Publié en 1978, l’ouvrage The Disintegrating West de Mary Kaldor, universitaire et spécialiste des relations internationales, résonne aujourd’hui comme un avertissement prémonitoire. Écrit dans un contexte marqué par la Guerre froide et des crises économiques majeures, le livre analyse les fragilités structurelles de l’Occident et met en lumière les risques d’une désintégration politique et stratégique. Son influence s’est étendue bien au-delà de la sphère académique : en France, il a profondément marqué les réflexions géopolitiques de Guillaume Faye, intellectuel de la Nouvelle Droite, et contribué à modeler une vision stratégique des relations entre l’Europe et les États-Unis.
Une dépendance américaine paralysante
Mary Kaldor pointe un fait central : l’Europe occidentale, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, s’est construite dans l’ombre de l’hégémonie américaine. À travers l’OTAN et les institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale, les États-Unis ont façonné un ordre occidental où l’Europe est dépendante de Washington pour sa défense et sa stabilité économique. Cette relation asymétrique, souligne Kaldor, limite l’autonomie stratégique de l’Europe et réduit sa capacité à répondre de manière indépendante aux crises mondiales.
Cette dépendance américaine n’a pas été remise en cause, car elle offre un confort stratégique aux pays européens, notamment dans le Nord et à l’Est du continent. Mais ce choix, dicté par un besoin de protection, a eu un coût élevé : l’Europe a longtemps évité toute véritable union politique ou militaire, de peur d’éloigner le « bouclier américain ». Cette fragmentation, critique Kaldor, affaiblit le continent face à des menaces globales.
Un danger interne : la fragmentation de l’Europe
Selon Kaldor, l’incapacité des pays européens à dépasser leurs intérêts nationaux constitue une menace existentielle pour le projet européen. Les grandes puissances, comme la France et le Royaume-Uni, ont résisté à l’idée de déléguer une part significative de leur souveraineté. Ce manque de coopération empêche la mise en place d’une véritable politique de défense commune ou d’une diplomatie unifiée. Résultat : l’Europe reste vulnérable, dépendante de la protection militaire américaine, et incapable de répondre collectivement aux crises géopolitiques.
Des défis globaux qui fragilisent l’Occident
Dans The Disintegrating West, Kaldor identifie également des forces internes et externes qui ébranlent l’Occident. Sur le plan interne, les crises économiques des années 1970 (chocs pétroliers, chômage, stagflation) ont creusé les inégalités et sapé les consensus démocratiques. Sur le plan externe, les pressions des pays du Sud global pour une réforme des règles économiques internationales, combinées aux tensions de la Guerre froide, ont accentué les fragilités de l’ordre occidental.
Kaldor critique également la course aux armements, qu’elle considère comme une obsession militariste détournant des ressources précieuses de secteurs essentiels tels que l’éducation, la santé ou la coopération internationale. Cette militarisation, estime-t-elle, non seulement nourrit les divisions internes, mais limite aussi la capacité des pays occidentaux à construire des solutions pacifiques aux conflits mondiaux.
Une vision prospective : le défi de l’autonomie européenne
Face à ces défis, Kaldor plaide pour une Europe unifiée, politiquement et militairement autonome. Elle appelle les pays européens à dépasser leurs divisions pour bâtir une fédération capable de rivaliser avec les grandes puissances mondiales. Cette vision repose sur trois piliers : une intégration politique renforcée; une défense commune qui ne dépendrait plus exclusivement des États-Unis; une politique étrangère cohérente et indépendante.
À l’époque, cette proposition semblait utopique. Pourtant, les récents bouleversements géopolitiques – la guerre en Ukraine, la montée des tensions avec les États-Unis sous Donald Trump, et la crise de l’OTAN – rendent cette analyse plus pertinente que jamais.
Une leçon pour aujourd’hui
La Désintégration de l’Occident n’est pas qu’une critique du statu quo de l’époque, c’est un avertissement. Si l’Europe ne parvient pas à construire une autonomie stratégique, elle continuera de subir les choix des grandes puissances, qu’il s’agisse des États-Unis ou d’autres acteurs comme la Russie ou la Chine.
Avec des menaces contemporaines comme celles formulées par Donald Trump sur l’annexion du Groenland ou les pressions américaines pour augmenter les budgets militaires au sein de l’OTAN, la thèse de Kaldor apparaît plus pertinente que jamais. Alors que l’Union européenne vacille entre dépendance et ambitions d’autonomie, son avenir pourrait bien se jouer dans sa capacité à répondre collectivement aux défis géopolitiques de ce siècle.
En somme, le choix est clair : l’unité comme la rêvait Guillaume Faye ou l’effacement.
Balbino Katz
Illustration : DR
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