A propos de la mort, Épicure – il es né en 341 avant notre ère, à Athènes, il meurt en 271 – apporte ce conseil :
« Habitue-toi à vivre dans cette pensée que la mort n’est rien pour nous : car tout bien comme tout mal n’existe que dans la sensation ; or la mort est la privation de sensibilité. Par conséquent la connaissance réelle de ce fait que la mort n’est rien pour nous permet de jouir de cette vie mortelle ; car si elle supprime la perspective d’une durée infinie, elle enlève le désir de l’immortalité. » (Lettre à Ménécée).
De toute évidence, les Bretons qui lisaient peu Épicure ont toujours eu du mal à accepter leur disparition charnelle. Bernard Rio dresse ici l’inventaire de tout ce qui pouvait accompagner, sinon conjurer la mort. Dans cette nouvelle édition augmentée, il explique :
« Les racines de ma famille ont de facto contribué à l’intérêt que je porte depuis l’enfance aux « choses » de l’autre-monde. Elles ne m’ont cependant pas emprisonné dans le passé ou dans la nostalgie. Il y a beaucoup à apprendre en écoutant et en étudiant les morts tandis que nier l’au-delà n’est pas s’en affranchir. »
Cela posé, Rio va au vif du sujet. Pour repousser la « mauvaise heure » rien ne vaut de clouer sur la porte de sa maison une chouette effraie. Elle est la gardienne des morts et des cimetières. Sur l’horloge, on inscrit « an heur diveza a zo kuzet », « la dernière heure est cachée ». Les rituels pour conjurer ou accélérer le trépas sont d’abord païens puis remis au goût chrétien avec de multiples saints et saintes à implorer.
L’Ankou n’a pas besoin de travesti : « Il va la nuit dans les cimetières ; il court de tombe en tombe ; retourne les morts dans leurs suaires et les jette hors des tombeaux ; mêle les ossements dans leurs chapelles et enlève les crânes des ossuaires. C’est lui qui fait revenir les âmes, qui les chasse devant lui comme ses troupeaux de moutons. »
De toute façon, la mort mène le bal. La danse macabre est là pour rappeler que puissants et humbles finissent dans le même charnier. L’Ankou les entraîne. La fresque de la chapelle de Kermaria à Plouha les égrène, de l’empereur, du roi, du cardinal au paysan, au laboureur, à l’enfant.
Les rites mortuaires des Bretons ont leur singularité. La toilette mortuaire, l’« habit » du mort, la veillée qui passe des pleurs aux rires, la bombance funéraire. Quant au cortège funéraire, il suit le « chemin des morts ». Les enclos, les lanternes des morts sont au cœur de la cité. Les morts cohabitent avec les vivants.
A propos du culte des morts, des rites post-mortem, Rio insiste : « Il serait aisé mais intellectuellement vicié de les réduire à une superstition. Ils constituent un ensemble culturel qui remonte au-delà de l’histoire et intègre une dimension mythologique. »
Alors ne pas oublier l’occulte, les dames blanches, les lavandières de la nuit, la chasse sauvage… La mort, les fantômes hantent la lande, surgissent au creux d’un chemin, défient l’océan. Bref, la mort est trop présente pour qu’on l’ait à l’esprit. Ecoutons Epicure.
Jean Heurtin
Bernard RIO, Les Bretons et la Mort. Editions Ar Gedour
Crédit photo : Melina1965/Flickr (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine