Pendant l’époque médiévale, la Bretagne est un enjeu majeur entre les Capétiens (côté français) et les Plantagenets (côté anglais). Les bandes dessinées sur cette période sont si rares qu’on ne peut que se féliciter du manga Chroniques de la Mariée de Bretagne.
Le duché de Bretagne, XIIIe siècle. Thomas, un jeune héraut de 18 ans, calme et pacifique, est très doué pour reconnaître toutes les armoiries. Un jour, il arpente un champ de bataille au péril de sa vie. Le gouverneur de Dinan lui confie alors la mission retrouver la fille de son vieil ami, André Le Bleau, afin que celle-ci épouse le fils du duc de Bretagne, Pierre de Dreux, lequel n’est encore qu’un nourrisson. La tâche est de la plus haute importance, car le trône de Bretagne est source de convoitises… Thomas retrouve sa trace dans un tournoi à Nantes. Sous son armure se dissimule Andrée, ravissante jeune fille de 15 ans, fille de Le Bleau. Celle-ci, excellente bretteuse, d’un caractère bien trempé, se fait passer pour un homme. Pour cela, elle s’est coupé les cheveux et porte désormais le nom et l’armure de son père. Elle ne rêve que d’assassiner le duc de Bretagne, persuadée qu’il aurait tué son père… Pour éviter un tel drame, Thomas se décide à l’accompagner, en espérant la convaincre de renoncer à son projet. Dans la région du Trégor, Thomas et Andrée font une halte dans une prairie. Le héraut en profite pour sortir un carnet et dessiner des blasons. Intriguée, Andrée lui pose des questions. Puis, dans une taverne, ils rencontrent Philippe, le fils illégitime de l’ancien roi d’Angleterre Richard coeur de Lion. Afin qu’Andrée accepte de le suivre, Philippe lui révèle qui a assassiné son père. Andrée et Thomas décident alors de s’allier aux mystérieux Philippe…
Chroniques de la mariée de Bretagne est un manga historique publié au Japon sur le site web Comic Ryu des éditions Tokumo Shôten, en suivant un rythme d’un volume tous les huit mois.
Son créateur, Junji Takehara, est un dessinateur autodidacte. Au lycée, puis à l’Université, il participe sans succès à des concours de mangas. Mais un éditeur le repère et lui permet de publier un manga : La Loyauté. Puis il devient l’assistant d’un mangaka. Passionné d’histoire médiévale occidentale, et plus particulièrement par les chevaliers en armures et les cottes de mailles, il construit aujourd’hui un récit fictif mais enraciné dans le XIIIe siècle. Pourquoi l’Histoire de la Bretagne ? Junji Takehara explique que « la France à cette époque était aussi grande que complexe. Une période riche en conflits militaires et en intrigues politiques. J’ai essayé de réduire un petit peu le champ de mon histoire et en me documentant j’ai trouvé que la Bretagne était un territoire passionnant à travailler. De surcroît pas encore utilisé dans d’autres mangas… Ma référence principale est un livre de l’historienne Andréa Hopkins « Knights » qui est traduit en Japonais. Et je passe énormément de temps à lire Wikipédia Français et Anglais avec l’aide d’un traducteur automatique. Il m’arrive aussi de poser des questions à des cercles de spécialistes en ligne » (L’internaute, 28 Septembre 2023).
Rappelons qu’à cette époque, la Bretagne n’est pas encore rattachée au royaume de France. C’est même le roi d’Angleterre qui en possède la suzeraineté. Suite au mariage de Geoffroy II, fils du roi d’Angleterre Henri II, avec Constance, duchesse de Bretagne, naît Arthur 1er, descendant de la famille royale d’Angleterre. Mais à la mort de Richard cœur de Lion, il perd la lutte pour la succession et le prince Jean devient roi d’Angleterre. Les historiens considèrent que Jean sans Terre, qui avait besoin de la Bretagne pour garantir la liaison entre son royaume d’Angleterre et son duché d’Aquitaine, a assassiné le jeune Arthur. Junji Takehara nous propose une hypothèse : Arthur aurait survécu, et changé son nom pour André Lebleau. Sur ce thème, il bâtit un scenario qui gagne en intensité au fil des tomes.
Bien que les deux protagonistes, Andrée et Thomas, soient fictifs, Takehara fait intervenir une galerie de personnages historiques, notamment Pierre de Dreux (1187-1250), cousin du roi de France Philippe II Auguste et Duc de Bretagne grâce à son mariage avec la duchesse Alix de Thouars (1200-1221).
Les dessins du mangaka Junji Takehara sont très soignés. Il crée des personnages expressifs, notamment Andrée et Thomas, les deux héros qui ont chacun un traumatisme. L’héroïne vengeresse, particulièrement déterminée, est bien campée. Il a eu à coeur de s’écarter du fantasme japonais de la femme chevalier en jupe et à forte poitrine, en créant une version réaliste de la belle Andrée, même si elle semble quelque peu anachronique.
Junji Takehara n’est encore jamais allé en Bretagne. Alors qu’il y a énormément de mangas dont l’action se déroule dans une Europe médiévale fantasmée, il entend respecter l’Histoire. Mais il y a très peu de documentation sur le XII et XIIIe siècle. Sur le plan architectural, il s’est inspiré de l’Église Notre-Dame de Locmaria à Quimper dont la construction remonte au XIe siècle. Pour créer un cadre historique crédible, il tente de reconstituer la Bretagne de l’époque en s’attachant aux détails (décors, vêtements, armures…). Il s’est renseigné sur l’héraldique afin de respecter les blasons qui ornent les vêtements des personnages. On découvre les Rouleaux des Morts, des parchemins qui passaient d’abbayes en monastères afin de recueillir prières et hommages à l’égard d’un membre du clergé décédé.
Il cherche même à respecter la culture bretonne, en faisant parler breton certains de ses personnages. Ainsi, le chapitre 4 débute par un dialogue dans lequel Thomas demande son chemin à un paysan :
– « Daoust ha kas a ra an route-se d’ar chapel ? » (Cette route mène-t-elle à la chapelle ?)
– « Ur pont a oa, met aet eo a-dreuz… Ret ‘vo tremen a-hend-all ! » (Il y avait un pont, mais il s’est écroulé… Il faudra passer ailleurs !)
A titre exceptionnel, les éditions Kurokawa proposent gratuitement la lecture du premier chapitre du manga en français ou en breton, sous le titre Kronikennoù Plac’h-Nevez Breizh.
Version bretonne : https://www.calameo.com/read/006189501f56d44013950
Version française : https://www.calameo.com/read/006189501483bb1faa158
Cette série, toujours en cours de publication, compte pour le moment 4 tomes au Japon. Pour l’édition française, la jaquette reprend l’illustration de la version japonaise.
Chroniques de la Mariée de Bretagne, t. 1, 176 pages, t. 2, 160 pages, t. 3, 160 pages, 7,95 euros chacun. Editions Kurokawa.
Kristol Séhec.
Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine