Au début de la Première guerre mondiale, le jeune Albert Roche, trop chétif, est dans un premier temps rejeté par l’armée française. Rejoignant les Chasseurs alpins, il va enchainer les actes héroïques. Le dessinateur Eric Stalner rend un vibrant hommage à ce héros de guerre méconnu.
1913, à Réauville, petit village de la Drôme. Albert Roche et son père travaillent à la terre. Au passage d’une compagnie de soldats de l’armée française, le jeune paysan rêve à d’autres ambitions que celles de devenir cultivateur. Lorsqu’il fait part de son envie de s’engager, son père rétorque qu’il y a fort à faire à la ferme. Mais il veut absolument se battre. Quelques mois plus tard, à tout juste 18 ans, c’est avec le sourire qu’Albert se présente à la caserne pour le service militaire. Mais lors de la visite médicale d’incorporation, le médecin chef lui signifie que mesurant seulement 1.58 m, il n’est « pas taillé pour l’armée », et le réforme.
Quelques mois plus tard, l’ordre de mobilisation générale est placardé au village. Avant de guerroyer au front, il va se battre contre l’institution militaire. Lors de la préparation, il est mal noté, s’énerve, s’enfuit… et est ainsi envoyé en prison pour désertion. Affecté au 27e bataillon de chasseurs alpins, il se porte volontaire pour aller détruire un nid de mitrailleuses. Rampant jusqu’aux tranchées ennemies, il parvient à proximité du tuyau de cheminée du poêle autour duquel se réchauffent les Allemands et y fait tomber une poignée de grenades. Les survivants se rendent, croyant être attaqués par un bataillon entier. Albert revient à sa base avec huit prisonniers. Lors d’une offensive de la bataille du Chemin des Dames, il sauve au péril de sa vie son capitaine grièvement blessé entre les lignes. Épuisé, il s’endort et est réveillé par une patrouille qui le prend pour un déserteur. Alors qu’il vient de commettre cet acte héroïque, il est emmené vers le peloton d’exécution lorsque le capitaine, sorti juste à temps de son coma, le disculpe au dernier moment…
L’éditeur Grand Angle lance une nouvelle collection, intitulée Héros de guerre, afin de révéler le parcours héroïque de soldats méconnus. Le scénariste Julien Hervieux, professeur d’histoire, s’est fait connaître à partir de 2009 par son site web Le blog d’un odieux connard, dans lequel il tourne en dérision les incohérences du cinéma Hollywoodien. Avec le dessinateur Monsieur le chien, Julien Hervieux crée à partir de 2021 Le petit théâtre des opérations, série racontant des histoires de soldats méconnus.
Le premier tome est consacré à Albert Roche (1895-1939), nommé chevalier de la Légion d’honneur le 3 septembre 1918 avec la citation suivante : « Chasseur dont la bravoure est légendaire au bataillon. Fait preuve, dans les circonstances les plus difficiles, d’un mépris absolu du danger ; conserve un calme absolu aux moments les plus critiques, donne à ses camarades l’exemple de l’entrain, exalte leur courage, est pour ses chefs un auxiliaire précieux. Pendant les opérations du 31 août 1918, a réussi comme agent de liaison à transmettre à toutes les sections de sa compagnie les ordres du commandant, n’hésitant devant aucun danger, triomphant des difficultés de toutes sortes, montrant un rare esprit de décision, une conscience au dessus de tout éloge. Médaillé militaire pour faits de guerre (sept citations) ».
Par une narration maîtrisée, le scénariste présente ainsi un jeune homme courageux, dont l’armée ne voulait pas, et qui se révélera par ses exploits. Blessé 9 fois, ayant capturé 1.180 soldats allemands, français le plus décoré de la Grande guerre, il est le « Premier soldat de France » selon le maréchal Foch. Julien Hervieux explique ainsi pourquoi ce héros de guerre reste méconnu : « Je pense qu’en France, nous avons toujours un peu peur de la figure du héros… La peur de se demander : célébrer un soldat, n’est-ce pas célébrer la guerre ?; ou applaudir un défenseur de la patrie, est-ce faire preuve de nationalisme ? ».
Le dessin réaliste d’Éric Stalner, comme d’habitude d’une grande élégance, est particulièrement reconnaissable, sans doute parce que ses héros ont des traits proches. Récemment, comme beaucoup de dessinateurs, il s’est converti au numérique, dessinant avec un stylet sur une grande tablette. Son découpage est souvent varié, n’hésitant pas à réaliser des cases de tailles très différentes. Vingt ans après La Croix de Cazenac, Eric Stalner revient ainsi à la Première guerre mondiale. Il parvient à illustrer l’héroïsme tout en montrant l’enfer du champ de bataille.
Kristol Séhec
Albert Roche, 64 pages, 16,90 euros. Editions Grand Angle-Bamboo.
Illustrations : DR
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