Décidé à rejoindre la mystérieuse Atlantide, Alix se rend dans un village d’Armorique pour commander la construction d’un navire capable d’affronter les dangers de la Mer du Nord.
Sud de l’Armorique, an 9 avant J.-C, en plein hiver. Un groupe de druides, réunis par la prêtresse Vinda au milieu d’un Cromlech (cercle de menhirs), réalise une offrande pour la déesse La Dame de la Mer. Il y a quelques jours, des pêcheurs ne sont toujours pas rentrés. Quelques jours plus tard, en route pour le Grand Nord, le sénateur romain Alix et sa troupe parviennent à un site mégalithique, lequel, mystérieusement, n’est pas entouré de neige. Une corne de bélier est gravée sur l’une des pierres. Alix se rend au chantier naval qui appartient au talentueux armateur Cellos, lequel avait jadis combattu avec César contre les Vénètes. Mais dans ce village s’affrontent les fanatiques de la Dame de la mer, conduits par la prêtresse Vinda, et ceux qui refusent les croyances anciennes, partisans de Cellos. Cellos n’accepte de construire le Pithéas, un navire capable d’affronter la malédiction de la Dame de la mer, qui dissuade d’aller vers le Grand Nord, qu’avec l’autorisation de Vinda. Mais le conflit explose lorsqu’on découvre la liaison amoureuse entre Nanto, le fils de Cellos, et Sertis, la fille de Vinda…
Créateur de la célèbre série de bandes dessinées Alix, Jacques Martin est né en 1921 à Strasbourg. Il est donc français, à la différence des Belges Hergé et Edgar P. Jacobs. Il publie ses premières illustrations en 1942, dans la revue Je maintiendray : journal du XIVe chantier jeunesse, puis part pour le STO aux usines Messerschmitt d’Augsbourg. Après-guerre, il intègre le Journal de Tintin. Ce maître de la ligne claire, passionné d’histoire, minutieux pour respecter architecture et costumes, reste surtout connu pour sa série d’aventures antiques Alix. Entamée en 1948, celle-ci se déroule à l’époque de Jules César. Elle se caractérise par un souffle épique et une recherche d’exactitude historique. Héros de la série, le jeune homme Alix Graccus, d’origine gauloise, devient le fils adoptif d’un riche romain. S’il est l’ami de César, il reste tiraillé entre son origine gauloise et son adoption romaine. Ses aventures se déroulent principalement à Rome, en Gaule, en Grèce, en Mésopotamie, en Afrique et en Asie Mineure.
Mais en plus de sa série d’espionnage Lefranc (dont le dessin sera notamment repris par Gilles Chaillet), il imagine pour des dessinateurs de nombreux autres héros ancrés dans une période de l’histoire : Jhen (époque médiévale, avec le dessin de Jean Pleyers), Arno (sous Napoléon, avec le dessin d’André Juillard), Orion (siècle de Périclès, dessin de Christophe Simon puis Marc Jailloux), Keos (Egypte des pharaons, dessin de Jean Pleyers) et Loïs (siècle de Louis XIV, dessin d’Olivier Pâques). Pour chacune de ces séries, un héros juvénile, intelligent et courageux, lutte pour maintenir un certain ordre. Jacques Martin se considère ainsi comme l’inventeur de la bande dessinée historique. De 1998 à 2005, malgré son âge et ses problèmes de vue, il continue à préparer les scénarios, mais le dessin est abandonné à d’autres (Rafael Morales, Cédric Hervan, Christophe Simon, Ferry…), lesquels doivent respecter son style. Après sa mort, en 2010, Alix, Lefranc, Jhen et Loïs continuent à connaître des aventures, grâce à de nouveaux auteurs. Alix est alors dessiné par Marco Venanzi, Christophe Simon, Giorgio Albertini, Chrys Millien… ou Marc Jailloux.
Deux tomes, créés par les successeurs de Jacques Martin, se déroulent en terre celtique.
