La dissidence et la lecture. Adriano Scianca passé à la Question

Les vacances de Noël … une période bénie pour prendre soin de soi et s’adonner au meilleur passe-temps possible : la lecture. Mais plutôt que de vous proposer une froide sélection d’ouvrages à lire ou à offrir, nous avons demandé à quelques-uns des auteurs que nous affectionnons particulièrement quels sont les livres qui les ont le plus marqués. 

Adriano Scianca est un journaliste et essayiste italien, auteur de plusieurs ouvrages dont trois ont été traduits en français : Casapound, Tout se réapproprier! 40 concepts pour une révolution en devenir ; Erza Pound et le sacré, et Europe vs Occident. La fin d’une ambiguïté. Il est le directeur du journal en ligne Il Primato Nazionale.

Breizh-info.com : Qui vous a donné de goût de la lecture ?

J’ai grandi dans une maison avec beaucoup de livres, même si c’étaient plus des textes historiques que théoriques. Je me souviens que, dès mon enfance, certains textes attiraient mon attention. Tout d’abord l’interminable collection de l’Opera Omnia [œuvres complètes] d’un… important homme politique italien de la première moitié du XXe siècle. Ce mot, « omnia », m’a intrigué, parce que je ne pouvais pas comprendre ce qu’il signifiait. Puis un gros livre blanc dont le titre a chatouillé mes premières curiosités politiques : « Vu de droite ». On en avait alors beaucoup parlé et mon père, qui est de droite depuis toujours, l’avait acheté je crois seulement par curiosité, mais il m’a ensuite été très utile, pour une première approche avec la pensée d’Alain de Benoist, plus tard. Ma mère m’a beaucoup poussé à lire des livres jeunesse quand j’étais enfant, mais je n’ai vraiment cultivé cette passion qu’au moment où j’ai trouvé un livre qui a changé mon approche de la lecture.

Breizh-info.com : Quel est le livre qui vous a le plus marqué lorsque vous étiez enfant ?

A l’âge de 12 ans, donc relativement tard, un ami m’a prêté Quattro dopo mezzanotte, de Stephen King (un recueil de quatre nouvelles, sorties en France en deux volumes : Minuit 2 et Minuit 4). Ce texte a complètement changé mon rapport à la lecture : enfin un livre dans lequel on parlait comme parlent les personnes réelles, avec un rythme serré, avec des scènes fortes, avec des thèmes adultes. Je n’ai jamais été vraiment pris par la littérature pour enfants, il s’agissait toujours de livres que je lisais « en me voyant lire », sans une véritable implication, sans jamais être « dans le livre ». Stephen King était mon auteur préféré quand j’étais jeune.

Breizh-info.com : Quels sont les trois livres qui vous ont le plus marqué à l’âge adulte et pourquoi ?

Sans aucun doute Les hommes au milieu des ruines, de Julius Evola, que j’ai lu, je crois, vers l’âge de 16 ans et qui a donné aux idées politiques que j’avais déjà sous une forme très confuse le cadre d’une vision du monde. C’était exactement de que je cherchais : ne pas me limiter à des suggestions, mais avoir une organicité de pensée. Puis, des années plus tard, Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste de Giorgio Locchi, grâce auquel je suis sorti de l’évolisme dogmatique. Et je citerais Comment peut-on être païens ? d’Alain de Benoist.

Breizh-info.com : Quels sont les auteurs qui ont le plus influencé votre propre écriture ?

Quand j’étais au lycée, j’écrivais avec un style très influencé par Evola, ce qui donnait à mes thèmes une tendance insolite et pompeuse (par exemple, j’écrivais à la première personne du pluriel). Puis, heureusement, j’ai affiné ma plume. Je ne saurais dire quels auteurs sont présents en filigrane dans mon écriture. Je crois avoir essayé de prendre la tendance cartésienne et méthodique des textes de de Benoist et le style évocateur et militant de Faye. Mais j’ai aussi essayé de prendre le rythme serré de King, en le transposant du plan narratif au plan argumentatif. Et bien sûr, il est impossible de lire Nietzsche sans essayer de voler quelque chose à son style étincelant. Bien sûr, le fait que je me sois inspiré de tous ces auteurs ne signifie pas que j’ai réussi à égaler leur style.

Breizh-info.com : Quels sont les livres ou les auteurs qui illustrent le mieux votre vision du monde ?

Je crois avoir déjà répondu en partie avec les noms que j’ai fait : Nietzsche, Locchi, de Benoist, Faye, en partie Evola… Il y en a beaucoup d’autres à ajouter : Giovanni Gentile, Gilles Deleuze… De manière plus problématique mais néanmoins forte Martin Heidegger.

Breizh-info.com : Quel est le livre que vous voudriez que tout le monde lise ?

