Le collectif musical BRETONS vient de dévoiler une chanson en hommage à la révolte des Penn Sardinn, en 1924 à Douarnenez.
La grève des sardinières de Douarnenez : un tournant historique des luttes sociales
En 1924, au cœur de l’hiver breton, une révolte sociale sans précédent émerge à Douarnenez. Les ouvrières des conserveries de sardines, appelées les « Penn Sardin » en référence à leurs coiffes traditionnelles, se mobilisent pour dénoncer des conditions de travail insupportables et réclamer une juste rémunération. Cette grève, devenue emblématique, marque un tournant dans les luttes sociales et reste gravée dans l’histoire de la Bretagne et de la France.
Au début du XXe siècle, Douarnenez est une ville dont l’économie repose presque exclusivement sur l’industrie des conserveries de poisson. Les ouvrières, majoritairement des femmes, travaillent dans des conditions extrêmes : journées pouvant atteindre 18 heures, absence de rémunération pour les heures d’attente, et salaires dérisoires de 80 centimes par heure. La loi de 1919 limitant le temps de travail à 8 heures par jour est largement ignorée, et les lois interdisant le travail de nuit et celui des enfants ne sont pas respectées.
La crise sardinière qui frappe la région à partir de 1902 aggrave encore la situation. La raréfaction du poisson entraîne des fermetures d’usines, plongeant de nombreuses familles dans une grande précarité.
Le déclenchement de la grève
Le 21 novembre 1924, à l’usine Carnaud, une revendication salariale met le feu aux poudres. Avec le slogan « Pemp real a vo ! » (Cinq sous nous aurons !), les ouvrières demandent une augmentation de leur rémunération. En quelques jours, le mouvement s’étend à toutes les sardineries de Douarnenez, paralysant l’activité de la ville. Près de 2 100 personnes, dont 1 600 femmes, participent aux manifestations.
Cette mobilisation prend rapidement une dimension nationale, grâce à l’implication du maire communiste Daniel Le Flanchec, qui soutient publiquement les grévistes. Les médias relaient les événements, et des souscriptions de soutien sont organisées à travers le pays pour aider les familles des ouvrières.
Un affrontement tendu
Malgré les tentatives de médiation des autorités locales, les négociations échouent face à l’intransigeance des patrons sardiniers. Certains industriels font appel à des briseurs de grève, ce qui conduit à des violences. Le 1er janvier 1925, un attentat visant Daniel Le Flanchec blesse grièvement le maire et plusieurs autres personnes.
Cependant, la pression exercée par les grévistes et le soutien populaire croissant finissent par contraindre les usiniers à céder. Le 6 janvier 1925, un accord historique est signé :
- Le salaire horaire passe à 1 franc pour les femmes et 1 franc 50 pour les hommes.
- Les heures supplémentaires et de nuit sont désormais majorées de 50 %.
La grève des sardinières ne se limite pas à Douarnenez. Elle inspire rapidement d’autres mobilisations dans la région, notamment dans le pays bigouden. Les ouvrières de Lesconil, du Guilvinec et de Pont-l’Abbé réclament elles aussi l’application de l’accord de Douarnenez. Bien que certaines conserveries restent fermées pendant des mois pour réprimer les revendications, le mouvement marque un jalon dans la lutte pour des conditions de travail décentes.
La grève des sardinières reste une référence majeure dans l’histoire des mouvements sociaux en France. Si elle n’a pas directement porté sur les droits des femmes, elle met en lumière le rôle central des ouvrières dans les luttes sociales. Les chants des Penn Sardin, entonnés dans les usines et lors des manifestations, font également partie de cet héritage. Ils expriment à la fois leur détermination et leur fierté, et certains sont encore repris aujourd’hui lors de rassemblements sociaux et féministes.
A noter la sortie d’un livre signé d’une journaliste indépendante et militante (de gauche), Tiphaine Gueret, sur la question, aux éditions Libertalia.
Illustration : DR
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