L’archipel de Guernesey, qui comprend les îles de Guernesey, Herm, Sark, Alderney et Lihou, fut occupé par l’Allemagne nazie pendant près de cinq ans, de 1940 à 1945. Connue sous le nom de « la folie des îles d’Hitler », cette période transforma ces îles anglo-normandes en l’un des endroits les plus fortifiés du monde, témoignant d’une époque marquée par la résistance, la survie et les privations.
Situées à quelques encablures de la côte normande, les îles Anglo-Normandes furent les seules portions du territoire britannique à tomber sous la coupe nazie. Cette occupation a laissé des traces profondes sur l’île, que l’on peut encore découvrir à travers ses nombreux sites militaires, témoignages de la stratégie défensive allemande.
L’occupation allemande et la transformation de l’archipel
Le 30 juin 1940, les troupes allemandes débarquèrent à Guernesey après que le gouvernement britannique, jugeant l’île stratégiquement non prioritaire, eut décidé de la démilitariser. Malgré l’hésitation de Winston Churchill, Premier ministre de l’époque, la décision fut prise, et les îles furent laissées sans défense. L’attaque initiale, marquée par le bombardement du port de St Peter Port — où des camions de tomates furent confondus avec des véhicules militaires — marqua le début de l’occupation. En quelques jours, le drapeau nazi flottait sur l’île.
Cette invasion força l’évacuation de près de la moitié de la population, dont quatre cinquièmes des enfants, vers le Royaume-Uni. Les familles restées sur place durent affronter des années d’incertitudes, de restrictions et d’obligations imposées par les nouvelles autorités occupantes.
Les sites fortifiés de Guernesey
L’occupation transforma profondément le paysage de l’île. Guernesey devint un maillon essentiel du Mur de l’Atlantique, la ligne défensive allemande destinée à prévenir une invasion alliée. Les bunkers, batteries d’artillerie et tunnels souterrains, construits par l’Organisation Todt, restent aujourd’hui des symboles frappants de cette période. La batterie Mirus, la plus grande de l’île, équipée de canons lourds d’origine russe, en est un exemple emblématique. Ces pièces d’artillerie, capables de tirer à plus de 30 kilomètres, faisaient de Guernesey une forteresse redoutable.
Les tunnels Ho. 7/40 témoignent de l’ampleur des travaux réalisés : creusés dans la roche pour stocker munitions et matériel, ils illustrent la détermination allemande à consolider leur présence sur l’île. Ces infrastructures, bien que partiellement inaccessibles, attirent aujourd’hui les visiteurs intéressés par l’histoire militaire.
Alderney, l’île la plus fortifiée
Parmi les îles de l’archipel, Alderney se distingue par le niveau de fortification et la dureté de l’occupation. La quasi-totalité de sa population fut évacuée, et l’île devint un centre stratégique de défense allemande, abritant des bunkers, des camps de travailleurs forcés et des batteries côtières. Aujourd’hui, Alderney célèbre le Homecoming Day le 15 décembre, en mémoire du retour de sa population après la guerre. Des sentiers naturels et des visites guidées permettent de découvrir l’héritage militaire et les traces laissées par les années de guerre.
Sark et Herm : histoires d’occupation distinctes
À Sark, l’occupation se fit sous l’œil vigilant de Dame Sybil Hathaway, la seigneur de l’île. Figure emblématique, elle maintint le lien entre les habitants et les occupants allemands. L’île fut également le théâtre d’Opération BASALT en 1942, un raid audacieux mené par les commandos britanniques visant à capturer des prisonniers allemands et à recueillir des renseignements. Cette île, où les voitures sont toujours bannies, conserve un aspect de capsule temporelle unique, accessible uniquement à pied ou en calèche.
Quant à Herm, elle fut initialement contournée par les Allemands, avant d’être revendiquée en juillet 1940. L’île servit de lieu d’entraînement aux troupes allemandes et de décor pour un film de propagande. Malgré son passé sombre, Herm est aujourd’hui une destination paisible, prisée pour ses promenades et ses plages paradisiaques, où il est difficile d’imaginer l’intensité des événements qui s’y déroulèrent autrefois.
Vie quotidienne sous l’occupation et actes de résistance
La vie sous l’occupation allemande à Guernesey était marquée par des restrictions strictes. Les insulaires devaient ajuster leurs montres à l’heure allemande, se soumettre à des rationnements alimentaires sévères et respecter les interdictions sur des activités telles que la pêche ou le chant de chansons patriotiques. Toute violation pouvait entraîner des arrestations ou des déportations. Malgré cela, des actes de défiance persistaient : des enfants jouaient des tours aux soldats, des postes de radio étaient cachés pour écouter des émissions de la BBC, et des gestes de soutien mutuel renforçaient le moral de la population.
