Écrivain, historien, essayiste, journaliste, polémiste, député (le seul de la législature à s’être affirmé royaliste dans sa profession de foi), pilier des dîners mondains, badaud parisien dont le Paris vécu peut rivaliser avec les Choses vues de Victor Hugo, mémorialiste avant la cinquantaine afin que ses souvenirs ne pâtissent pas des « atténuations de la vieillesse » et même médecin bien qu’il n’ait jamais passé sa thèse… On ne sait par quel bout prendre Léon Daudet, fils de l’illustre Alphonse, mari en premières noces de Jeanne Hugo, petite-fille de Victor, plus illustre encore, et très lié à l’antisémite Edouard Drumont, l’auteur de La France juive, comme à Marcel Proust qui était juif par moitié.
La Bretonne Anne Le Pape, à laquelle on doit un passionnant « Qui suis-je ? » sur son mentor et ami François Brigneau (éd. Pardès), a choisi d’évoquer ou plutôt de faire revivre Léon Daudet critique littéraire (1) avec ses préférences et ses réticences, ses passions et ses emballements qui faisaient la joie ou déchaînaient l’indignation de ses lecteurs mais ne laissaient personne indifférent. D’où son succès phénoménal et l’empire qu’il exerça dans le monde des lettres.
Un fou de littérature
En effet, ses jugements littéraires n’interféraient jamais avec ses opinions politiques et pouvaient donc étonner, voire défriser, son public. Il lui arrivait ainsi de descendre en flèche l’ouvrage d’un auteur « ami » mais, membre influent du jury Goncourt, il se battit en 1919 pour enfin faire obtenir le prix à Marcel Proust avant, sans succès cette fois, de mettre tout en œuvre pour faire couronner Le Voyage au bout de la nuit. Livre dont il fut le premier à mesurer la force et la modernité alors que l’anarchisme de Céline aurait dû rebuter le monarchiste qu’il était — ou plutôt était devenu, car le foyer familial, que fréquentait Hugo, était plutôt républicain.
Mais pour lui, comme le montre très bien Anne Le Pape, l’amour de la littérature, qu’il avait tété avec le lait maternel, primait sur tout, sans distinction d’époque ni de nationalité. Car en la matière, la culture de Léon Daudet était aussi encyclopédique que cosmopolite.
Certes, écrit-il en 1930, « on peut se passer de Virgile comme de pain et de vin » mais tel n’est pas son cas. S’il peut « se passer » de Tolstoï ou d’Ibsen, il garde malgré les aléas politiques un amour intact pour Goethe ou même Nietzche et le Grand Will, auquel il a consacré son premier roman, Le voyage de Shakespeare (Folio), reste son compagnon de vie, de même que Rabelais, dont il se délecte. Et qui lui a sans doute, estime notre auteur, donné le goût « des images fortes et des mots crus »… Qui font merveille dans ses critiques et toujours mouche au Palais-Bourbon, où ils lui vaudront certains duels ! Très tôt, Proust qui le comparait favorablement à Saint-Simon, excusez du peu ! avait d’ailleurs admiré l’alternance dans ses œuvres « des portraits magnifiquement atroces et des portraits doux, vénérants, nobles ». .
L’improbable mais parfait tandem Maurras-Daudet
Mais Léon Daudet ne se confine pas dans la seule compagnie des géants. Foncièrement anticonformiste et opposé au « classicisme systémique », doté du don précieux « de détecter précocement les aptitudes, de repérer dans la production de son temps les meilleurs écrivains », ce diable d’homme si attaché à sa Provence ressent ainsi un coup de cœur pour La Légende de la mort du barde et nationaliste breton Anatole Le Braz. Tout comme il apprécie les romans de Colette alors qu’il persifle Flaubert et Anatole France, pourtant « objet d’une grande admiration de la part de Maurras », précise Mme Le Pape, soulignant que les choix parfois radicaux exprimés par Daudet dans L’Action française n’ont jamais été censurés par le Maître de Martigues car ces deux hommes si opposés par la naissance et la personnalité, l’un introverti et l’autre extraverti, se sont, curieusement, toujours bien entendus. Jovial comme Daudet ou renfermé comme Maurras, tous deux avaient un point commun : l’acharnement au travail. Des milliers d’articles et cent vingt-huit livres au crédit du premier, pourtant bon vivant et amateur de dîners en ville !
Né en 1867, « le dernier imprécateur » (cf. François Broche) s’éteignit en juillet 1942 à Saint-Rémy de Provence, ce qui lui évita le sort subi à la Libération par ses amis Charles Maurras et Henri Béraud. Qu’eût-il pensé des prix Goncourt décernés au XXIème siècle et même bien avant et comment aurait-il traité les auteurs dont la plupart, choisis selon les critères fixés par la doxa, n’ont laissé aucun souvenir ? En tout cas, lui-même survit dans les mémoires comme en témoignent le prix sur les sites marchands de ses livres non réédités, et désormais la très précieuse étude que vient de lui consacrer Anne Le Pape.
Camille Galic
- Léon Daudet, critique littéraire, éditions de Flore (qui ont réédité plusieurs livres de cet auteur dont son pamphlet très swiftien Les Morticoles, inspiré par son expérience hospitalière). 270 pages avec préface de Stéphane Giocanti, annexes et bibliographie, 10 euros.
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