Dans le tome 28, intitulé La cité engloutie, Alix et Enak recherchent en Armorique, sur ordre de Jules César, une garnison dont Rome reste sans nouvelles. Mais en pleine forêt armoricaine, ils sont assaillis par une horde de guerriers gaulois. Ceux-ci proviennent de la cité fortifiée de Tarania, située sur la pointe du Raz. Il s’agit du dernier foyer de résistance celte à l’envahisseur romain. Des druides y transcrivent en secret la mémoire des celtes sur des parchemins pour éviter que celle-ci ne disparaisse à jamais… Certes le scénariste Patrick Weber présente la civilisation celte sans commettre trop d’erreurs. Mais l’intrigue manque de moments forts. Le dessin de Ferry déçoit également. Si les décors se révèlent justes, les personnages restent figés.
Dans le tome 33 (Britannia), Alix et Enak s’embarquent pour la Grande-Bretagne au sein d’une troupe de légionnaires romains. César entend ainsi envahir l’île de Britannia (île de Bretagne) pour éliminer les celtes qui viennent en aide aux gaulois, mais aussi pour s’emparer de leurs richesses… Ce tome 33 est l’un des meilleurs depuis le décès de Jacques Martin. Ecrit conjointement par Mathieu Bréda et Marc Jailloux, le scenario insiste sur le choc des civilisations entre celtes et romains. Mais le scenario ne correspond pas exactement aux deux expéditions de Jules César en Bretagne (en 55 av. J.-C. et 54 av. J.-C.). C’est donc l’histoire imaginaire d’une invasion de la Bretagne par Jules César… Le dessin signé Marc Jailloux reste très fidèle au trait de Jacques Martin, adepte de la ligne claire. Il sait donner du mouvement aux scènes d’action. La reconstitution des paysages et bâtiments est particulièrement réussie.
Deux séries parallèles ont vu le jour depuis la mort de Jacques Martin. Dans Alix origines, Alix est un enfant, déjà plein de fougue, dans une Gaule encore indépendante. On découvre la vie de ce jeune gaulois, selon une orientation narrative et graphique tournée vers la jeunesse. Mais, à l’inverse, la série Alix Senator décrit les vieux jours du héros gaulois dans les arcanes du pouvoir romain.
La série Alix Senator est scénarisée par Valérie Mangin. Née en 1973 à Nancy, après l’École des chartes, cette latiniste et historienne de l’art rencontre le dessinateur Denis Bajram lors d’une séance de dédicaces, puis l’épouse. Se lançant alors dans la bande dessinée aux éditions Soleil, elle écrit le scenario des albums Luxley, Du plomb pour les garces, Trois Christs, Abymes. Mais on retient surtout d’elle la collection Les Chroniques de l’Antiquité galactique, contenant des séries de bandes dessinées dont les récits constituent un univers de science-fiction s’inspirant de la mythologie gréco-romaine. Elles sont illustrées par Aleksa Gajić (série Le Fléau des dieux), Thierry Démarez (série Le Dernier Troyen), Dean Yazghi (série La Guerre des dieux) et Fafner (série Imperator). Dans cette collection, elle crée ainsi en 2012 le scenario d’Imperator Tome 1 Les fascistes sont éternels : dans un nouvel empire galactique romain, le parti de la Renaissance Fasciste (P.R.F.), dirigé par le Duce, prêche la haine des extraterrestres… Et l’on découvre alors que Valérie Mangin réalise également des scenarios politiques, critiquant « l’extrême-droite ». Ce n’est pas une surprise puisque dans Moi, Jeanne d’Arc, elle imaginait en 2011 la sainte en sorcière féministe !