Je ne crois pas qu’il y ait des livres qui doivent vraiment être lus par « tout le monde ». Je ne crois pas au pouvoir salvateur des livres en tant que tels, car dans les livres nous ne trouvons que ce que nous y mettons. De toute façon, quand, il y a plusieurs années, j’ai connu la pensée de Giorgio Locchi, je trouvais incroyable qu’il soit si peu connu et je me suis efforcé d’en diffuser l’idée. Aujourd’hui, cette bataille est fondamentalement gagnée (pas exclusivement grâce à moi, bien sûr, même si je crois y avoir participé) et Locchi réside maintenant de manière stable dans le panthéon des lectures du monde identitaire. En général, je crois qu’il est utile de lire des livres qui dépassent toujours nos propres opinions : des livres qui ne nous disent pas ce que nous savons déjà, qui ne se limitent pas à renforcer nos certitudes, mais qui nous font vaciller, qui nous font voir les choses sous un angle différent. Je ne veux pas de livres qui me donnent des « bonnes tapes sur les épaules », je veux des livres qui me disent « on se voit dehors ! » comme les brutes qu’on rencontre le samedi soir au bar.

Breizh-info.com : Quel est de dernier livre qui vous a agréablement surpris ?

J’ai lu il n’y a pas si longtemps La ligne mineure, vers une philosophie de la nature de Rocco Ronchi, un philosophe italien contemporain, très antifasciste, mais dont l’ontologie m’a beaucoup influencé. Ces jours-ci, je suis en train d’étudier, pour quelque chose que j’ai l’intention d’écrire, le texte I moti dell’animo in Omero  [Les mouvements de l’âme chez Homère, non traduit en français] de Giuseppe Spatafora, un texte très technique qui est vraiment indispensable, qui a changé profondément la façon dont je relirai les poèmes homériques à l’avenir. Intéressant aussi le Traité Néoréactionnaire de Nimh, que j’ai lu il y a peu, directement en français.

Breizh-info.com : Le livre que vous finirez un jour ?

Je ne me suis jamais posé le problème de « finir » les livres. Quand je vois qu’un livre m’a donné ce dont j’avais besoin, je le mets de côté et passe à autre chose, très souvent sans être arrivé à la fin. Il est vrai qu’il y a des livres qui pourraient donner quelque chose, mais que nous abandonnons avant d’en venir à bout parce que nous ne sommes pas entrer immédiatement en harmonie avec le style de l’auteur. Dans ce sens, j’aimerais reprendre et terminer Procès et réalité de Whitehead.

Breizh-info.com : Quelle sera votre prochaine lecture ?

Je lis presque toujours des textes en fonction de choses que je suis en train d’écrire, presque jamais pour le plaisir. En ce moment, comme je l’ai dit, je suis en train de me consacrer à Homère, donc je vais probablement lire quelque chose sur lui. Il y a un livre que j’ai l’intention d’acheter, c’est Ce qui fait la Grèce de Cornelius Castoriadis.

Breizh-info.com : Les cinq romans à mettre sous le sapin ?

Je ne suis pas un grand lecteur de romans. Cependant je vais me prêter à l’exercice, même si la liste sera très hétérogène. Pulp, de Charles Bukowski ; Il sole dell’impero [Le soleil de l’empire], de Carlomanno Adinolfi (qu’attendez-vous pour le traduire en français ?) ; Les falaises de marbre, d’Ernst Junger ; Doromizu, de Mario Vattani ; Les bienveillantes, de Jonathan Littel (que j’ai lu il y a des années en français, le trouvant à la fois fascinant et repoussant. Au moins, il m’a appris une vingtaine de façons de décrire la défécation dans votre langue, même si je ne souhaite pas utiliser cette compétence).

Breizh-info.com : Voulez-vous finir par une citation ?

Il s’agit d’une citation tirée du chant X de l’Iliade. Il raconte la double expédition que, dans la nuit, les troyens et les achéens envoient les uns vers le camp de base des autres pour s’espionner. Les combattants avancent dans l’obscurité, traversant un champ de bataille dévasté par les affrontements de quelques heures auparavant :

« après qu’ils eurent prié la fille du grand Zeus, ils s’avancèrent comme deux lions, à travers la nuit épaisse et le carnage et les cadavres et les armes et le sang noir. »

C’est ainsi qu’il faut traverser cette époque : comme des lions dans la nuit.

Propos recueillis par Audrey D’Aguanno

https://www.breizh-info.com/2024/12/16/241499/la-dissidence-et-la-lecture-yann-vallerie-passe-a-la-question

https://www.breizh-info.com/2024/12/14/241352/les-livres-preferes-de-nos-auteurs-preferes-jean-yves-le-gallou/

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https://www.breizh-info.com/2024/12/15/241248/les-livres-preferes-de-nos-auteurs-preferes-laurent-obertone/

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