves monétaires de la Banque de Russie gelées sur ordre de Washington, la levée des sanctions, la réouverture des gazoducs, l’expropriation des infrastructures de Gazprom en Allemagne, et de l’immeuble du consulat de San Francisco, etc… Questions qui devraient être abordées lors du sommet Trump-Poutine dont il est tant question dans les médias. S’il est évident qu’il est dans l’intérêt des deux parties de se rencontrer, quelle confiance Poutine peut-il accorder à une nation qu’il l’a si souvent trompé et à un dirigeant qui veut annexer le Canada, le canal de Panama et le Groënland ? Des projets inconcevables dans un monde rationnel et humain, mais possible dans un monde où la force prime le droit… celui dans lequel nous vivons.

Une guerre apocalyptique

Cette guerre échappe pour partie aux protagonistes. Du point de vue russe, la guerre en Ukraine est une guerre existentielle. Une défaite signifierait le démembrement de la Russie et sa disparition de la planisphère.[6] [7] Après l’humiliant retrait d’Afghanistan, une défaite en Ukraine serait un désastre pour l’empire américain. Le conflit en Ukraine sonne le glas des ambitions américaines, et met fin au rôle de l’Occident dans les affaires mondiales depuis le 16ème siècle. Boris Johnson déclara le 12 avril 2024 : « Si l’Ukraine perd la guerre, ce sera la fin de l’hégémonie occidentale. »[8] C’est une guerre qu’aucun des deux adversaires ne peut ni gagner ni perdre.

En 1946, Albert Einstein déclara que l’atome avait tout changé, sauf nos modes de pensée, et qu’en conséquence nous nous dirigions vers une catastrophe sans précédent. Nos dirigeants l’ont sans doute oublié. John Kennedy déclara, dans son discours à l’American University le 10 juin 1963 : « Notre lien le plus basic est que nous habitons sur une petite planète. Nous respirons tous le même air. Nous chérissons tous le futur de nos enfants. In fine, nous sommes tous mortels.”[9] Le temps est venu de changer nos modes de pensée pour continuer à chérir nos enfants.

Jean-Luc Basle

[1] Le Schiller Institute a repris ce concept au cours d’un conférence en septembre 2007 intitulée « Eurasia-North America multimodal transport. »

[2] Sergey Lavrov’s written message on Indivisibility of Security addressed to the Heads of Foreign / External Affairs Ministers / Secretaries of the US, Canada, and several European countries, 1 February 2022.

[3] La doctrine de la porte ouverte, due au secrétaire d’état John Hay, a pour objet d’ouvrir la porte de la Chine aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle en traitant toutes les nations sur un pied d’égalité afin qu’aucune n’est le contrôle total du pays.

[4] Un amiral allemand sommé de s’expliquer après des propos controversés sur la Russie. Le Figaro, 22 janvier 2022.

[5] Why the Ukraine Crisis is the West’s fault. John Mearsheimer, Foreign Policy, Septembre/Octobre 2014.

[6] Discours de Vladimir Poutine le Septembre 21, 2022.

[7] Conférence de presse Sergey Lavrov du 18 mai 2024.

[8] Ukraine le dur chemin vers la défaite vers la défaite. May 29, 2024.

[9] Commencement Address at American University, John F. Kennedy, June 10, 1963.

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Que veut Vladimir Poutine ? par J.L. Basle”

  1. VORONINE dit :

    Gerre de CRIMEE….des aieux de mes deux familles s’y trouvaient, belle affaire: des morts surtout de maladie , un résultat nul , la FRANCE a suivi les brits pour les beaux yeux de VICTORIA , et les français sont morts pour sauver les turcs : UN PRECEDENT souvent renouvelé depuis !

  2. Pschitt dit :

    Que d’élucubrations pontifiantes dans un texte si bref ! Mais le diable est dans les détails : le « jour du lancement de l’opération militaire spéciale » n’est pas le 22 février 2022 mais le 24 février 2022. Si toutes les « informations » sont aussi fiables, on imagine à quel point l’ensemble est biaisé.

  3. Ronan dit :

    Salud excellent article mais il faudrait ajouter la vision du Grand Charles dé Gaulle « construire un monde ou une Europe multipolaire de Brest à l’Oural «  si je me souviens bien. Ces gens biens nous manquent actuellement mais espérons ne pas se Trumper. Kenavo

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