En 2012, Valérie Mangin imagine Alix Senator. Le pari est audacieux. Le gallo-romain Alix, auparavant au service de César, devient un sénateur quinquagénaire, sous le règne du puissant empereur Auguste. Il est entouré de Titus, son fils, et de Khephren, le fils d’Enak. Dans un premier cycle, la scénariste Valérie Mangin imagine qu’un groupuscule, baptisé Les Rapaces, cherche à assassiner Auguste. Parvenu à déjouer la conjuration des rapaces, Alix ne réussit pas à sauver Khephren, le fils d’Enak, ni Lidia, son amour de toujours. Dans un nouveau cycle, Alix part à la quête de l’Atlantide. Ce n’est pas une hérésie puisque, déjà dans Le spectre de Carthage, dessiné en 1976 par Jacques Martin, le jeune Alix découvrait l’orichalque, métal atlante aux propriétés phosphorescentes. Après la Germanie, la scénariste Valérie Mangin conduit Alix et ses compagnons, toujours en quête de l’Atlantide, en Armorique. Ceux-ci souhaitent découvrir les connaissances du peuple atlante, disparu à la suite d’une guerre impitoyable. Elle imagine qu’après un cataclysme, les survivants des Atlantes (Apollon, Minos, Thésée, Amon, Horus, Osiris, Cybèle, Pluton, la Dame de la Mer…) se sont combattus pour s’installer plus au Sud.
Mais le récit peut déconcerter. Ce n’est pas un nouvel Alix, mais un autre Alix, beaucoup plus sombre. Valérie Mangin s’affranchit de l’esprit originaire de la série Alix, en injectant une dose de fantastique et même parfois d’horreur. Elle entend également dénoncer les croyances religieuses qui à ses yeux empêcheraient d’évoluer. Dans ce nouvel album, Alix doit faire face aux religieux qui veulent l’empêcher de partir vers le grand nord. C’est classique (chaque amant appartenant à l’une des deux factions) et sans surprise (la dénonciation de l’obscurantisme religieux). Valérie Mangin se démarque ainsi du classicisme des autres repreneurs des séries de Jacques Martin. Délaissant la densité textuelle des albums de Martin, elle privilégie un style plus direct. Ses dialogues concis et assez modernes tranchent également avec la série Alix d’origine.
Valérie Mangin publie, sur www.alixsenator.com, une très intéressante encyclopédie d’Alix Senator complétée au fur et à mesure des albums. Celle-ci permet notamment de comparer la réalité historique avec les aventures d’Alix.
Né en 1973 à Drancy, Thierry Démarez, décorateur puis chef d’atelier à la Comédie-Française, signe ses premiers albums chez Soleil : Marie des dragons, Prométhée… et enfin Le Dernier Troyen. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de la scénariste Valérie Mangin. Il abandonne alors la Comédie-Française pour se consacrer uniquement à la bande dessinée.
Thierry Desmarez sait tout dessiner, décors, paysages et personnages réalistes. Son trait est précis, sans aucune erreur de perspective. On admire le vieillissement d’Alix, le gaulois aux cheveux blonds devenus blancs. Au fil des albums, son dessin a même gagné en expressivité, les personnages étant moins figés. Sa mise en page est efficace. Il nous gratifie de plans d’ensemble somptueux, les séquences au Sénat étant ainsi éblouissantes de réalisme.
Il est toujours aussi efficace pour reconstituer la période antique. Pour l’Egypte, il avait dessiné le phare, le port, la bibliothèque d’Alexandrie ou encore la grande Pyramide. Pour ce tome se déroulant en Armorique, son trait recrée les cairns (tumulus de pierres au-dessus d’une sépulture), élevés par des populations autochtones aux Ve et IVe millénaires avant notre ère sur la façade de l’Atlantique, et nombreux en Bretagne. Il semble s’être inspiré du Cairn de Gavrinis, somptueusement décoré de gravures.
Les trois premiers tomes sont colorisés par Thierry Desmarez lui-même. Ses nuances d’ocre sont sublimes. Depuis le tome 5, c’est Jean-Jacques Chagnaud qui s’occupe de la mise en couleurs. Après plus de 300 albums colorisés, il parvient comme d’habitude à jouer avec la lumière et les ombres. L’histoire se passant en hiver sur la côte armoricaine, cette localisation impose le choix de couleurs froides. Les planches de nuit comme de jour sont splendides.
Le prochain voyage d’Alix l’emmènera en Atlantide.
Alix Senator, tome 15, Les Cercles des géants, 48 pages, 14,50 euros. Casterman.
Kristol Séhec.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