Les conditions se détériorèrent particulièrement durant l’hiver 1944-1945, alors que les ressources manquaient et que la population risquait la famine. L’arrivée de la SS Vega en décembre 1944, navire de la Croix-Rouge chargé de vivres et de médicaments, fut un véritable soulagement. L’émotion était palpable lorsque le bateau entra dans le port de St Peter Port, les habitants criant de gratitude et pleurant de soulagement.
Libération et mémoire collective
La libération de Guernesey fut annoncée le 8 mai 1945 par Winston Churchill, qui déclara : « Nos chères îles anglo-normandes seront également libérées aujourd’hui. » Le 9 mai, les troupes britanniques débarquèrent à St Peter Port, accueillies par une population en liesse. Cette date est aujourd’hui célébrée chaque année comme le Jour de la Libération, une fête nationale où des milliers de personnes se réunissent pour des parades, des concerts et des feux d’artifice.
Alderney resta sous contrôle allemand plus longtemps et nécessita une période de nettoyage et de rétablissement avant de pouvoir accueillir ses habitants de retour. L’île commémore le Homecoming Day pour marquer ce retour et la fin de l’occupation.
Aujourd’hui, de nombreuses familles de Guernesey gardent le souvenir vivant des histoires racontées par leurs aînés. La Seconde Guerre mondiale a laissé une empreinte indélébile sur la culture et l’histoire de l’archipel. Les fortifications militaires, bunkers et musées, tels que le musée de l’occupation allemande, permettent aux visiteurs de comprendre l’ampleur de l’occupation et de rendre hommage à la résilience des insulaires.
L’occupation allemande de Guernesey et des autres îles de l’archipel a marqué l’histoire d’une empreinte durable, faite de souffrance, de résistance et de résilience. Aujourd’hui, ces sites témoignent de cette époque et servent de rappel des sacrifices et de la ténacité des insulaires face à l’adversité.
Les sites emblématiques à visiter aujourd’hui
Aujourd’hui, plusieurs de ces installations militaires peuvent être visitées, offrant un regard poignant sur la vie et la stratégie militaire de l’époque.
1. Le fort Hommet : Situé sur la côte ouest de l’île, ce site abrite plusieurs bunkers, dont un qui a été restauré pour présenter un canon automatique de mortier M19. La vue imprenable sur la baie et les fortifications environnantes donne un aperçu de la manière dont l’artillerie allemande surveillait la mer.
2. Les tunnels Ho. 7/40 : Ces immenses réseaux souterrains, initialement creusés pour abriter des réserves de munitions et du matériel, illustrent l’ampleur des travaux entrepris par les Allemands. Bien que certains tunnels soient désormais scellés, d’autres ont été ouverts au public et témoignent de l’acharnement des Allemands à rendre l’île imprenable.
3. La batterie Dollmann à Pleinmont : Avec son canon de 22 cm et ses bunkers bien conservés, la batterie Dollmann est un site incontournable. Elle offre une plongée fascinante dans la complexité des défenses allemandes, avec ses tranchées, abris et postes d’observation restaurés.
4. Le QG de communications navales à St Jacques : Transformé en musée par la Channel Islands Occupation Society, ce bunker abritait autrefois des équipements de transmission essentiels pour coordonner les défenses de l’île et surveiller les mouvements alliés.
5. La batterie Mirus : Bien que certaines parties de cette batterie soient sur des propriétés privées, ses imposantes structures en béton et les vestiges de ses pièces d’artillerie témoignent de la puissance défensive de l’île pendant la guerre.
Photo d’illustration : DR
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2 réponses à “Guernesey sous l’occupation allemande : vestiges et mémoire de la Seconde Guerre mondiale”
Bravo ! Un article pour le moins intéressant, et dont le sujet est très rarement évoqué, surtout par les Presses étrangères (c.a.d. hors presse anglaise). Qui plus est, malgré leur proximité du Continent Européen (d’autant plus la France), bien que riches en Histoire, ces îles si proches des côtes françaises sont « rarement » visitées, et souffrent, peut-être volontairement, d’un manque de notoriété et de publicité patentes.
Aurigny et Sercq sont des appellations plus jolies que Alderney et Sark.