La notion de « santé mentale » est omniprésente dans les débats contemporains, mais pose des problèmes conceptuels importants. Plutôt que de nier l’importance croissante des troubles mentaux, cet article propose d’examiner certaines idées reçues qui, paradoxalement, pourraient freiner une prise en charge adéquate de ces problèmes.
Une évaluation inappropriée des pensées
Le premier problème réside dans l’idée même d’évaluer les pensées et les émotions comme des aspects purement « internes » et indépendants du monde extérieur. Contrairement à une douleur physique, qui peut être localisée et soignée de manière mécanique, les émotions sont intrinsèquement liées à des objets ou des situations spécifiques. Par exemple, ressentir une douleur dans une dent n’a pas besoin d’être relié à un objet ou une idée pour être pertinent. En revanche, la tristesse liée à une perte ou à un événement repose sur une compréhension et une interprétation de cet événement.
Ainsi, une émotion n’est pas un simple stimulus sensoriel. Elle est une réponse rationnelle ou irrationnelle à une situation donnée. Par exemple, une personne en deuil après une perte tragique ne souffre pas d’un problème de « santé mentale » en soi, mais d’une réaction émotionnelle appropriée à l’objet de sa douleur. Dans d’autres cas, des émotions comme la tristesse ou l’anxiété peuvent être le reflet d’une inadéquation entre la perception d’une situation et la réalité, nécessitant une intervention thérapeutique.
La santé mentale et la moralité
L’une des erreurs fréquentes dans les discours sur la santé mentale est de confondre des problèmes d’ordre moral ou intellectuel avec des troubles de santé. Un individu qui éprouve une joie démesurée à la vue d’une situation tragique, par exemple, pourrait être qualifié de « malade », mais ce jugement est davantage moral que médical. De même, certaines préférences ou aversions extrêmes, comme l’amour pour des formes architecturales controversées, pourraient relever davantage d’un désaccord esthétique ou moral que d’une pathologie mentale.
Cela soulève une question fondamentale : comment distinguer les réactions émotionnelles appropriées des sensations physiques ou des réponses mécaniques ? Alors que la médecine cherche à réparer les « circuits » défaillants du corps, les émotions exigent une compréhension plus profonde de leur lien avec les objets ou les contextes qui les suscitent.
La rationalité des émotions
Pour comprendre pleinement les émotions, il est essentiel de reconnaître qu’elles sont orientées vers des objets ou des idées spécifiques. Par exemple, un amour sans objet serait perçu comme irrationnel. De même, la tristesse ou l’anxiété ne peuvent être évaluées sans examiner les circonstances qui les ont déclenchées. Ce lien entre les émotions et leurs objets met en lumière l’importance de la rationalité dans la gestion des sentiments.
Toutefois, cette rationalité est souvent compromise par des approches individualistes et déconnectées des réalités culturelles et sociales. Une société qui rejette les distinctions entre émotions appropriées et inappropriées favorise une conception simpliste des émotions comme de simples sensations, sans profondeur ou signification.
Vers une redéfinition de la « santé mentale »
Repenser la santé mentale nécessite de dépasser l’idée qu’elle repose uniquement sur des causes internes. La prise en compte des circonstances extérieures, des contextes sociaux et des significations culturelles est essentielle. Cela implique également de rejeter l’idée que toutes les émotions doivent être neutralisées ou « soignées ». Certaines émotions douloureuses, bien qu’inconfortables, sont appropriées et nécessaires pour répondre aux réalités de la vie.
En reconnaissant que les émotions sont liées à la compréhension et aux interactions sociales, il devient possible d’aborder la santé mentale de manière plus globale. Plutôt que de chercher uniquement à éliminer les émotions désagréables, il s’agit d’examiner leur pertinence par rapport à leurs causes et de favoriser des réponses émotionnelles adaptées aux défis de la vie.
Finalement, une approche équilibrée de la santé mentale repose sur la distinction entre sensations physiques et réponses émotionnelles rationnelles. Plutôt que de pathologiser toutes les réactions humaines, il est essentiel de comprendre les émotions dans leur contexte et de valoriser leur rôle dans notre compréhension du monde. Cela ouvre la voie à une meilleure prise en charge des troubles mentaux tout en respectant la complexité de l’expérience humaine.
P. Le Gall
Illustration : DR
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2 réponses à “Santé mentale : repenser notre compréhension des émotions et des pensées”
L émotion est inévitable mais souvent incontrôlable. Mieux vaut aller dans la sensation et le ressenti pour aboutir finalement à un certain détachement. On ne peut pas changer ce qui est alors autant l accepter plutôt que de lutter ou s émouvoir exagérément. Ça demande quand même un travail sur soi quasi permanent mais on y arrive !
Analyse pertinente…Dans cet ordre d’idée, on peut citer la puissance émotionnelle persistante voire durant toute une vie d’un 1er Amour brisé qui conditionnera votre comportement futur produisant des dégâts colatéraux sur d’autres personnes innocentes comme une sorte de revanche ou de cynisme.
Ainsi à l’oncle de mon épouse qui me demandait (imprudemment) : »Tu aimes ta femme ? », je répondis sourdement: « On aime qu’une fois »…Un lourd silence s’ensuivit…